Archives - Pas-de-Calais le Département
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Protection des enfants du premier âge

À la suite de la défaite française de 1870, mise en partie sur le compte de la faiblesse démographique du pays face à l’Allemagne, la Troisième République s’est attachée à construire une politique d'assistance consacrée à la santé de la mère et des enfants. Occupant le dernier rang de toutes les puissances européennes en ce domaine, en raison d’une baisse de la natalité et du maintien d'une mortalité excessive, le gouvernement français s’est en effet attaqué à la mortalité (à défaut de pouvoir jouer sur la natalité), et tout particulièrement à celle des nourrissons.

Conformément à la loi Roussel du 23 décembre 1874, l’autorité publique exerce dès lors une surveillance attentive sur tout enfant âgé de moins de deux ans placé en nourrice loin du domicile des parents, principalement des familles pauvres des villes ou de paysans. Elle ajoute au contrôle social un aspect statistique, puisque les départements sont invités à transmettre annuellement des données afin d'évaluer l'impact de la loi. Le nourrisson devient, dans les faits, l'objet de la surveillance publique, assurée par le préfet assisté de comités départementaux et de commissions locales.

Engagé ainsi dans une vaste campagne contre la mortalité infantile et des femmes en couches, l’État reconnaît dès 1881 la spécialité des accoucheurs et veille au réaménagement des maternités hospitalières selon les nouvelles normes hygiénistes de Pasteur. S’y ajoute l’ouverture de consultations de nourrissons et de dispensaires, avec pour objectif de vaincre la routine ou l’ignorance.

En 1894, la création de l'œuvre de la Goutte de lait doit remédier aux difficultés ou à l’impossibilité de l’allaitement maternel que rencontrent les mères travaillant à l’usine ou dans des ateliers. Outre le fait que le lait distribué est pasteurisé et que les familles dans le besoin peuvent y retirer gratuitement des biberons, la Goutte de lait va surtout mettre en place une consultation pour les nourrissons. Si la méfiance est de mise au début, les jeunes mères y apprennent peu à peu à surveiller l'alimentation, le poids et l'évolution de leurs enfants. La réussite est telle que l'on compte plus de cent Gouttes de lait en France avant la guerre de 1914.

Mais celle-ci bouleverse cet équilibre et, le 10 janvier 1917, La France du Nord se fait écho de cet appel émanant de la préfecture : 

Protection des enfants du 1er âge. Consultations de nourrissons
(Inspection départementale de l’Assistance publique)

[Le préfet du Pas-de-Calais aux maires du département]

Au moment où tant de vies précieuses sont fauchées sur les champs de bataille, nous avons plus que jamais l’impérieux devoir de conserver celles en qui repose l’espoir même de notre race. J’ai ici spécialement en vue les enfants âgés de moins de deux ans, que le législateur a placés sous la protection de l’Autorité publique.

Parmi les moyens les plus efficaces de sauvegarder les plus frêles existences, les Consultations de nourrissons figuraient au premier rang. Malheureusement depuis le début des hostilités, la plupart de nos florissantes Consultations et Gouttes de lait, ont dû fermer leurs portes et c’est à peine si l’on compte aujourd’hui une demi-douzaine dans ce département qui pouvait à juste titre s’enorgueillir de ses institutions de puériculture. Il est toutefois consolant de constater que les centres les plus importants, tels que Boulogne, Calais, Saint-Omer, etc., ont pu malgré les difficultés de l’heure présente continuer la lutte engagée contre la mortalité infantile. Mais, leurs consultations de nourrissons ne sont pas suivies avec toute la régularité désirable pour ceux-là mêmes qui en tireraient le plus de profit. C’est ainsi qu’un trop grand nombre d’enfants placés en nourrice ou d’enfants secourus n’y sont pas conduits par leurs mères ou leurs gardiennes.

Il est urgent de rappeler les intéressées à l’accomplissement de leurs devoirs, et je compte sur votre patriotisme éclairé pour ranimer les zèles défaillants et pour tenir la main à l’application stricte des règlements.

Je vous rappelle que d’ailleurs, aux termes des instructions ministérielles du 12 mars 1907, la clientèle des Consultations de nourrissons doit se composer, obligatoirement, des enfants protégés et secourus âgés de moins d’un an. Vous voudrez donc bien me signaler les nourrissons ou les mères dont les enfants appartiennent à ces deux catégories et qui ne se soumettraient pas aux dites prescriptions dans les localités où fonctionnent encore des consultations de nourrissons.

Il va sans dire que je vous serai particulièrement obligé des efforts que vous voudrez bien tenter pour diriger vers ces œuvres si éminemment utiles, les autres petits enfants de votre commune, sans aucune distinction. Aux uns comme aux autres seront profitables les conseils éclairés qui assument la tâche d’instruire les mères dans l’art difficile de la Puériculture.

Le Préfet du Pas-de-Calais

L. BRIENS

Recueil des actes administratifs de la préfecture, année 1917, n° 2, 15 février 1917, pp. 31-32. Archives départementales du Pas-de-Calais, 3 K 70.

Globalement, la situation médicale dans la partie libre du département est plutôt stable et non alarmante. Lors d’un recensement effectué au printemps 1916, sur les six arrondissements interrogés, seul celui de Saint-Omer semble touché par une pénurie de personnel médical dans le secteur de Blendecques et de Thérouanne.

