Archives - Pas-de-Calais le Département
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Excursion scolaire dans les ruines

Photographie noir et blanc montrant de jeunes garçons descendant d'un camion.

"Arras. Patronage Notre-Dame des Ardents. Une excursion à Lucheux", [1920-1940]. Archives départementales du Pas-de-Calais, 38 Fi 1104

Dès août 1914 et jusqu’à la fin de la guerre, l’artillerie allemande provoque des destructions saisissantes dans les villes et villages du Nord de la France. L’État s’empare rapidement des photos de ces ruines pour en faire une arme de propagande, illustrant la barbarie quotidienne et prouvant la volonté de l’Allemagne de toucher à l’identité même de ses ennemis par la destruction de leur patrimoine.

Dénoncer sert à la fois à mobiliser les esprits et à légitimer la poursuite de la guerre. Témoins de l’horreur en cours, les zones de combats couvertes par les reporters et les photographes attirent aussi toutes sortes de visiteurs dès que la stabilisation du front le permet. Les autorités des régions non touchées par la guerre sont ainsi appelées à les visiter et à inciter leurs concitoyens, toutes générations confondues, à les suivre dans cette démarche. Fin juillet 1917, le gouvernement s'engage à faciliter  le voyage de délégations de conseils généraux venant visiter les départements des régions dévastées 

Les pèlerinages patriotiques ou de communion nationale se développent dès septembre 1915, pour le premier anniversaire de la bataille de la Marne, en présence de membres du Parlement, de représentants des autorités locales, mais aussi de simples civils. Avec le repli de l’armée allemande sur la ligne Hindenburg en 1917, les visites officielles, avec remise de drapeaux ou décoration des ruines, se multiplient. Les régions sinistrées considèrent ce tourisme comme un moyen de faire connaître leurs souffrances et comme un élément de relance économique favorisant la reconstruction. Le Touring Club de France ou les guides touristiques Michelin proposent ainsi des circuits, en tenant compte de l’accessibilité des lieux et de leur dangerosité. Leur popularité témoigne du besoin tangible de voir la guerre, de se souvenir des atrocités commises par l’ennemi et de rendre hommage aux morts.

Une lettre du député Narcisse Boulanger adressée au ministre de l’Instruction publique invite ainsi les jeunes générations à faire des voyages d’étude dans ces régions. Victimes comme l’ensemble des populations civiles, les enfants doivent dorénavant devenir des acteurs et des témoins à part entière de la guerre. 

À propos des dégâts commis par les Barbares

M. Narcisse Boulanger a adressé à M. le Ministre de l’Instruction publique la lettre suivante, dont l’idée nous semble aussi pratique que patriotiquement inspirée.

Paris, 24 avril 1917

Mon cher Ministre,

Dans un article récent du journal le « Matin », mon collègue et ami M. Pichery, député du Loir-et-Cher, préconisait l’idée que les députés, les conseillers généraux, les conseillers d’arrondissement, les maires, les syndicats des régions non touchées par la guerre, allassent en délégation visiter nos malheureux villages et villes des régions du Nord libérés des armées ennemies et apprécier ainsi les dégâts commis par les Barbares. Ils pourraient de cette façon, disait-il, juger les crimes ordonnés par les chefs de l’armée allemande. Cette idée est des plus heureuses, elle devrait retenir toute l’attention du Gouvernement. Permettez-moi cependant mon cher Ministre de vous en suggérer une autre qui compléterait la première.       

Ne pensez-vous pas que pour éterniser l’esprit de la barbarie allemande dans la mémoire de nos jeunes générations, espoir de la France, il ne serait pas utile de faire faire des voyages d’études dans ces pays dévastés, à nos écoliers, qui pourraient pendant leurs prochaines vacances se rendre par délégation de tous les départements non envahis au milieu de ces ruines encore fumantes. Ce serait pour ces enfants une véritable étude de choses, il verraient, ils toucheraient du doigt les crimes commis par les Allemands, ils rapporteraient de ces voyages des impressions vraies à leurs familles, à leurs concitoyens, à leurs camarades, ils leurs montreraient par le souvenir toutes les horreurs commises par les Barbares, leurs impressions resteraient vivaces, ils auraient encore plus grande au fond de leur cœur la haine de ce peuple de bandits qui a contre lui toutes les Nations éprises de l’amour du droit et de la justice.           

Si vous partagiez mon sentiment, mon cher Ministre, j’en serais très heureux, car je pense que c’est un moyen excellent pour inculquer de plus en plus dans l’esprit de la jeunesse française le dégoût du nom Allemand.

Y penser toujours. – N’oublier jamais. – C’est du pur Français. 

Avec l’espoir que vous voudrez bien m’honorer d’une réponse, je vous assure, mon cher Ministre, de mes sentiments dévoués.

Narcisse BOULANGER
Député du Pas-de-Calais

La France du Nord, lundi 30 avril 1917. Archives du Pas-de-Calais, PG 16/96.