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3. Entre ralliement bien compris et opposition au pouvoir : le Second Empire et la Troisième République

Retour à la littérature

Après quelques mois de silence, Hippolyte Castille retourne à la littérature. Conformément à un contrat conclu le 15 juillet 1851 [ note 1], plusieurs de ses récits sont ainsi édités dans la collection des "Romans populaires illustrés" de Gustave Barba, illustrés par Bertall (1851-1854). Deux d’entre eux se tiennent dans le Pas-de-Calais, Le Contrebandier (reprise du Smuggler d’Ambleteuse) et La Chasse aux chimères. Ce dernier brosse un portrait peu flatteur de ses compatriotes d’Aire-sur-la-Lys, où demeurait sa mère à l’époque de son propre mariage, et de leurs relations avec la capitale :

Aire-sur-la-Lys est une bonne petite ville, mais il faut être doué d’un courage digne des temps antiques ou complètement guéri des vanités du monde pour oser y bâtir son nid. Nous ajouterons qu’il peut être agréable pour un Parisien d’y passer un mois d’été. De sa fenêtre on y entend chanter le coucou, ce qui ne laisse pas d’être original ; les hiboux y font la conversation toute la nuit, et vous avez l’agrément d’être éveillé au point du jour par la crécelle stridente des rossignols de marais. […] Huit mille âmes et deux clochers, dont l’un d’architecture espagnole, sont enfermés dans les murailles pittoresques et lézardées des fortifications au pied desquelles le nénuphar étale en paix sa large feuille à côté du roseau dont la haute tige, pavoisée de verts rubans, se balance au souffle du vent. Les habitants de cette paisible ville forte, - nous parlons ici de notables, - pourraient former une ménagerie intéressante pour les romanciers qui étudient spécialement les variétés d’habitudes que la vie de province engendre chez l’espèce humaine.

[Dans un chapitre intitulé : Commérages…] – Un Parigaud !

Ce dernier mot Parigaud – traduisez Parisien – fut prononcée par une vieille édentée. Il résumait à lui seul toutes les épithètes dont on venait de régaler le fils, filleul ou neveu de M. Pierre. Un Parisien passe parmi les bonnes gens de la Flandre pour un homme souillé de tous les vices et capable de toutes les mauvaises actions imaginables.

Gravure monochrome montrant un couple côte à côte sur le promontoire d'une falaise balayée par le vent.

Hélas ! s’il avait voulu, nous aurions été bien heureux ! , illustration de Bertall dans Le Contrebandier, Paris, Librairie Gustave Barba, s.d. Bibliothèque nationale de France, Y2-1473. https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5836576g

Hippolyte Castille collabore à la Revue de Paris (décembre 1852-décembre 1853 et 15 janvier 1858), y donnant plusieurs contributions, telles que :

  • "De la propriété littéraire" en décembre 1852 et janvier 1853,
  • "Les hommes et les mœurs en France sous le règne de Louis-Philippe" (d’avril au 1er août 1853), un pamphlet incisif, qui paraît ensuite séparément chez Hanneton.

Tout au long du Second Empire – auquel il s’est rallié [ note 2] –, il alterne ainsi romans (Histoires de ménage. Scènes de la vie réelle, 1856 ; Aventures imaginaires, 1858 ; Blanche d’Orbe, 1859) et études historiques et politiques : on notera en particulier : 

  • Histoire de la Seconde République française hostile aux libéraux (1854-1856), et ses Portraits politiques [et/ou historiques] au dix-neuvième siècle, collection de quatre-vingt petites biographies ou synthèses [ note 3] in-32, parues entre 1857 et 1862 ;
  • un Parallèle entre César, Charlemagne et Napoléon. L’Empire et la démocratie. Philosophie de la légende impériale (1858) ;
  • une Histoire de soixante ans. La Révolution (1789-1800) (1859-1863), dont seule la première partie a paru ;
  • Napoléon III et le clergé et Le Pape et l’encyclique (1860) et La Quatrième Dynastie [ note 4] (1861) ;
  • ou encore Les Massacres de juin 1848 (1869).

