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Les bombardements de Béthune

Photographie noir et blanc montrant une place  avec des bâtiments détruits autour.

La place du beffroi après les destructions de mai 1918. Béthune, entre les 19 et 22 juillet 1918 (?). Prise de vue : Marcel Lorée. Tirage au gélatinobromure d’argent, 13 x 18 cm. Archives départementales du Pas-de-Calais, 8 Fi 635.

Située à une dizaine de kilomètres de la ligne de front, la ville de Béthune fait face à des attaques de bombardiers allemands aux conséquences tout aussi désastreuses sur les civils que sur les militaires, depuis le début de 1915 et jusqu’à son évacuation en avril 1918.

Au printemps 1917, les raids aériens se multiplient à la nuit tombée. Ils n’ont aucune cible précise en vue, mais laissent planer l’incertitude sur les lieux de refuge les plus sûrs. Les tirs qui ont lieu durant plusieurs jours, à l’arrivée du mois de mai, sont à ce titre particulièrement meurtriers.

Aux funérailles des victimes du bombardement du 1er mai, le sous-préfet de Béthune, Adrien Bonnefoy-Sibour, prend la parole en public pour s’efforcer de réconforter les populations. Dans un discours rendant un vibrant hommage aux nombreuses victimes du conflit, il rappelle avant tout le sens du devoir et la force dont chaque individu doit faire preuve en ces temps difficiles.

Béthune – les bombardements

La fureur des Boches continue à s’exercer d’une façon brutale et aveugle sur toute la région avoisinant le front. Les bombardements par projectiles de tous calibres continuent, et chaque nuit, profitant du clair de lune, des avions sont venus survoler les localités les plus importantes et jeter des bombes au hasard.

Béthune a reçu presque chaque nuit la visite de ces taubes. Merville a été bombardé par avions la nuit de dimanche à lundi : 25 bombes ont été jetées, sans dégâts importants, ni victimes.

Les obus ont atteint à Béthune plusieurs personnes appartenant à la population civile. Le 3 mai, M. Landru, directeur de l’usine à gaz, voulut chercher un refuge aux environs au cours d’un bombardement. Il partit, accompagné de sa femme et de ses deux filles. Toute la famille fut surprise sur la voie publique et atteinte.

M. Landru a dû subir l’amputation de l’avant-bras gauche. Les deux jeunes filles ont été amputées chacune d’une jambe, et Madame Landru a été atteinte grièvement par des éclats sur diverses parties du corps. L’état de ces quatre blessés est aussi satisfaisant que possible.

On a eu en outre à déplorer la mort de Madame Charles Brige, âgée de 42 ans, et mère de cinq enfants, dont l’aîné est au front, ainsi que d’une autre personne qui se trouvait avec elle.

Aux funérailles des victimes du bombardement du 1er mai, devant les six tombes, M. le sous-préfet de Béthune a prononcé une allocution émue que nous sommes heureux de reproduire :

Mesdames, Messieurs,

Un suprême et public hommage devait être rendu aux victimes de l’attentat du 1er mai. Avec tout son cœur, votre sous-préfet le leur apporte ; il assure parents et amis des sympathies les plus attristées du Gouvernement de la République.

Trop fréquemment, hélas, des cérémonies semblables nous réunissent en ce lieu ; trop souvent, interprète de l’affliction générale, celui qui vous parle essaie d’atténuer de légitimes détresses et sa douleur à lui est infinie. C’est qu’on ne vit pas, Messieurs, depuis des années, heure par heure, les espoirs, les angoisses et les peines d’une vaillante population, sans s’identifier en quelque sorte à elle, abstraction faite de toute obligation professionnelle, sans communier avec elle dans des sentiments identiques de haute solidarité humaine, sans en partager, pour tout dire, très fraternellement, l’indicible douleur.

Nul d’entre nous, Messieurs, il faut le répéter, n’a voulu cette guerre ; imposée, elle le fut brutalement, sauvagement, à l’allemande, pour se perpétuer de longs mois dans le sang et les larmes. Provoquée, la Nation s’est levée unanime, bientôt suivie de tout ce qu’il y a dans le monde de brave, de bon et de juste.

Il fallait souffrir, on souffre ; il faut vaincre, on vaincra.

Et tandis qu’aux tranchées nos soldats, nos alliés combattent, meurent pour l’idéal sublime et pour le Droit, dans les cités martyres de vaillants citoyens savent mourir aussi, et faire leur devoir à la française.

Citadelle inviolée du beau sang-froid, du calme, du courage et du bon sens, modeste et fière, fidèle aux traditions glorieuses de la race, votre chère cité, tournée vers l’ennemi, s’offre en splendide exemple, confiante en la suprême récompense par tous si dignement gagnée.

Ah, j’entends bien, Messieurs, qu’aux épreuves morales, entre toutes cruelles, nulle parole ne pourrait apporter le baume souverain… Ceux qui pleurent sauront cependant les sympathies fidèles de leurs concitoyens ; ceux qui dorment ici, avec les soldats morts durant la grande guerre, seront avec eux associés, dans l’unanime hommage de reconnaissance et d’admiration.

Leur nom sera gravé au livre d’or de la Patrie, il demeurera dans nos cœurs.

