Le 6 septembre 1812, à l’occasion des fêtes d’Arras, un aéronaute nommé Augustin s’élève dans les cieux devant un public nombreux. Une aquarelle, acquise par les archives départementales du Pas-de-Calais le 18 octobre 2019, témoigne de cet événement qui a certainement dû marquer les esprits, à peine trente ans après l’invention de la montgolfière.
L’image d’un exploit
La présente aquarelle, sur traits de crayon noir, a été réalisée sur un papier vergé très épais filigrané D. L. F.
, mesurant 25 x 40 cm. On remarque un petit manque, anciennement restauré, dans la partie supérieure. Le dessin n’est pas signé, mais l’auteur est, sans aucun doute, également, le personnage central de l’œuvre.
Ce dernier, en habit rouge, se tient debout dans une nacelle en forme de croissant. Celle-ci est rattachée à un ballon gonflé à l’hydrogène (gaz onze fois plus léger que l’air), aux rayures bleues et blanches et pavoisée de plusieurs drapeaux. Le ballon a un diamètre d’un peu plus de 7 mètres, pour un volume de 217 mètres cubes. Il est pourvu d’une soupape qui peut être actionnée afin de libérer le gaz et perdre en altitude. L’ensemble, aéronaute compris, pèse alors environ 130 kg.
L’aérostat survole une plaine noire de monde. On imagine les acclamations provenant de la foule ! Un avis de la mairie d’Arras, en date du 5 septembre 1812, indique que l’ascension a lieu le lendemain à 2 heures de l’après-midi, dans la plaine du Manège. Le nom de cet endroit a aujourd’hui disparu ; il semble toutefois correspondre à l’actuel parking situé entre la rue Sainte-Claire (rebaptisé rue du Manège en 1793) et le boulevard Vauban. À l’arrière-plan, on devine d’ailleurs des bâtiments qui existent toujours, telle que la longue bâtisse qui longe le Crinchon, ainsi que la Porte royale de la citadelle.
Une précieuse lettre
Au dos du cadre où se trouvait l’aquarelle, était collée une lettre fatiguée par le temps et en partie déchirée. Cette lettre, adressée au préfet, Jacques-François de La Chaise (1743-1823), a été rédigée par Charles-Henri Augustin. Dans cette dernière, l’aéronaute donne de précieuses informations sur le déroulement de son vol qui l’a emmené à près de 40 kilomètres de la cité artésienne :
Augustin aéronaute breveté, peintre du Roi de Westphalie
À Monsieur le Général Préfet du département du Pas-de-Calais, Baron de l’Empire, officier de la Légion d’honneur.Monsieur le Général,
J’ai l’honneur de vous annoncer que mon 18ème voyage aérien s’est terminé sans aucun accident à cinq heures et un quart dans une plaine entre Acheux et Léalvillers, à près de 4 myriamètres d’Arras (département de la Somme). J’ai été parfaitement reçu par les habitans et par le propriétaire du château, qui a signé le certificat que m’a délivré Monsieur le juge de paix en l’absence du maire.
Ne pouvant aujourd’hui me rendre à Arras, toutes mes recherches pour me procurer une voiture ayant été vaines, je me suis transporté à Monchy où je passe la nuit ; et demain matin je prendrai la liberté de me présenter à votre hôtel, pour avoir l’honneur de vous témoigner, Monsieur le Général, la reconnaissance dont je suis pénétré pour vos bontés.
J’ai l’honneur d’être avec le plus profond respect, Monsieur le Général, votre très humble serviteur.
[signé :] Augustin.
Précisons juste que le château en question doit être celui de l’Épine, situé à Acheux-en-Amiénois et que le village où Augustin a passé la nuit du 6 au 7 septembre 1812 est certainement Monchy-au-Bois, situé à mi-chemin entre les deux points de son voyage.
Malheureusement, le fonds de la justice de paix d’Acheux-en-Amiénois, conservé aux archives départementales de la Somme (4 U 2), ne contient aucune pièce antérieure à 1885. Donc pas de trace de ce côté-là. D’autres sources permettent, toutefois, de contextualiser le voyage.