Correspondance conservée aux archives départementales 

Les Archives départementales du Pas-de-Calais ont acquis, en 1936, un petit lot de correspondances envoyées par Hippolyte Castille à ses éditeurs Ferdinand Sartorius et Édouard Dentu entre 1858 et 1861 (1 J 130). Elles témoignent quelque peu du quotidien d’un auteur et des difficultés de publication qu’il peut rencontrer :

  • discussion sur les clauses de ses contrats [ note 5],
  • travaux parallèles sur plusieurs projets,
  • corrections d’épreuves,
  • interventions de la censure ou de groupes de pression,
  • brouilles avec d’autres littérateurs, procès, voire tout simplement refus de publication.

Ainsi, le 16 novembre 1861 :

Le 16 9bre 1861.

Mon cher Monsieur Dentu,

Permettez-moi de vous recommander le manuscrit de mon roman que d’après votre amical avis je laisse à la Revue européenne [ note 6]. Je n’en ai pas d’autre exemplaire, et j’y attache beaucoup de prix.

Plus je réfléchis au refus de ce livre, moins je puis me l’expliquer. J’ai écrit cette historiette avec tant de soin et de plaisir que je ne comprends pas qu’on la juge indigne d’être imprimée. C’est à coup sûr le plus pur et le plus littéraire de mes romans. Je voudrais que vous le fissiez lire par un de vos amis dans lequel vous auriez confiance et qui n’aurait aucune prévention contre moi.

La revue est loin d’être gâtée en fait de romans et tourne sans cesse dans le même cercle. Le roman de Janin [ note 7a été mortellement ennuyeux. Il y a trop de Tourghénief [ note 8] et d’Erkman-Chatrian [ note 9et de Gachon de Molènes [ note 10]. Quant à M. La Caussade je trouve de bien mauvais goût de sa part de faire faire son propre éloge en cinquante pages dans sa propre revue à propos de vers d’une médiocrité d’élève en rhétorique [ note 11]. La Revue européenne telle qu’il la dirige, c’est la littérature vue du gros bout de la lorgnette.

Je vous porterai ces jours-ci le roi de Prusse [ note 12]. Voulez-vous Lacordaire, Walewski, Villemain, Cousin, le sultan Adbulazis, l’amiral Jurien de la Gravière (nous n’avons pas d’amiral), Chaix d’Estange (nous n’avons pas de magistrat).

Un mot de réponse s’il vous plaît. Je voudrais donner cet hiver un coup de collier et terminer notre série de 50 notices avant de continuer l’Histoire de 60 ans.

Votre bien affectionné.

Castille

Membre de la Société des gens de lettres, il est élu à son comité le 8 mai 1853, mais en sort par tirage au sort dès le 6 mai 1855. Il se serait aussi occupé d’affaires boursières et financières [ note 13].

Poursuite de son activité journalistique 

Document manuscrit retranscrit dans l'article.

Lettre d’Hippolyte Castille à Édouard Dentu, 16 novembre 1861. Archives départementales du Pas-de-Calais, 1 J 130.

Tout en publiant des feuilletons dans divers journaux, comme La Presse, il dirige comme rédacteur en chef plusieurs périodiques :

  • Le Courrier de Paris (dont il est le dernier directeur, du 26 février 1859 au 24 mai 1860) ;
  • Le Messager de Paris du 21 juillet au 21 septembre 1860 (pour lequel il échoue à obtenir le soutien financier du gouvernement) [ note 14] ;
  • un hebdomadaire, L’Esprit public, fondé pour défendre l’alliance franco-italienne, qui paraît du 16 février 1862 au 1er juillet 1864 ;
  • à partir du 20 mars 1864, une édition quotidienne du précédent, Le Globe, éphémère ;
  • mais aussi Le Mouvement politique et financier (21 avril 1867-14 novembre 1868).

Une tentative de rachat du quotidien bonapartiste Le Pays échoue à l’été 1868, par suite de l’intervention du ministre de l’Intérieur Ernest Pinard. En 1869, il signe sous le pseudonyme d’Alceste une série de "Lettres de Paris" sur les élections, dans L’Universel, un journal d’opposition créé par François Ducuing.

