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Une grande entreprise de reconstruction

Le Lion d'Arras, dès le lancement de deux grandes enquêtes au premier semestre 1916, puis L'Artois renaissant se font le relais des vifs débats consacrés aux questions économiques et urbanistiques soulevées par la reconstruction de la ville d'Arras. C'est aussi l'occasion de mettre en lumière les industriels remarquables, telle la société d'entreprises de construction et de travaux publics d'Arras, dirigée par des notabilités locales et qui travaille au relèvement de la cité.

Photographie noir et blanc : le personnel de la société d'entreprises de construction et travaux publics d'Arras pose en groupe devant la façade de l'entreprise surmontée de l'inscription au fronton "Haultcoeur-Lamiral".

Société d'entreprises de construction et travaux publics d'Arras, rue Jeanne d'Arc : photographie du personnel devant la porte de l'entreprise (1919-1920). Archives départementales du Pas-de-Calais, 1 J 1922.

Fondée le 19 février 1918, celle-ci réunit trois sociétés du bâtiment : les entreprises générales Haultcoeur-Lamiral fondées en 1884, les entreprises de menuiserie et charpente Francis Bernaud créées en 1837, et l'entreprise de béton armé Jean Tétin, née en 1898. Elle s'intègre au mouvement général de concentration des capitaux et des moyens de production et illustre ainsi la nécessaire modernisation structurelle des entreprises après la guerre. Elle a été constituée sous la forme d'une société anonyme, avec un capital primitivement fixé à 3 millions de francs, porté à 8 par l'assemblée générale extraordinaire du 25 novembre 1919, grâce à l'émission de 20 000 actions au nominal de 250 francs entièrement libérées.

Parmi ses administrateurs, on retrouve le président de la chambre de commerce d'Arras, Thomas Griffiths, en qualité de président du conseil d'administration, Jules Boulanger, entrepreneur de travaux publics à Lens et administrateur de l'Association centrale pour la reprise de l'activité industrielle dans les régions envahies, Jean Tétin, juge au tribunal de commerce d'Arras, qui a le titre d'administrateur délégué, ainsi que Jean Bries, agent de change à Bruxelles, André Robert, banquier à Arras et Paris, et Louis Desruelles, un propriétaire de Fouquières-lès-Lens.

Du fait de la guerre, un champ d'action considérable s'est ouvert à Arras et dans les régions limitrophes. La société, dont la durée de vie a été fixée à trente ans, effectue des expertises pour les sinistrés (sur la base du service des expertises des dommages de guerre, créé dès 1915 par ses futurs promoteurs), commercialise des matériaux ou prend en charge des opérations immobilières. La fusion lui a permis de répondre efficacement aux appels d'offres lancés souvent en lots par les collectivités publiques, principaux donneurs d'ordre du secteur. Bien plus, ses dirigeants entendent contrôler la chaîne entière des opérations liées à la reconstruction, depuis la production de matériaux en bois et briques ou de serrures, le transport via un service de camionnettes et le raccordement des entrepôts au canal et au chemin de fer, ou la construction elle-même. Elle revendique d'être à la pointe de la modernité en offrant de nombreuses compétences en matière de béton armé ; et le compte de remploi atteste de son investissement dans l'électrification et la motorisation de la production.

Elle possède une scierie mécanique à La Charité-sur-Loire, acquise dès 1918, et installe une briqueterie à Maroeuil, sur un terrain de 35 hectares raccordé au chemin de fer de la compagnie du Nord. Son siège social, tout comme l'usine dirigée par Henri Haultcoeur, se situent rue Jeanne d'Arc à Arras. Les ateliers, bureaux et magasins sont aux numéros 14 et 16, au coin de la rue Beffara, sur laquelle ils donnent également. C'est d'ailleurs à cette adresse que se trouve l'habitation des époux Haultcoeur-Lamiral. Outre des entrepôts édifiés sur une étendue d'environ 75 000 m2 à proximité du canal dans le quartier Méaulens (sur une propriété acquise des familles Pirker, Mallez et Carlier), la société dispose de magasins à Achicourt sur 3 000 m2. Pour répondre aux besoins considérables de la ville d'Arras et des communes environnantes, elle possède aussi un chantier et un dépôt de marbrerie et monuments funéraires.

Pour attirer et fixer une main-d'œuvre croissante au fur et à mesure du développement de ses affaires, elle procède à l'édification de maisons ouvrières pouvant recevoir plusieurs centaines de personnes.

La société d'entreprises de construction et de travaux publics d'Arras va se voir ainsi confier de grands chantiers, en participant notamment aux travaux de reconstruction à Arras de l'église Saint-Jean-Baptiste, de la Petite Place, du palais Saint-Vaast et de l'hôtel de ville.

