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Reconstitution des régions dévastées

Photographie noir et blanc montrant un échafaudage devant un bâtiment en construction.

Arras. Vue du palais Saint-Vaast en cours de reconstruction, 1926. Archives départementales du Pas-de-Calais, 4 Fi 2603.

En parcourant les localités dévastées par l’ennemi, il m’a été donné de constater qu’un certain nombre d’immeubles endommagés ou partiellement détruits pouvaient être plus ou moins rapidement remis en état d’habitabilité par des réparations d’urgence qu’il importe d’entreprendre dans le moindre délai […]  [ note 1]. Ainsi s’exprime le 13 avril 1917 le préfet Briens dans une circulaire envoyée aux maires des communes dévastées.

Pour ce faire, il crée le 8 mai un service spécial à la préfecture, dédié à la "reconstitution des moyens d’habitation dans les communes". Le 4 juillet, les statuts de ce nouveau service paraissent dans les colonnes du Télégramme. Cette décision intervient alors que la bataille d’Arras se termine et que les alliés britanniques ont déjà pu libérer un certain nombre de communes qui se trouvaient jusque-là sous le joug allemand.

L’état de destruction et de dévastation de ces villes et villages est consternant. Les Allemands ont pillé tout ce qui était possible et ont détruit ce qui ne pouvait être pris. Les zones les plus touchées concernent les arrondissements d’Arras et de Béthune qui totalisent 190 communes atteintes (94 des 154 communes de l’arrondissement d’Arras et 5 des 36 communes de l’arrondissement de Béthune).

Début mai 1917, 99 d’entre elles sont libérées (88 sont toujours occupées) et 39 sont accessibles aux civils. Le préfet y diligente une enquête pour évaluer le degré de dégradation et donc estimer les ressources nécessaires à leur reconstitution [ note 2].

Sur ces 39 communes touchées en leur cœur par des faits de guerre, 28 sont occupées et 11 ont été évacuées, soit un total de 6 279 maisons recensées avant-guerre. Les chiffres sont accablants. Les enquêteurs évaluent à 6 223 le nombre d’habitations touchées (5 359 complètement détruites et 864 partiellement atteintes). Soit plus de 99 % des bâtiments.

Et 91 communes sont encore inaccessibles, en raison de la proximité du front ou des actions militaires qui s’y déroulent. C’est l’ampleur de cette situation qui motive le préfet à agir et à débloquer des fonds spéciaux au profit de ce nouveau service de la préfecture.

Reconstitution des régions dévastées par les événements de guerre         

Un service spécial de reconstitution des moyens d’habitation dans les communes dévastées par la guerre a été institué à la Préfecture du Pas-de-Calais. Il a pour but d’aider les familles dont les foyers ont été partiellement ou complètement détruits à se réinstaller dans leurs communes dès que le retour dans ces communes peut être autorisé.  

L’intervention du service aura lieu de trois façons différentes, savoir :

  1. en remettant en état d’habitabilité matérielle d’effectuer, par leurs seuls moyens, les réparations nécessaires par suite de manque de ressources, défaut de main-d’œuvre ou de matériaux, etc. ;
  2. en délivrant des bons de matériaux aux personnes qui sont en mesure d’exécuter les travaux urgents de réparation ou de reconstitution provisoire par elles-mêmes, ou au moyen de concours appropriés, mais qui ne peuvent pas se procurer les matériaux indispensables ;
  3. en fournissant des maisons provisoires aux habitants dont les maisons ont été détruites et qui ne peuvent pas trouver un autre logement (chez des parents, amis, voisins ou par voie de location).

Réparation d’urgence

L’intervention du service devra être provoquée par la remise à la Préfecture :

  1. d’une demande motivée du propriétaire ;
  2. d’une renonciation à toute revendication d’indemnité à titre de réparation de dommages de guerre pour les dommages qui auront été ainsi réparés ;
  3. d’une déclaration du maire attestant :
    1. que les travaux projetés sont indispensables ;
    2. que le propriétaire ne peut pas les faire exécuter lui-même ;
    3. que leur montant ne dépasse pas le cinquième de la valeur de l’immeuble avant la guerre.

Bons de matériaux

L’intéressé doit remettre à la Préfecture :

  1. une demande motivée indiquant exactement l’emplacement sur lequel les matériaux seront employés et exposant de façon précise les travaux à effectuer et les matériaux nécessaires ;
  2. si les matériaux sont destinés à une construction de fortune ou à l’édification d’une habitation provisoire, un plan sommaire permettant de se rendre compte que le projet est satisfaisant aux points de vue de l’habitabilité et de l’hygiène et que son exécution ne fera pas obstacle ultérieurement à une reconstitution satisfaisante des immeubles détériorés.

La valeur des matériaux que fourniront les dépôts départementaux ne devra pas dépasser 1 500 francs.

La délivrance effective de ces matériaux fera l’objet d’un reçu des fournitures faites avec indication et totalisation de leur valeur exacte et ce reçu sera envoyé, sans retard, à la Préfecture pour le montant en être ultérieurement recouvré sur les indemnités allouées en réparation des dommages de guerre.