Au début de la Troisième République, il insère une nouvelle série de "Lettres de Paris" dans les journaux d’Édouard Portalis, La Vérité (octobre 1870-septembre 1871), La Constitution (septembre 1871-27 mars 1872), Le Corsaire (1872-18 juin 1873), et l’Avenir national : ce dernier est interdit le 25 octobre 1873 à la suite d’une lettre d’Alceste, "À bas Chambord !", qui prône l’union des impérialistes et des républicains contre toute tentative de restauration.

Mais ses idées comme ses ouvrages paraissent passés de mode, comme en témoigne dès 1866 le Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle de Pierre Larousse :

M. H. Castille appartient à cette petite école de révolutionnaires qui, ayant de la liberté la notion la plus incomplète et la plus fausse, ne semblent pas même se douter qu'elle est le fondement de la grandeur et de la dignité humaines. Il est de ces prétendus démocrates qui voient dans l'alliance du despotisme et de la révolution le Salut de la démocratie.

Dans ses derniers écrits, cet apôtre de la force brutale n'a pour la liberté, pour le régime représentatif, pour toutes les garanties constitutionnelles, que sarcasmes et dédains.

Aussi, par une sorte de châtiment mérité, en mettant au service d'idées pitoyables un talent qui promettait beaucoup, M. Castille a-t-il perdu ses meilleures qualités d'écrivain. Il ne produit plus que des œuvres mort-nées, accueillies par une glaciale et profonde indifférence.

Hippolyte Castille semble n’avoir repris la plume que rarement : il poursuit ses "Lettres" d’Alceste au Corsaire (mai-juin 1876), au Voltaire (proche de Léon Gambetta) puis à la Vérité relancée par Portalis en 1880 ; on connaît aussi de lui un feuilleton, "Le Masque de plâtre" publié dans L'Événement en 1884 ou un projet de recueil de ses "Lettres de Paris" annoncé la même année.

Veuf, il vit à Paris, au n° 19 rue de Presbourg, oublié, aigri par son isolement, car il avait conscience de sa réelle valeur  [ note 15] ; il meurt le 25 septembre 1886, alors qu’il séjourne en villégiature à Luc-sur-Mer (Calvados) pour rédiger dit-on ses Mémoires. Il est inhumé le 28 au cimetière du Père Lachaise [ note 16].

Notes

[ note 1] Cf. Procès Barba contre Hippolyte Castille, 23 juillet 1864, Bulletin de la Cour impériale de Paris, 15 mars 1864, p. 537-540.

[ note 2] Considéré comme "une recrue facile et précieuse" (selon Le Temps, 29 septembre 1886), il aurait été en relations avec Jean-François Mocquard, chef de cabinet de Napoléon III, qui lui aurait permis de bénéficier d’autorisations pour ses journaux. Il est en outre nommé chevalier de la Légion d’honneur par décret du 14 août 1862. Selon Le Temps du 26 janvier 1871, qui publie les comptes de la liste civile de l’Empereur ("Papiers et correspondances de la famille impériale. Pièces trouvées aux Tuileries"), il aurait bénéficié un temps d’une pension de 6 000 francs, d’avances pour la publication de l’Histoire de soixante ans… Le non-versement du soutien financier prévu pour l’achat du Messager de Paris aurait en revanche eu des conséquences notables : M. Hippolyte Castille, ruiné, accablé sous le poids de 100 000 francs de dettes, a pu méditer, à ses dépens, sur la faveur des princes

[ note 3] En particulier, ses notes et souvenirs sur la presse parisienne (n°s 48 à 50 des Portraits, publiés en 1858) : Les journaux et les journalistes sous l’Empire et la Restauration ; Les journaux et les journalistes sous le règne de Louis-Philippe ; Les journaux et les journalistes depuis 1848 jusqu’à aujourd’hui.

[ note 4] Qui entend prouver la légitimité du Second Empire, comme étant tout ensemble révolutionnaire et conservateur.

