À la fin de l’Ancien Régime, en France, il n’existe pas moins de 115 crimes passibles de la peine de mort. Pourtant, dès le siècle des Lumières, les voix des premiers abolitionnistes se font entendre (Cesare Beccaria et son Traité des délits et des peines de 1764, Voltaire et son Prix de la justice et de l’humanité, 1777). Cela n'empêchera pas Joseph Lebon, ancien maire d'Arras, député du Pas-de-Calais et proconsul de faire régner la terreur par une vague d'exécutions sans précédent.
Monsieur Guillotin et la "mort douce"
En 1791, grâce à l’instauration du Code pénal, le nombre des crimes capitaux est réduit à 32. Il faut dire que le débat sur l’abolition déchaîne déjà les passions, au sein même de l’Assemblée constituante. Maximilien de Robespierre et Le Peletier de Saint-Fargeau (président de l’Assemblée en juin 1790), hérauts des idées de Beccaria, qualifient la peine de mort de meurtre juridique
, symbole des lois de sang
de l’Ancien Régime, de la tyrannie et du despotisme.
Sous l’impulsion des valeurs égalitaires et humanistes de la Révolution, Joseph-Ignace Guillotin (1738-1814), un médecin élu député du Tiers-État à Paris, imagine un procédé mécanique visant à donner une mort "douce", sans supplice inutile et applicable à tous. Car jusque là, le traitement variait selon le rang social : les nobles avaient le privilège de la décapitation, quand les roturiers devaient se contenter de la pendaison. Guillotin insiste tout particulièrement sur l’importance de la mécanique, la décollation manuelle (entendez la tête tranchée par la lame d’un bourreau) présentant parfois des complications désagréables.
Suivant ses conseils, le docteur Antoine Louis dessine les plans et fait fabriquer un prototype par un mécanicien, se présentant parfois comme facteur de clavecins, nommé Tobias Schmidt. Pourtant, il ne s’agit pas d’une invention française à proprement parler, puisque ses concepteurs s’étaient inspirés de machines anciennes utilisées en Italie, en Allemagne, en Angleterre et en Écosse dès le XIIe siècle.
Le 25 mars 1792, Louis XVI en personne signe la loi faisant adopter la machine à trancher la tête des condamnés, vite surnommée la Veuve. La première exécution se déroule le 25 avril.
Le 17 septembre de la même année, le ministre des Contributions publiques adresse aux administrateurs du Pas-de-Calais un courrier annonçant l’arrivée prochaine à Arras d’une "machine à décapiter", accompagné d’une gravure au bas de laquelle sont adjoints quelques conseils d’utilisation.
Joseph Lebon ou l’Ogre assoiffé de sang
À cette époque, le maire d’Arras est Joseph Lebon (1765-1795), un ancien prêtre ayant renoncé au sacerdoce, ami de longue date de Robespierre et orateur brillant. Il quitte rapidement cette charge, qu’il juge trop étroite, pour intégrer le directoire départemental, puis se faire élire député à la Convention en juillet 1793. Investi de pouvoirs illimités en sa qualité de proconsul, il revient triomphant dans le Pas-de-Calais fin octobre 1793, pour déjouer d’éventuels complots contre-révolutionnaires.
Dès son arrivée à Arras, les prisons se remplissent d’hommes et de femmes qui se trouvent entassés dans des conditions déplorables :
- les condamnés par les tribunaux criminels ou militaires sont rassemblés à Saint-Vaast,
- tandis que la prison des Baudets sert d’antichambre au tribunal révolutionnaire ;
- les simples suspects sont parqués à l’Hôtel-Dieu lorsqu’ils sont de sexe masculin et on regroupe les femmes à la Providence.
Pourtant, le tribunal révolutionnaire du Pas-de-Calais (créé le 24 juin 1793) s’était plutôt montré modéré jusque là : en deux mois, sur quinze jugements, quatre avaient trouvé une issue fatale. Modéré ? Mou ! aux yeux de Lebon qui reprend les choses en main.