Pour la reconstruction

Une grande entreprise de reconstruction

Dans deux numéros récents, le Lion d'Arras a fait connaître à ses lecteurs deux entreprises des plus intéressantes au point de vue de la reconstitution industrielle des régions dévastées ; nous allons aujourd'hui leur en présenter une autre qui mérite, à un degré au moins égal, notre attention et notre sympathie : d'abord parce qu'elle est l'œuvre presque exclusive de plusieurs de nos concitoyens ; ensuite parce qu'elle s'est fixée pour but la première et principale tâche : celle de relever nos habitations ; et enfin parce que, avec une décision et une promptitude que les circonstances ont mal récompensées, elle s'est mise résolument à l'œuvre sans même attendre la délivrance ; grâce à elle, un grand nombre de maisons que la pluie ruinait peu à peu ont reçu la couverture indispensable et, peut-être à cause d'elle, survivront aux épreuves actuelles. Tous nos lecteurs m'ont compris ; je n'ai pas besoin de nommer la "société de constructions et travaux publics d'Arras".

Déjà, en décembre dernier, un de nos amis, réfugié à Paris, nous avait demandé de signaler cette initiative ; nous l'avons fait bien volontiers. L'enquête commencée par le Lion d'Arras nous a fourni l'occasion d'aller au centre même de l'entreprise, dont le siège est installé 22 rue de la Banque à Paris.

Il suffirait d'y nommer le Lion d'Arras pour être reçu, dirai-je à bras ouvert ; avec une amabilité charmante, M. Bries voulut bien se mettre à notre disposition pour nous faire visiter ses locaux et nous expliquer par le menu la vaste entreprise dont il est le directeur.

On sent, partout où l'on passe, qu'Arras et non Paris est le véritable centre de la société ; sur les murs s'étalent d'immenses cartes en couleurs, portant le détail de nos avances, des gravures, des lithographies, des eaux fortes représentant Arras et ses principaux édifices.

On l'a dit avec raison, l'avenir appartient aux forces qui sauront se grouper ; nous en voyons dans cette entreprise une preuve nouvelle. Quelques-uns de nos concitoyens ont compris que l'après-guerre demanderait des moyens puissants et ils les ont cherchés dans l'union et la collaboration : ainsi se sont réunies de nombreuses activités et compétences ; trois des principaux entrepreneurs d'Arras se sont groupés afin de pouvoir assumer ensemble une large part du lourd travail auxquels nos concitoyens s'attelleront sitôt la délivrance assurée : M. Hautcœur-Lamiral, pour la construction en général, M. Jean Tétin spécialisé dans les travaux en ciment et béton armé, M. Francis Bernaud dans la charpenterie, la menuiserie et l'ébénisterie.

Ajoutons que M. Robert, le sympathique banquier d'Arras, a pris à cœur le plein succès de l'affaire, ce qui n'est pas une des moindres garanties de ce succès. On sait d'ailleurs que M. Robert, a l'instar de M. Fernand Quiquet, le nouveau directeur de la Banque de France, avait, dès la fin de 1917, rouvert ses guichets à Arras, donnant ainsi un bel exemple de vaillance civique et de foi dans le relèvement.

À côté de ces artisans de la prospérité matérielle, et pour féconder leur effort ainsi que pour en élargir la portée, se trouvent d'autres personnalités bien connues pour la part qu'elles ont prise dans la vie et dans les affaires de notre cité.

Voici plus de deux ans que ces intelligences et ces volontés sont tendues vers les problèmes que suscite le relèvement économique de notre région dévastée ; déjà elles ont mis sur pied :

  1. Un bureau d'expertises concernant les dommages de guerre, pour la constitution des dossiers d'indemnité ;
  2. Une entreprise générale qui porte le nom de "société de constructions et travaux publics d'Arras" ;
  3. Un service de transaction immobilière pour la vente, l'achat, la location et l'échange de terrains et maisons.

Mais de telles créations auraient été condamnées à la stérilité si elles n'avaient disposé du personnel et du matériel nécessaires ; il suffit d'une visite au siège administratif pour se rendre compte que les abeilles sont au complet dans la ruche ; il en était de même à Arras avant les événements que l'on sait. Les matériaux eux aussi étaient accumulés en grande quantité à Arras, comme ils le sont encore à Paris et chez les fournisseurs ; le travail venait de commencer, ardent et résolu ; on réparait, on consolidait d’abord, prêt à reconstruire dès que les événements le permettraient…

Hélas !... la tempête a renversé la maison qui, laborieusement, s'édifiait sous la menace de l'orage ; il n'en reste rien aujourd'hui ; et l'on serait tenté de reprocher à ses auteurs cet effort inutile.

Grave erreur ; je le disais tout-à-l’heure, combien de nos maisons supporteront mieux les mois qui passent à cause des pansements définitifs ou provisoires, posés hier sur leurs blessures.

Et ce n'est pas tout ; il ne reste rien de la maison, disais-je, c’est-à-dire de l'entreprise même ; mais il reste l'accumulation de matériaux restés à Paris ou qui a pu y être ramené ; il reste la somme de travail intellectuel qui avait préparé la mise en route et l'expérience de ceux qui présidaient à la réalisation des projets ; il reste l'âme qui édifiait la maison et qui lui a survécu pour reprendre demain la tâche abandonnée ; il reste aussi un bel exemple d'intelligente hardiesse et de volonté tenace.

Nous avons voulu le faire connaître ici.

Lucien Declercq

L'Artois renaissant, mercredi 26 juin 1918. Archives départementales du Pas-de-Calais, PF 92/2.