[ note 5] Par une lettre du 11 avril 1858, Castille propose ainsi à Dentu un partage des bénéfices prenant en compte les souscriptions qu’il pourrait trouver, en particulier au sein des ministères, et détaille par là-même les dépenses prévisibles, sur la base du traité passé avec Victor Lecou pour l’Histoire de la Seconde République française.

[ note 6] Revue européenne : a paru du 1er février 1859 au 15 décembre 1861. Fondée pour faire contrepoids à la Revue contemporaine dont elle est issue, elle est soutenue par le gouvernement impérial, et est dirigée par Auguste Lacaussade (1815-1897), un poète créole, secrétaire et ami de Sainte-Beuve.

[ note 7] La fin d’un monde et du neveu de Rameau, roman du critique Jules Janin (1804-1874).

[ note 8] Sont publiés Un premier amour et La société russe avant la réforme : Eléna.

[ note 9] Paraissent effectivement onze contes et romans entre 1859 et 1861.

[ note 10] Paul Gaschon de Molènes (1821-1862) n’apparaît toutefois pas dans la liste des auteurs (L.-F. Maingard, "Revue européenne : étude bibliographique", Revue d’histoire littéraire de la France, 1922, pp. 354-362).

[ note 11] La critique des Épaves (recueil publié d’ailleurs chez Édouard Dentu) paraît dans la bibliographie du n° 67 (XVIIIe volume) du 1er novembre 1861, mais en une seule page ; l’article, signé A.B., est effectivement laudateur : Il y a là une simplicité savante, une sobriété qui n’est jamais pauvre, une grâce qui n’est jamais cherchée. […] En un temps où l’on répète sur tous les tons qu’il n’y a plus de poésie, que l’art est mort, il est juste de recommander avec quelque insistance un livre qui est avant tout une protestation de poëte en faveur de notre époque, tant accusée de positivisme et d’industrialisme

[ note 12] Il s’agit de certaines biographies prévues dans les Portraits, personnalités françaises aussi bien qu’étrangères (roi de Prusse, sultan de l’Empire ottoman, etc.) de tous ordres. Abel François Villemain (1790-1870) est ainsi le n° 7 de la 2ième série des Portraits historiques.

[ note 13] Rien ne permet de penser, cependant, qu’il ait participé aux affaires de son gendre. Celui-ci, Jean Fournier, dit Edmond Pelletier ou Charles Karr, rédacteur du bulletin financier à L’Opinion nationale, crée en 1869 rue Taitbout, une sorte de banque, l’Office de la Bourse, tout en dirigeant un journal, la Gazette de la Bourse, chargée de la publicité des opérations d’investissement proposées. En difficulté à partir de juillet 1870, il est condamné pour abus de confiance et banqueroute à six mois de prison en juillet 1873 (Le Droit, 23 juillet 1873). Un jugement de séparation de corps est prononcé en septembre 1875 au profit de Blanche Castille.

[ note 14] Voir plus haut. Il collabore à son successeur, La Nouvelle, dirigé par Amédée de Céséna.

[ note 15] Paul Grandet, "Hippolyte Castille. Le vengeur de juin", Le Cri du peuple [de Jules Vallès], 29 septembre 1886. Dans le supplément littéraire du Figaro du 2 octobre 1886, son ancien secrétaire au Courrier de Paris, Jules Richard, affirme, entre autres amabilités (sur ses ambitions politiques déçues, ses infidélités – il se consacrait pieusement tous les jours de trois à six au culte de Vénus. Je lui ai entendu répéter à satiété qu’un homme bien portant avait besoin de trois femmes ) : n’ayant pas une opinion, mais bien des opinions – ce qui est tout différent – il en était arrivé à être l’ennemi de tous et l’ami de personne .

[ note 16] Sa fille, Blanche, veuve de Jean-Edmond Fournier, dit Pelletier, demeurant à Paris (1 avenue Mac Mahon), décède à Vichy le 26 juillet 1918. Elle lègue par testament à la Ville de Paris une rente pour l’entretien de la tombe de son père, et à la Société des gens de lettres le portrait de ce dernier (Recueil des actes administratifs de la préfecture de la Seine, n° 8, août 1918, 2ième section, p. 526-527.