Maisons provisoires

La concession de maisons provisoires pourra être faite à la demande des intéressés :

  1. soit moyennant un loyer purement nominal de 1 franc par an, si le demandeur est reconnu absolument sans ressources,  ̶  après avis du conseil municipal ;
  2. soit moyennant un loyer représentant l’intérêt à 3 % des 2/3 du prix de revient de la construction, si le demandeur est reconnu en situation d’acquitter cette charge minime ;
  3. soit moyennant engagement d’achat immédiat par l’intéressé sur la base d’un prix réduit égal à la moitié de la valeur réelle et ultérieurement imputable sur l’indemnité de dommages de guerre. Tant que le prix réduit ainsi fixé n’aura pas été acquitté, il sera payé un intérêt égal à 2 % des 2/3 du prix de revient de la construction.

Les demandes de maisons provisoires feront connaître le nombre des personnes composant la famille et le nombre des pièces d’habitation nécessaires ; elles indiqueront, en même temps, l’emplacement sur lequel la construction devra être édifiée et si le demandeur en est propriétaire ou non.

Dispositions générales

Les travaux qui seront exécutés avec le concours du service seront surveillés par des contrôleurs spéciaux.

Les bâtiments provisoires d’exploitation rurale (granges, remises, écuries, bouveries, etc.) pourront être concédés moyennant engagement d’achat par l’intéressé sur la base du prix de revient réel, payable ultérieurement sur les indemnités allouées en réparation des dommages de guerre.       

Nota.  ̶  Les modèles des actes à intervenir ainsi que tous les renseignements complémentaires nécessaires devront être demandés aux maires.

Boulogne-sur-Mer, le 8 mai 1917,

Le préfet,
L. Briens

Service de reconstitution des régions envahies : instructions, formulaires vierges, rapport sur la reconstitution des régions envahies et état des communes libérées (1917). Archives départementales du Pas-de-Calais, 11 R 2150.

La question des régions occupées ou envahies apparaît dès 1916 dans les débats parlementaires. Il est primordial d’anticiper le problème qui se posera à la libération des territoires.

C’est pourquoi un premier comité de reconstitution des régions envahies est créé en 1916. L’année suivante, ce sont deux offices de reconstitution industrielle et agricole qui viennent compléter le dispositif. Enfin, le 16 novembre 1917, apparaît un nouveau ministère des Régions envahies, dont le portefeuille est confié pour quelques jours à Charles Jonnart, en charge de centraliser l’étude et le règlement des dommages causés par les faits de guerre.

Anticipant ces mesures nationales, Léon Briens avait déjà commandé une enquête sur les ressources locales. Bien que le département soit pourvu de ressources propres, le manque de main-d’œuvre, la destruction des usines et des infrastructures ainsi que les difficultés de transport rendent leur exploitation très complexe à mettre en place.

C’est pourquoi, Briens appelle au déblocage de fonds pour le fonctionnement de son nouveau service de reconstitution des moyens d’habitation dans les communes dévastées par la guerre. Les frais d’administration incombent au ministère de l’Intérieur, mais le financement provient de fonds départementaux (hors budget), et d’enveloppes exceptionnelles. Une délibération du conseil général du 28 septembre 1915 avait déjà permis de débloquer 100 000 francs, auxquels s’ajoute une aide d’État de 3 500 000 francs.

Grâce à ces allocations, le préfet lance des appels d’offres auprès d’entreprises du bâtiment, commande des abris provisoires et alloue des crédits au cas par cas. Malgré ces mesures concrètes, la lenteur des rouages administratifs exilés et perturbés par l’état de guerre ne satisfait pas tout le monde, comme le montre cet article du Télégramme du 27 juillet 1917.

La reconstitution des régions envahies

De temps à autre, une courte information parlementaire nous apprend qu’on examine le problème de la reconstitution des régions envahies, pour mieux dire dévastées, mais l’Administration – par modestie ou peut-être parce qu’elle n’a pas de trop brillants résultats à nous présenter – se garde bien de nous donner sur son activité des détails circonstanciés. Je ne mets en doute la bonne volonté de personne, mais, sinistré moi-même, je partage l’avis des autres victimes de la guerre, lorsqu’ils expriment le désir de savoir ce que fait l’Administration, les moyens dont elle dispose et les résultats qu’elle escompte.

Nous voudrions savoir comme les Pouvoirs publics opèrent, dans quelles conditions les réfugiés pourront retrouver un foyer, en un mot connaître le programme de reconstitution moins pour y chercher des faiblesses que pour y trouver des raisons d’espérer.

Le grand public ignore tout de ce qui se fait à cet égard et les sinistrés eux-mêmes, sauf de rares privilégiés, attendent encore un exposé sur les mesures prises par le Gouvernement.

