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Union des fabricants de tulles de Calais

Le tulle et la dentelle de Calais jouissent d’une réputation internationale. Avant-guerre, cette industrie faisait déjà les beaux jours de la cité portuaire, les deux-tiers de sa production étant expédiée dans le monde entier. Mais le conflit déclenche une crise sans précédent au sein de ce secteur d’activité, si bien que les fabricants de Calais décident de mutualiser leurs moyens pour tenter de sauver leurs entreprises.

Le tulle et la dentelle de Calais en difficulté

Carte postale noir et blanc montrant l'intérieur d'un atelier textile.

Calais. L'industrie tullière. Atelier d'ourdissage. Édition Grand Bazar Lafayette. Archives départementales du Pas-de-Calais, 5 Fi 193/503.

Ce savoir-faire s’est développé à Calais au début du XIXe siècle, à la suite de l’exode de tullistes anglais, cherchant à améliorer leurs conditions de vie. Arrivés en France, certains gagnent les villes à forte tradition textile (Douai, Lille ou Caudry dans le Nord, mais aussi Saint-Quentin ou Rouen), tandis que d’autres font le choix de s’installer à Calais dès 1816, séduits par la proximité géographique de la région avec le Royaume-Uni. Dès lors, Calais peut s’ouvrir à l’ère de l’industrie dentellière.

Mais dès le début de la Première Guerre mondiale, les fabriques commencent à tourner au ralenti. Les industriels doivent d’une part faire face à une pénurie de matières premières, mais surtout, ils se retrouvent confrontés au problème de la main-d’œuvre : les ouvriers tullistes ont été mobilisés en grand nombre et leur haut degré de qualification les rend difficiles à remplacer. Ces facteurs expliquent que le secteur est touché par la crise à l’été 1915.

Des mesures pour maintenir l’activité : la rationalisation du temps de travail

Pour faire face à ces difficultés, les tullistes décident d’unir leurs efforts, comme l’évoque un article du Télégramme du 27 décembre 1917 intitulé "Vers la solidarité industrielle":

Aujourd’hui les fabricants se groupent plus étroitement encore pour faire face à d’autres dangers.
Nous les avons vus tenir des assemblées où furent discutées les questions concernant le fonctionnement des grandes usines, le paiement régulier des droits de location d’emplacement, de force motrice, d’éclairage, les heures de travail, etc.

Le Télégramme, jeudi 27 décembre 1917. Archives départementales du Pas-de-Calais, PG 9/28. 

Carte postale noir et blanc montrant l'intérieur d'un atelier textile.

Calais. L'industrie tullière. Métier à dentelle. Édition Grand Bazar Lafayette. Archives départementales du Pas-de-Calais, 5 Fi 193/506.

Les quelques 375 fabricants, qui totalisent plus de 2 500 métiers à tisser, ne sont en effet pas tous égaux face aux obstacles. Beaucoup d’entre eux louent un emplacement dans une usine et paient un loyer pour leurs charges. Mais le coût de ce dernier étant calculé en fonction du nombre d’heures travaillées et non en fonction du nombre de métiers, les inégalités se creusent entre petits patrons et exploitants de plus grande taille. Ceux qui ont réussi à garder une main-d’œuvre suffisante exploitent au maximum la force motrice fournie par les usiniers au sein de leurs locaux, tandis que les fabricants esseulés ne parviennent plus à dégager de bénéfices.

C’est pourquoi la chambre syndicale des fabricants de tulles et de dentelles entame des négociations pour rationaliser le coût du travail et contenter tout le monde. Les différents acteurs tombent finalement d’accord pour terminer les journées à 17 heures : les usiniers économisent ainsi le charbon, combustible indispensable pour faire tourner les machines mais qui se raréfie au fil des mois, les petits patrons diminuent la cadence tout en rentrant dans leurs frais et les ouvriers peuvent rentrer en sécurité chez eux avant l’heure du couvre-feu.

D’autres mesures de regroupement se succèdent pour maintenir l’activité, peut-on lire aussi dans les colonnes du Télégramme :

Il y a quelque temps s’est constituée à Paris une société qui a pris notamment pour objectif d’assurer aux fabricants calaisiens, petits ou grands, des facilités nouvelles pour la vente de leurs produits. Elle se charge non seulement d’offrir les articles fabriqués aux acheteurs, en fixant des prix de vente suffisamment rémunérateurs pour permettre à chacun d’y trouver son compte, empêcher l’avilissement des prix résultant de la nécessité pour un fabricant dans la gêne de réaliser coûte que coûte la valeur de ses marchandises en magasins, mais elle se charge également de la mise en lieu sûr des stocks fabriqués pour les écouler méthodiquement au mieux des intérêts de chacun.

Le Télégramme, jeudi 27 décembre 1917. Archives départementales du Pas-de-Calais, PG 9/28. 

Le groupement financier des fabricants de dentelles de Calais contre les risques de la guerre

Le 21 décembre 1917, une nouvelle réunion des fabricants de tulles rassemble une centaine d’entrepreneurs. Le secrétaire de la chambre syndicale des fabricants de tulles et de dentelles s’y exprime en ces termes :

Nous avons, dit-il, réuni les fabricants pour leur communiquer un projet établi par les membres du comité de la chambre syndicale en vue de fonder un groupement financier contre les risques des bombardements aériens ou autres. Cette association aurait pour but de donner aux membres de la fabrique qui y participeraient et qui pourraient être frappés, un secours immédiat leur permettant de remettre leur matériel en état et de donner de l’ouvrage à leur personnel.

Travail dans l’industrie textile : rapport du commissariat de police de Calais sur une réunion des fabricants de tulles de Calais tenue le 21 décembre 1917. Archives départementales du Pas-de-Calais, 2 Z 143.

Carte postale noir et blanc montrant l'intérieur d'un atelier textile détruit par un bombardement.

[Vue intérieure de l'usine de tulle Quillet, rue Charost, à Calais, dévastée par un bombardement], 1917. Photographie. Archives départementales du Pas-de-Calais, 43 Fi 319.

L’idée est acceptée à l’unanimité. Il paraît en effet vital de protéger les métiers dont les coûts de réparation ou de remplacement ont explosé en raison de la guerre (un métier coûte entre 10 et 12 000 francs). Les compagnies d’assurances l’ont bien compris et gonflent exagérément les taux de police contre les risques de destructions dues à un bombardement, comme le souligne l’article "La fabrique à l’abri de la ruine" publié le 12 décembre dans Le Télégramme

Sous le nom de "Groupement financier des fabricants de dentelles de Calais contre les risques de la guerre", la nouvelle caisse de prévoyance des fabricants propose à ses adhérents une souscription représentant 1 % de la valeur de leur matériel estimé par leur police d’assurances traditionnelle, à payer chaque semestre. En échange, les fabricants reçoivent immédiatement en cas de sinistre 50 % de la valeur estimée. L’idée n’est pas de faire recette, mais bien de mutualiser les moyens pour faire face aux aléas de la guerre, d’autant que les bombardements sur Calais ont repris avec force (la ville a connu quinze bombardements depuis le début de l’année, qui ont causé 151 morts et blessé 365 autres personnes). Le risque est donc bien réel.

Les archives départementales du Pas-de-Calais conservent d’ailleurs trente-cinq dossiers de tullistes et de dentelliers calaisiens qui ont été déposés à l’Office de reconstitution industrielle (sous-série 10 R 19).

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