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Calais pendant la guerre

Située face aux îles britanniques, la ville de Calais va incontestablement s’ouvrir sur le monde durant le conflit. Loin du front et des combats, en relative sécurité, la vie s’y organise autour des campements des troupes alliées et de la présence en masse de la population belge réfugiée après l’invasion.

La presse relève que Calais offre en 1915 un visage bien différent de celui d’avant-guerre, celui d’une ville où règne une animation et une activité pour le moins inaccoutumées. On y observe un commerce florissant et une main-d’œuvre généreusement employée grâce à la bonne entente régnant entre la municipalité et la chambre de commerce, à la solidarité et aux efforts de mobilisation générale de la population calaisienne et étrangère. Cette organisation va non seulement sauver de la misère les centaines de familles qui vivaient de l’industrie tullière ou de la pêche, mais aussi permettre au port de rivaliser d’activités avec les autres ports français.

Calais pendant la guerre

L’étranger non averti qui débarque en ce moment à Calais, et qui croyait trouver une ville morne et triste comme un jour de pluie, est agréablement surpris d’y voir régner une animation, une activité inaccoutumées.

Comment ! est-ce bien là Calais, la ville tant de fois convoitée dans les rêves irréalisables de conquête du monstre germanique ? Cette ville si riante, si pimpante est-ce bien le Calais pour lequel des milliers de Teutons ont trouvé la mort dans le ruisseau désormais célèbre : l’Yser ?

Une promenade en ville achèvera d’ahurir l’étranger.

Dans les rues, sur les boulevards, dans les jardins publics, à la plage, partout, règne une animation inconnue même en temps de paix.

Les salles de spectacle elles-mêmes regorgent de monde.

Calais est à cent lieues d’un champ de bataille.

Calais vibre et travaille insouciant du canon dont les échos sourds parviennent jusqu’à ses portes.

La population calaisienne sait qu’une barrière de granit infranchissable faite de poitrines de héros la sépare des hordes du kaiser et que « leurs » canons ̶ fussent-ils des 420 ̶ n’auront jamais l’honneur d’arriver à portée pour cracher leur mitraille destructrice sur la ville : de là son insouciance.

Le léger désarroi du mois d’octobre de l’an dernier causé par l’apparition de uhlans à Cassel et l’exode en masse des populations belges fuyant les horreurs de l’invasion et du crime a fait place, depuis longtemps, à la plus complète indifférence et si ce n’était le passage quotidien de blessés et de réfugiés ainsi que les incursions nocturnes de zeppelins, les calaisiens ignoreraient tout de la guerre.

Le commerce local, par suite du stationnement des troupes alliées est plus florissant que jamais.

L’augmentation excessive et injustifiée du prix des denrées opérée aux premiers jours de la mobilisation par quelques commerçants peu scrupuleux a décru rapidement après l’intervention énergique autant que conciliante de son maire M. Morieux.

Les coups ont subi cependant comme partout ailleurs, une hausse normale, inévitable, afférante à la difficulté du réapprovisionnement et des transports sans pour cela donner lieu à des spéculations malhonnêtes.

Grâce aux efforts constants de la Chambre de Commerce d’une part et de la Municipalité de l’autre, les innombrables difficultés surgissant entre les fournisseurs extra-locaux et les acheteurs calaisiens ont été aplanies et les envois ont pu reprendre dans des conditions à peu près normales et à la satisfaction de tous.

L’industrie tullière, qui compte environ 550 fabricants, est, on le sait, la principale industrie de la ville.

Caudry, la plus sérieuse concurrente, étant envahie, les fabricants de dentelles calaisiens profitent dans une certaine mesure des achats américains. Les États-Unis ont toujours été de riches clients pour la place de Calais, cependant, à l’heure actuelle les commandes seraient plus importantes, s’il n’y avait les difficultés très sérieuses du change.

Le change est, en effet, à un taux trop élevé pour permettre au vendeur d’en subir la différence. Il s’en suit que les affaires de gros sont presque supprimées ; seules les grandes maisons de détail fonctionnent normalement et assurent une vente un peu au-dessus de l’ordinaire.

