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"Au Lion d’Arras et à ceux qui l’aiment"

Le 21 octobre 1914, le lion d'Arras qui trônait au sommet du beffroi depuis 1842 est abattu lorsque ce dernier s'écroule à 10 h 50, victime des intenses bombardements de l'armée allemande. Érigée en symbole de la ville martyre, sa dépouille est extraite des ruines et conservée au palais Saint-Vaast où elle est encore exposée aux regards des visiteurs du musée des beaux-arts. Ce n'est qu'en 1929, à la suite de la reconstruction du beffroi, qu'un nouveau lion le remplace à son sommet.

L'hommage et l'appel à la patience qu'il a inspiré, publié dans l'Artois renaissant du 16 mai 1918, est signé d'un pseudonyme issu du surnom donné aux habitants de l'Artois : les "boyaux rouges".

Au Lion d'Arras

Et à ceux qui l'aiment

Je t'admirais jadis, quand tu dominais la cité d’Arras et l'Artois tout entier, maintenant je t'admire encore, et je t'aime surtout ; symbole de la petite patrie meurtrie elle aussi, et meurtrie comme toi par les ignobles, notre contrée est cependant fière encore, fière toujours, d'une fierté semblable à la tienne.

Un journal, un seul, a survécu à la ruine d'Arras, il a voulu porter ton nom. Un artiste soldat, défenseur de la cité, a voulu tracer d'une plume nerveuse ton effigie pour illustrer la manchette de ce journal, et c'est avec raison qu'il a mis le casque prussien sous ta griffe puissante. J'aime à regarder cette image ; je t'y vois très grand, très fort encore, bien que renversé de ce trône élevé et splendide que l'amour de nos pères t'avait dressé. Est-ce un mal après tout ? Aussi bien, quelles désolations verrais-tu de là-haut, dont la vue t'est épargnée d'en bas.

Ton regard de terrien se fixe sur les ruines les plus proches, sur les merveilles de pierre de l'antique cité et tu montres des crocs formidables ; on devine que tu rugis de rage ; c'est là ton souvenir au passé.

Mais, tu arbores toujours avec la même fierté la bannière d'Artois ; ah ! tu songes au grand réveil, tu songes au grand relèvement total et prochain, tu cambres tes reins puissants, et déjà le casque prussien est sous ta griffe… Je crois voir écrit sur l'oriflamme que tu dresses ce cri des seigneurs d'autrefois :

À moi, mes féaux chevaliers !

Et ton appel sera entendu, il l'est déjà et les meilleurs des fils de l'Artois, parmi ceux qui ne sont pas armés pour battre l'agresseur, travaillent au grand œuvre du grand relèvement.

Ils ont bien mérité de toi, ces vaillants qui déjà avaient repris en main l'équerre et la truelle, pour réparer les ruines. Si leur geste fut trop précipité, il n'en est que plus beau. C'est le geste même du soldat qui, au moment de l'attaque, devance le signal et précède son bataillon. Ils ont pris l’outil en main, et si un repos leur est imposé, ils n'en auront que plus d'ardeur pour les futures reconstructions.

De même ces laboureurs qui, sous le feu de l'ennemi, avaient remis en culture tant d'hectares de terre. Leur empressement, pour trop hâtif qu'il fut, demeurera comme le plus bel exemple de l'attachement fidèle du sol de la petite patrie à la glèbe de nos aïeux.

Ils ont bien mérité de toi ces hommes probes et prévoyants dont tout le cœur et toute l'intelligence ont tendu à préparer l'outil, le grand outil, le plus puissant des outils, ce levier géant, sans lequel toutes les entreprises modernes sont vouées à la stérilité, je veux dire le crédit. Trouver des capitaux, les répartir en des mains dignes, les employer au mieux des grands intérêts du pays entier, pour que l'usine et la ferme renaissent de leurs cendres, c'est un travail ardu et que méconnait trop souvent la reconnaissance publique.

S'unir, se préparer, agir, tels furent les trois termes du programme que se tracèrent ces fils dévoués de l'Artois artisans de sa richesse passée, artisans surtout de sa richesse future. Et grâce à leur effort géant, voici que vont être prêts les grands moyens de relever les ruines. Un temps très court encore, et l'Artois renaîtra de ses cendres.

Dans sa capitale aux murs inviolés, tu retrouveras ton trône de jadis, vieux Lion immortel. Et de là-haut, tu reverras les blés d'or de la plaine artésienne, les villages repeuplés, les usines florissantes, les houillères laborieuses, et, à tes pieds, une cité antique toujours, mais moderne en même temps.

Patience, Lion d’Arras, supporte encore ce jour maussade, car grâce aux fils d’Artois, voici venir un lendemain bien beau.

Je t'admire et je t'aime.

Le Boyau Rouge

 L'Artois renaissant, jeudi 16 mai 1918. Archives départementales du Pas-de-Calais, PF 92/2.