Né en Angleterre, Thomas Griffiths passe néanmoins toute sa vie dans notre région, et notamment à Arras où il appartient à de nombreux cercles éminents, en plus d'être à la tête d'une entreprise prospère. Exemple d'un gentleman artésien symbole d'une intégration réussie...
Né le 6 janvier 1866 à Broughton (commune de Salford), près de Manchester en Angleterre, Thomas Griffiths est le fils d’un ingénieur originaire de Rhayader (Galles du Sud), John Owen Griffiths (1830-1912), et de son épouse Elisabeth Jones (1832-1907).
Une brillante carrière
Son père s’installe en France vers 1868, comme directeur de l’usine de constructions mécaniques Walker et Cie à Lille. Lui-même débute comme représentant de commerce à Paris (il demeure 64, rue Tiquetonne, en 1887), mais épouse le 8 novembre 1887 une Arrageoise, Aline-Élise Caby (1865-1938), fille d’un fabricant d’huiles domicilié dans la capitale, Edmond Caby, et de Maria-Flore Bourdrez.
Il se fixe peu après à Arras et s’associe dès le mois d’août 1888 avec les frères Louis et Paul Dieu, au sein de la société de courtage Dieu frères et Cie, spécialisée dans le commerce des huiles, puis avec le second d’entre eux à partir du 1er mai 1890. Entre juillet 1893 et août 1895, il rachète les parts indivises du domicile de ce dernier, aussi siège de la société, au 60 Grand Place, et l’agrandit dix ans plus tard par l’acquisition d’un magasin rue de la Fleur-de-Lys.
Thomas Griffiths obtient la nationalité française par décret du Président de la République du 9 novembre 1895. Il est un organisateur et un animateur infatigable de la ville d’Arras. Ayant embrassé les convictions religieuses familiales en devenant président des consistoires presbytéraux local puis régional, il occupe en outre la fonction de juge au tribunal de commerce de décembre 1899 à 1909, date à laquelle il en devient le président. Maintenu à ce poste pendant la Grande Guerre, il est successivement réélu en 1919, 1921 et 1923.
Il est administrateur de la caisse d’épargne d’Arras en 1902 puis, à partir de 1904, conseiller municipal (jusqu’en 1919), mais aussi président de la société de gymnastique et d’armes d’Arras et vice-président de l’association des gymnastes du Nord et du Pas-de-Calais. Il est décoré du titre d’officier d’académie en 1904 puis d’officier de l’instruction publique en 1906. En relation avec les groupements commerciaux tunisiens, il est fait chevalier du Nichan Iftikhar en 1911 (et sera plus tard promu commandeur).
Huileries Griffiths et Fils
En août 1913, il s’associe avec son fils aîné, Edmond (1888-1965), au sein de la société en nom collectif T. Griffiths et fils, pour les affaires de courtage et de commission en grains, graines, huiles, tourteaux et engrais.
Le 28 février suivant, ils acquièrent un établissement industriel situé sur la rive gauche de la Scarpe, entre Athies et Feuchy, comprenant :
- deux moulins à huile (dont l’un élevé sur fondations dans la rivière),
- un magasin pour les huiles et un second pour les tourteaux,
- une maison d’habitation
- et des dépendances.
L’usine produit des huiles végétales, extraites des graines d’arachide provenant du Sénégal et acheminées par péniche depuis le port de Dunkerque ; une roue hydraulique de 50 CV fait tourner les meules. Les résidus sont employés à la fabrication de tourteaux pour nourrir le bétail.
Après raffinage et filtrage, l’huile est conditionnée en fûts puis en bouteilles de verre : leur expédition se fait depuis la gare de Saint-Laurent-Blangy. 50 ouvriers travaillent alors à Athies et à l’huilerie familiale Bourdrez, à Blangy (soit une trentaine sur le site proprement dit), pour un total de 10 180 tonnes d’huiles, commerciales ou après transformation.
L’ensemble est détruit pendant la guerre, en même temps que le pont (un plan et quelques photographies sont consultables dans le carrousel Dossiers de reconstruction : l'exemple d'une entreprise artésienne). L’architecte Paul Decaux (qui assure parallèlement la restauration de la propriété arrageoise) est chargé d’en suivre la reconstruction à l’identique, en 1919-1920, mais avec l’adjonction de six maisons ouvrières.
La société commercialisera ultérieurement de l’huile de lin, qui entre dans la composition de la peinture.
Chevalier de la Légion d'honneur, entre autres titres honorifiques
De la mobilisation à l’évacuation d’Arras en octobre 1914, Thomas Griffiths est chargé, par le préfet et par le conseil municipal, d’assurer les approvisionnements en blé ainsi que la distribution des vivres. Il se rend de même disponible après guerre pour la reconstruction et la réorganisation de la ville : vice-président de l’association des sinistrés du Pas-de-Calais, il est aussi à la tête de la commission industrielle et commerciale de la Fédération des associations départementales des sinistrés, et est désigné comme administrateur secrétaire de l’Association pour la reprise de l’activité industrielle des régions envahies.
Il est en conséquence fait chevalier de la Légion d’honneur par décret du 29 septembre 1920, sur rapport du ministre des Régions libérées.
Thomas Griffiths occupe parallèlement des fonctions similaires au sein des organismes professionnels, tant avant qu’après la Grande Guerre (président du syndicat des fabricants d’huiles du Nord, vice-président de l’Union syndicale de l’huilerie française, délégué au comité de l’Incorporated Oil Seed Association de Londres ; président du Syndicat des fabricants d’huiles des régions envahies, du Comptoir général de l’huilerie des régions libérées).
Vice-président de la chambre de commerce dès 1926, administrateur de l’institution des sourds-muets et aveugles d’Arras et des hospices de la ville à partir de 1928, il siège aussi en tant que vice-président à l’Office des habitations insalubres et bon marché d’Arras puis en qualité d’administrateur à la société anonyme du Crédit immobilier du Pas-de-Calais dès le 18 octobre 1930 ; s’y ajoutent les vice-présidences de l’Union industrielle de crédit (dont il est l’un des fondateurs) et de la 1re Région économique, la présidence de la société des Amis du Musée d’Arras et les fonctions de trésorier de la Croix-Rouge.
Thomas Griffiths décède à Arras le 14 février 1953 ; ses obsèques ont lieu le 18, au Temple protestant de la ville. L’huilerie d’Athies, qui dépend depuis mars 1936 d’une société anonyme, Huileries Griffiths, cesse son activité quelques années plus tard.
Son fils Edmond Griffiths a présidé à son tour aux destinées de l’église réformée et de la chambre de commerce d’Arras. Le nom de la cité Griffiths à Arras témoigne de leur influence locale.