Néanmoins, face à une recrudescence nationale de la mortalité infantile, le préfet dépêche aux sous-préfets d’arrondissement le 19 janvier 1917 la circulaire ministérielle suivante :

Boulogne, le 19 janvier 1917

Le Préfet du Pas-de-Calais à Monsieur le Sous-Préfet de Béthune

Une discussion récente à l’Académie de Médecine vient d’accentuer les préoccupations causées au Gouvernement par l’annonce d’une recrudescence de la mortalité infantile. Je désire, avoir dans la mesure du possible, quelques précisions à cet égard.

Veuillez donc me faire connaître, pour votre département, avec l’indication du pourcentage, le nombre de décès d’enfants d’un jour à un an pendant l’année 1916 rapproché de celui des naissances. Vous voudrez bien me donner la même indication pour l’année 1913. Les registres d’état civil vous permettront de faire aisément établir ces deux chiffres.

À côté de ces indications précises, vous voudrez bien me fournir toutes observations personnelles sur les causes d’augmentation de la mortalité que vous auriez perçues ou qui vous auraient été signalées.

Je n’ai pas besoin d’insister sur la gravité de la question qui intéresse l’existence même du pays.

J’attacherais du prix à recevoir les renseignements demandés dans le délai le plus court qu’il vous sera possible.

Le préfet.

Archives départementales du Pas-de-Calais, 2 R 5024.

Les archives ne possèdent que deux réponses relatives à cette demande préfectorale : celles des sous-préfets d’arrondissement de Saint-Omer et de Béthune.

Pour Saint-Omer, les chiffres confirment la tendance générale : en 1913, on comptait 11,47 % de mortalité infantile et 12 % en 1916. Toutefois, le faible écart entre les deux taux ne doit pas être jugé alarmant. Le taux de mortalité des nourrissons n’a d’ailleurs pas plongé durant les quatre années de conflit.

En revanche, la propagation de maladies (la grippe espagnole a fait des ravages en 1918), la mauvaise alimentation due à la piètre qualité des récoltes et aux difficultés de rationnement, et les conditions de vie difficiles suffisent à expliquer une légère dégradation du taux de mortalité. D’autant plus qu’à cette époque, l’espérance de vie d’un enfant est encore très faible dans sa première année d’existence, constat déjà observé avant guerre.

Contre toute attente, le sous-préfet de Béthune relève pour sa part une légère diminution des décès infantiles dans son arrondissement, comme il l’explique au préfet dans le courrier suivant : 

3/3 1917

4ième Division
1er Bureau

Mortalité infantile

Préfet,

En exécution de votre dépêche confidentielle du 19 janvier dernier, il m’a paru intéressant d’établir le travail ci-joint, touchant la mortalité infantile et donnant à cet égard de façon détaillée les résultats comparés pour les années 1913 et 1916.

Contrairement à ce qu’on pouvait craindre en raison des événements présents, la mortalité infantile décroît dans l’arrondissement de Béthune. Les proportions générales sont les suivantes : 12,49 % en 1913, 12,06 % en 1916.

La proportion des décès reste encore assez élevée, mais le fait qu’elle n’a pas augmenté dans les temps tragiques que nous vivons est un indice certain que les efforts de l’administration pour assurer tout le bien-être possible aux populations réfugiées et veiller à l’hygiène publique ne sont pas restés vains. Comme je l’ai déjà noté à diverses reprises, l’état de guerre et l’octroi judicieux des allocations ont fait totalement disparaître la misère et partant, la santé des enfants jeunes se maintient bonne en général.

Les chiffres défavorables fournis par les gros centres miniers doivent nous inciter à combattre sans cesse par les évacuations journalières notamment et dans la plus complète mesure du possible le surpeuplement des cités industrielles.

Un autre point capital est également noté : dans les cantons agricoles (partie d’Houdain, Laventie, Lillers), la mortalité infantile est en augmentation marquée. D’avis éclairés recueillis par mes soins il résulte que cet accroissement est essentiellement imputable à la moins bonne qualité du lait : les pâtures sont en majeure partie occupées par les cantonnements d’hommes ou de chevaux, la nourriture des vaches devient rare et le lait se ressent chimiquement d’une absorption trop fréquente de nourriture médiocre, celle par exemple que la pulpe de betterave.

Les enfants des agglomérations dont la mortalité est pourtant moindre, se nourrissent bien du même lait, mais leur organisme, déjà fait à des conditions de vie imparfaites, s’accommode mieux que celui des petits campagnards du changement de lait et de l’intense surpopulation.

Dans une zone telle que la nôtre, il paraît difficile d’obvier à cette situation et si, par tous moyens, on écarte les enfants de 5 à 15 ans d’une région où ils n’ont que faire, on ne peut songer à séparer les nourrissons de leurs mères.

Il y a lieu enfin de souligner la diminution énorme et générale des naissances, découlant tout naturellement il est vrai de l’état de guerre, mais résultant aussi et pour beaucoup des manœuvres abortives plus que jamais pratiquées dans l’arrondissement.

Le sous-préfet. 

Archives départementales du Pas-de-Calais, 2 R 5024.