Une trentaine de maisons qui se sont spécialisées dans la fabrication de l’article bon marché et dont les patrons n’ont pas été mobilisés, ou encore qui disposent d’un vieux personnel, peuvent ainsi continuer à travailler, assurant à la main d’œuvre féminine, qui est très employée dans l’industrie tullière, une rétribution appréciable. Londres, qui se fournissait régulièrement aux fabricants calaisiens, raréfie de plus en plus ses commandes pour les réserver à la ville sœur Nottingham, qui, bien fournie en cotons filés par la ville de Manchester, arrive à établir les tarifs moins élevés que ceux des fabriques calaisiennes. Ces dernières doivent se contenter pour leur fabrication, du reliquat des usines de Manchester et les difficultés du réapprovisionnement en cotons filés sont encore une entrave à la diminution des prix de vente.

Toute la région Lilloise (Lille, Roubaix, Tourcoing, Bailleul, Armentières) qui fournissait le coton filé indispensable à la fabrication étant envahie, il est à craindre que la hausse des dentelles calaisiennes, persiste.

On voit qu’étant données les nombreuses difficultés qu’éprouvent les maisons qui continuent à travailler, à se procurer les matières premières, la hausse de 10 p 100 n’a rien d’exagéré. Les fabricants calaisiens dans un bel élan de solidarité, et cela encore grâce aux efforts stimulants de la municipalité, ont surtout cherché, non à gagner de l’argent, mais à ne pas laisser péricliter l’industrie qui fait l’orgueil de la cité. Grâce à une coordination des efforts et à une entente parfaite, édiles et fabricants ont sauvé de la misère quelques centaines de familles qui tirent leur gagne pain de l’industrie tullière.

Si par la force des choses, l’industrie languit un peu, le port, lui, n’a rien perdu de son activité. Les énormes tas de bois de mines et de bois plat en exportation de Suède et de Norvège qui, d’ordinaire à pareille époque couvraient les vastes quais, ont cédé la place, cette année, aux houilles anglaises. Du charbon, du charbon, partout du charbon ! Une maison de transport et de manutention, reçoit et expédie à elle seule plus de 60.000 tonnes de combustible par semaine. Cette firme arrive ainsi à approvisionner presque entièrement la compagnie de chemins de fer du Nord, et une partie des chemins de fer de l’Est. Grâce à un outillage moderne des plus perfectionnés, grâce aussi aux efforts constants de la Chambre de Commerce, le port de Calais rivalise d’activité, en ce moment avec les premiers ports de France. Son trafic permet d’assurer un travail régulier et rémunérateur à une grande quantité d’ouvriers non mobilisés. Quant à l’industrie si intéressante de la pêche, elle est, il faut le dire, peu prospère. Calais étant dans la zone des armées, la pêche aux filets dut être interdite. Sur environ 80 bateaux qui composaient la flottille calaisienne avant la guerre une trentaine d’entre eux continuent à pêcher à la ligne dite de fond, à proximité des côtes. Les interdictions de pêche ordonnées fréquemment par l’autorité militaire, mettent une entrave sérieuse à cette industrie, privant ainsi de leur gagne-pain la population maritime. Par à-coups le tarif du poisson subit des fluctuations désordonnées. Aussi, les envois des mareyeurs calaisiens fournisseurs avant la guerre, des Halles Centrales de Paris, se font de plus en plus rares. Les fins gourmets du poisson de première fraîcheur, expédié de Calais quelques heures auparavant, doivent se contenter à présent de poisson en provenance de Normandie ou de Bretagne. Encore doivent-ils s’estimer heureux de ne point être réduits comme nos ennemis à déguster ̶ oh ! ce mot ̶ du Chetodon.

En résumé, le commerce calaisien n’a pas beaucoup souffert de la guerre et cela, nous ne saurions trop le répéter, grâce au dévouement de sa municipalité, qui, même aux heures critiques, sut administrer avec sang-froid, et ne ménagea point ses efforts pour pallier les difficultés commerciales qui surgirent, nombreuses au début des hostilités. Les édiles calaisiens réussirent surtout à calmer l’opinion publique, toujours prête à s’affoler à la moindre alerte. Tous les étrangers, et, ils sont nombreux qui, fuyant l’invasion allemande, passèrent ou stationnèrent à Calais, s’accordent à reconnaître que l’hospitalité de ses habitants fut au-dessus de tout éloge. Le sang-froid, le flegme tout britannique dont jamais la population calaisienne ne se départit aux heures les plus menaçantes de l’offensive allemande, prouvent que l’exemple des six héroïques Bourgeois de 1347 immortalisé par le ciseau du maître Rodin, a trouvé des imitateurs.

La France du Nord, lundi 11 octobre 1915. Archives départementales du Pas-de-Calais, PG 16/93.