L’ascension d’Augustin devait être l’un des moments forts des festivités organisées par la ville d’Arras, du 23 au 25 août 1812. Pourtant, le spectacle qui devait avoir lieu le lundi 24 août a dû être décalé au dimanche 6 septembre ; peut-être pour des raisons climatiques ? Quelle que-soit la ville où Augustin se présente, il semble qu’il utilise le même modus operandi. Il précède son départ de plusieurs expériences intéressantes relatives à son art, telles que ballon d’essai, explosion d’un ballon, etc.
. Et sitôt que la montgolfière prend suffisamment d’altitude, il jette par-dessus bord quelques drapeaux et un lapin blotti dans une cage d’osier équipée d’un parachute.
Augustin, artiste et aventurier
Charles-Henri Augustin est né à Dijon le 15 septembre 1779, dans une famille d’artistes. Il est, en effet, le fils de Georges Nicolas Toussaint Augustin, dit Augustin Dubourg (1758-1800), et de Jeanne Forestier, et le neveu de Jean-Baptiste Jacques Augustin (1759-1832).
À l’âge de 15 ans, Charles-Henri s’inscrit à l’école de l’académie de Paris et en 1800, il prend des leçons auprès de son célèbre oncle, miniaturiste. Devenu peintre et miniaturiste comme ses parents, c’est tout naturellement qu’il prend comme nom d’artiste Augustin jeune, Augustin fils ou Augustin neveu. Il se démarque, cependant, par la technique qu’il utilise : ses miniatures sont faites de silhouettes sur papier, peintes à l’aquarelle, découpées et collées sur un fond de papier coloré. Même si notre homme n’a pas le talent de son oncle, il jouit tout-de-même d’une certaine notoriété.
Tout en continuant sa carrière d’artiste, Augustin se tourne vers celle d’aéronaute, expérimentant ballons aérostatiques et sauts en parachutes. Comme, on le voit sur la lettre, il se présente comme étant "aéronaute breveté, peintre du Roi de Westphalie", ayant peut-être réalisé une miniature de Jérôme Bonaparte (1784-1860). À ses talents, Augustin peut ajouter celui d’un excellent communiquant, soignant ses relations avec les journaux et les autorités locales. Il semble qu’il ait l’habitude de témoigner de ses précédents voyages par des dessins de sa main.
L’intrépide aéronaute parcourt alors la France pour faire des spectacles d’ascension en ballon. Celle présentée ici est la dix-huitième, comme indiquée dans sa lettre. Avant de se rendre dans le Pas-de-Calais, il avait déjà effectué :
- trois ascensions à Versailles,
- trois à Paris,
- deux à Rouen,
- deux à Rotterdam,
- quatre à Amsterdam,
- une à Lille (le 31 mai 1812),
- une à Douai (en juillet)
- et enfin une à Cambrai (le 15 août).
Après son périple au-dessus de la préfecture du Pas-de-Calais, Augustin a poursuivi ses voyages aériens pendant encore plusieurs années. Il existe ainsi des relations de ses 30e à 33e ascensions faites à Lyon, en 1817.
Au-delà de leur côté sensationnel, les ascensions ont aussi des prétentions scientifiques. Sa nacelle est ainsi équipée d’un thermomètre, d’un baromètre, d’un électromètre et d’un hygromètre lui permettant de relever des mesures précises. Il les inscrit sur un billet qu’il attache au col d’un pigeon voyageur qu’il embarque également avec lui. Dans le récit d’un de ses voyages publié dans le Journal de Rouen, le 23 novembre 1805, on voit qu’il surveille même son rythme cardiaque : mon pouls devenait de plus en plus accéléré, et le nombre de ses pulsations qui était de 64 à 66 par minutes à terre, se trouvait de 90 à 92
.
Malgré ses activités, il semble que l’existence de Charles-Henri Augustin ait été marquée par des soucis d’ordre pécuniaire. À l’âge de 18 ans, le 25 octobre 1797, il se marie avec Julie-Victoire Merle de Beaulieu, qui lui donne quatre enfants. En 1805, il quitte Paris pour Rouen, peut-être dans l’espoir de trouver moins de concurrence dans la confection de portraits en miniature. Abandonné par son oncle et son épouse, à cause d’ennuis judiciaires, il meurt dans le dénuement à l’âge de 40 ans, le 29 septembre 1819, dans un appartement situé 5 rue Montesquieu à Paris. L’inventaire après décès conservé au Archives nationales (cote MC/RE/XXI/13) témoigne de l’indigence totale de l’artiste.