Je sais qu’on m’objectera qu’un communiqué préfectoral a annoncé dans quelles conditions des baraquements seront mis à la disposition de ceux qui ont perdu leur foyer, mais je répondrai qu’il serait bon de fournir à ceux qui se préoccupent de leur réinstallation au pays, d’autres indications, notamment sur la nature de l’abri qu’on leur offre. D’une façon générale il s’agit d’une baraque en bois, baraque est l’expression officielle, pour une fois elle répond très bien à son objet et l’on ne saurait donner un autre nom aux abris que l’État fait construire à prix d’or par des gens étrangers au pays, par de pseudo-entrepreneurs, alors que les constructeurs professionnels ruinés par la guerre, mais qui ne demandent qu’à travailler, sont tenus de rester les bras croisés ou d’accepter des marchés en deuxième main de gens qui n’étaient pas toujours qualifiés pour traiter de pareilles affaires.

Il ne me semble pas que le Gouvernement ait attaché à cet important problème de la reconstitution des régions dévastées, toute l’attention qu’il méritait, et la seule annonce d’abris temporaires nous édifie sur la largeur de vues de la bureaucratie ministérielle. Le plus élémentaire bon sens indiquait qu’il fallait envisager de suite un programme de constructions solides et non pas de baraques qui, faites-en série, en bois des Landes, ne résisteront pas longtemps aux intempéries et coûteront fort cher sans constituer au sens strict du mot, un abri. J’ai vu de ces fameuses baraques, faites-en bois résineux, elles dégagent une forte odeur de térébenthine. Les multiples joints et les cloisons creuses seront des logis pratiques pour les rats, les souris et les insectes. L’ensemble de chaque construction ne constitue qu’un logis insalubre.

Pourquoi n’avoir pas créé un Sous-Secrétariat spécial pour la reconstruction des pays envahis ? Pourquoi ne pas avoir constitué un comité d’études composé des grands entrepreneurs, industriels et agriculteurs des dix départements dévastés ? Ces hommes auxquels il appartenait d’assurer le relèvement de nos ruines dans des conditions normales, depuis de longs mois, auraient pu prendre certaines dispositions et arrêter un programme de constructions définitives et non pas d’abris temporaires.

Un homme du bâtiment avec lequel j’échangeais dernièrement des idées à cet égard me disait que si l’on avait envisagé le problème sous ce jour, à l’heure actuelle, tous les matériaux de construction seraient à pied d’œuvre. La tâche est colossale, mais en procédant avec méthode, on parviendrait aisément à la réaliser. On a calculé en effet, que, si l’on estime à un million le nombre des personnes dont les habitations sont à reconstruire, il ne faudra pas moins, pour relever tous les immeubles, de 10 milliards de briques, de 220 millions de tuiles et de 200 millions de carreaux. Pour les autres matériaux, aucune difficulté ne peut surgir, mais pour les trois catégories ci-dessus, il était indispensable d’envisager le plus tôt possible, leur fabrication. Or, pour y parvenir, il faut 2 millions 600.000 tonnes de charbon. 3.000 usines et 60.000 ouvriers. Or, ces usines n’existent pas, il faudra les construire. Certes des établissements existent en grand nombre à l’intérieur, mais si l’on veut les utiliser, il faut alors envisager la question du transport des matières premières aux usines, puis des 230 millions de tonnes de produits fabriqués à pied d’œuvre !

D’une part, nous avons donc le système des abris temporaires qui n’est pas une solution normale de la reconstitution des régions envahies et, d’autre part, un programme d’entreprise générale qui exigerait un gros effort, une direction compétente, mais dont l’exécution, plus on la retarde, rencontrera des difficultés énormes.

Il y a une troisième solution. Elle fut préconisée par des hommes du bâtiment, par nos entrepreneurs du Nord. Elle est basée sur l’utilisation de produits qu’on trouve en abondance dans nos régions et l’adoption de constructions en ciment armé. Nous avons sur place tous les matériaux nécessaires et en s‘arrêtant à deux ou trois types de maisons, il était aisé de préparer d’avance un grand nombre d’immeubles dont l’édification n’eut présenté aucune difficulté. C’était là la seule solution pratique, on pouvait aisément l’appliquer en réservant aux entrepreneurs de chaque région le soin d’assurer la construction de leur département. Et c’eût été une manière élégante d’aider des gens qui ont souffert de la guerre et non pas d’accroître la fortune de ceux qui, durant la longue épreuve, n’ont eu qu’un souci, celui de faire fortune.

Aussi bien la façon dont ont été passés les marchés des fameux abris temporaires nous permettra d’ajouter un jour un joli chapitre au recueil des scandales de la guerre.                                                                                        

Edmond EQUOY

Le Télégramme, vendredi 27 juillet 1917. Archives départementales du Pas-de-Calais, PG 9/28.

Notes

[ note 1] Service de reconstitution des régions envahies : instructions, formulaire vierges, rapport sur la reconstitution des régions envahies et état des communes libérées (1917). Archives départementales du Pas-de-Calais, 11 R 2150.

[ note 2] Ibid.