En mars 1794, la purge commence. D’abord au sein-même des institutions. Lebon renvoie une bonne partie du personnel judiciaire révolutionnaire et choisit lui-même juges, avocats et jurés, qui lui sont tout dévoués. Dès lors, l’autorité n’appartient plus aux tribunaux ni aux hauts fonctionnaires, mais est détenue uniquement par le citoyen Lebon. Il déplace l’échafaud place de la Révolution (place du Théâtre) afin de s’adonner, dit-on, de son balcon, tant aux joies du théâtre qu’à celles des exécutions.
Il se tourne ensuite vers les ennemis jurés de la Révolution : les nobles, le clergé, accusé de tourmenter la conscience du peuple
et les contre-révolutionnaires en général. Il multiplie les arrestations et les détentions arbitraires, sans raison valable, bafouant par-là les principes-mêmes de la Révolution. Citons comme exemple cette jeune fille se promenant un dimanche sur les remparts de Montreuil. Croisant Lebon, elle est immédiatement arrêtée sous prétexte que sa toilette est trop élégante pour un dimanche ; il doit sans nul doute s’agir d’une de ses "aristocrates", attachée aux idées de l’Ancien Régime, puisque le dimanche est désormais un jour comme un autre…
Lebon illustre bien à lui seul le qualificatif de Terreur donné à cette période. Sur Arras, on ne recense pas mois de 393 exécutions en l’espace d’un an (février 1794 à février 1795) !
Le 8 mai 1794, de Cambrai où il effectue une purge similaire à celle d’Arras, il écrit : […] La guillotine continue à rouler à toute force à Arras, on annonce aujourd’hui 28, de Saint-Pol, expédiés hier. Elle va, primidi prochain, commencer ici ces exploits
.
Fin d’un tyran
Le 10 juillet 1795, face aux accusations de plus en plus pressantes des détracteurs de Lebon, menées par Armand-Joseph Guffroy (député arrageois, lui aussi élu député à la Convention), l’Assemblée et le Comité de salut public suppriment les tribunaux révolutionnaires d’Arras et de Cambrai (seuls tribunaux de province encore en exercice).
Guffroy ne s’en contente pas et continue de fustiger Lebon lors des séances de l’Assemblée, le qualifiant de monstre pétri de crimes, enivré de sang, couvert de l’exécration générale
. L’exécution de Robespierre précipite la chute de Lebon ; il est rapidement arrêté.
Jugé un an plus tard sous quatorze chefs d’inculpation, il est guillotiné le 16 octobre 1795 à l’âge de 30 ans. Sa dernière lettre, adressée à son épouse, se termine par ces mots La mort de l’homme de bien n’est pas inutile
.
Archives départementales du Pas-de-Calais
Bonjour Isabelle, Les registres d'écrou des prisons d’Arras (Baudets, Dominicains, Sainte-Croix, etc.) durant la période révolutionnaire sont classés en sous-série 4 L.
L’ouvrage de Jean-Claude Fichaux, intitulé "Les prisons d'Arras et les hommes" peut également être susceptible de vous intéresser.
Le 03 juin 2016 à 16h54
Anonyme
Bonjour,
Existe t il un registre des prisonniers mort à la prison des baudets avec les causes de leur mort et le pourquoi de leur incarcération.
Merci
Le 07 janvier 2016 à 16h50
Archives départementales du Pas-de-Calais
Bonjour Valérie,
Pour de plus amples rensignements sur la biographie de Joseph Lebon, consultez l’article qui lui est dédié dans notre rubrique Anniversaires (25 septembre 1765 : naissance de Joseph Lebon, député du Pas-de-Calais à la Convention nationale), mais aussi l'état des sources le concernant.
Le 08 novembre 2012 à 10h59
ginois valérie
édifiant, cet homme fait froid dans le dos! avez-vous d'autres sources ou renseignements concernant joseph lebon?
Le 01 novembre 2012 à 01h21