Par le Gouvernement, ces assurances solennelles devaient ici, Messieurs, être apportées, quand sonne l’heure, enfin, d’immanente justice, et quand rayonnante se lève l’aurore des définitives victoires.

Le Télégramme, vendredi 11 mai 1917. Archives départementales du Pas-de-Calais, PG 9/27.

Néanmoins, ce discours n’apaise en rien les difficultés quotidiennes des Béthunois. La sécurité des habitants est préoccupante, et les journaux font office d’exutoire, malgré la censure. Leur demande est claire, ils veulent que les autorités prennent conscience du manque de moyens de l’arrière-front. D’autant que d’autres cités ont mis sur pied des dispositifs de prévention, tel Calais qui s’est dotée d’un système de défense anti-aérienne composé de postes de guets, de projecteurs, de sirènes, d’abris, de mitrailleuses et d’une artillerie anti-aérienne.

À Béthune, bien que régnant en maître, la solidarité n’est pas suffisante pour apporter à tous la sécurité. Les troupes britanniques, postées dans la ville depuis le début du conflit, offrent une aide exemplaire, mais leurs nombreuses réquisitions, que ce soit en matière de logement ou en matériels, réduisent la qualité de vie des citoyens. Des réquisitions qui s’avèrent pourtant essentielles, notamment celles du collège Saint-Vaast transformé en hôpital et accueillant le 33rd Casualty Clearing Station ainsi que des médecins anglais de renom.

Cette entente cordiale avec l’armée britannique garde la ville dans un état de fonctionnement viable, mais aucune initiative gouvernementale n’est prévue pour les bombardements ayant lieu intra-muros. Seul le carillon du beffroi sert d’alerte en cas d’attaque au gaz, un manque de dispositif qui pourrait avoir des conséquences sur les pertes humaines.

La sécurité tient alors à la bonne foi des habitants qui ouvrent volontiers leurs portes aux passants et s’organisent avec les moyens du bord. Aux doutes sur les mesures d’ordre des autorités, répond une fraternité exemplaire de la part des Béthunois.

À propos des bombardements

Nous recevons la lettre suivante :

Béthune, le 8 mai 1917

Monsieur le Directeur du "Télégramme",

Permettez-moi d’avoir recours à la voie de votre journal, toujours si largement ouverte aux réclamations légitimes, pour attirer l’attention des autorités civiles et militaires sur la situation faite aux populations de l’arrière-front par la recrudescence de la barbarie boche, et sur les mesures immédiates qu’il conviendrait de prendre pour sauver bien des vies humaines.

Ceux qui se trouvent actuellement dans la zone bombardée ne demeurent pas là pour leur plaisir. Ils y sont retenus par des occupations nécessaires et urgentes. À leur manière, et avec un courage simple qui fait l’admiration des visiteurs de passage, ils servent leur pays. Ils n’en ont que plus de droits à être protégés.

Or, la constatation est facile à faire, ce sont précisément ceux-là, ceux qui courent le plus de danger, qui sont le moins protégés.

Par le « Télégramme » et les autres journaux régionaux, nous voyons que des villes de l’arrière, qui n’ont à redouter que de rares et généralement peu meurtrières incursions d’aéroplanes, ou des villes maritimes, sur lesquelles les bombardements par mer ne peuvent envoyer que des projectiles de petit calibre, bénéficient d’une règlementation très étudiée et très pratique, pour qu’en cas d’alerte chacun puisse trouver un abri et se soustraire au danger.

Or rien de semblable n’existe dans les localités, mêmes importantes, de l’arrière-front d’Artois, où les bombes d’aéros arrivent continuellement, où tous les calibres d’obus sont connus du 105 au 380 inclus, en passant par le 150, le 210 et le 240 de marine. Ici chacun est livré à ses seules et faibles ressources. Quoi d’étonnant que les accidents soient si fréquents.

Sans doute convient-il de rendre un public hommage au concours bénévole et toujours si empressé de l’armée britannique, dont le corps des médecins et infirmiers est réellement admirable. Mais cette intervention gracieuse et jamais marchandée ne dispense point les administrations compétentes de mesures d’ordre général et réglementaire, qui sont faciles à prendre et seraient efficaces.

Il faudrait qu’en cas d’incursions d’avions boches, les populations soient prévenues, comme dans les villes de l’arrière, par des appareils avertisseurs.
Il faudrait que les caves soient visitées, estimées au point de vue de leur résistance, recensées et indiquées d’une façon apparente comme lieux de refuges.
Il faudrait que des consignes soient données à la population civile, pour qu’elle évite de fausses manœuvres dont les conséquences pourraient devenir fatales.

Tout cela, chacun peut s’en rendre compte, est facile à organiser. Tout cela, on l’a vu, hélas, par de trop tristes expériences, peut avoir des conséquences vitales.

Je me fais ici, publiquement, l’interprète de ce que chacun dit tout bas. Je serais trop heureux si mon appel est entendu, et si je puis voir entreprise une œuvre de solidarité à laquelle tout le monde apporterait un concours empressé.

Veuillez agréer, Monsieur le Directeur, l’hommage de mes sentiments les meilleurs.

Un Béthunois.

Le Télégramme, vendredi 11 mai 1917. Archives départementales du Pas-de-Calais, PG 9/27.