Au cours de la Première Guerre mondiale, différents types de réseaux de résistance vont se développer, tant au sein de l’armée que de la population civile. On peut distinguer notamment la résistance passive et la résistance active.
La résistance passive
L’inertie, l’insubordination, l’insolence ont constitué les principaux ressorts de la résistance passive, surtout dans la première phase de l’occupation, avant que les difficultés matérielles et le découragement ne s’installent.
La première forme possible d’hostilité, c’est l’indifférence qu’observe la population civile envers les Allemands, notamment en refusant de saluer leurs officiers. Des condamnations à des peines de prison sont en conséquence prononcées, pour outrage, injures ou rébellion. Les grimaces, les moqueries, les chansons insultantes sont également sanctionnées.
L’occupant sanctionne également ceux qui refusent de répondre aux ordres de réquisitions ou ne se plient pas aux consignes de travail forcé, comme à Lens le 2 mai 1915, où beaucoup de mineurs de la cité n° 14 refusent d’obtempérer.
Les sanctions frappent aussi les directeurs d’usines qui tentent de dissimuler leurs matières premières. Le 30 avril 1915, des ouvriers de Roubaix cessent la fabrication de sacs de jute destinés à protéger les tranchées allemandes. Le directeur – et également maire de Roubaix – Eugène Motte est interné avec d’autres notables à Güstrow (Mecklembourg) pour avoir refusé d’inciter les ouvriers à reprendre le travail. C’est en effet à partir de 1915 que la prise d’otages sanctionne les actes d’opposition et aboutit à la déportation.
Progressivement, toutefois, la rudesse de l’occupation et la lassitude de la guerre entraînent le découragement et la résignation de la population.
La résistance active
La résistance active, quant à elle, est plus structurée. Elle regroupe trois activités :
- l’organisation de réseaux d’évasion de militaires alliés et de civils ;
- la diffusion d’une presse clandestine (les Allemands répriment toute possession de journaux ou de tracts lancés par les avions alliés) ;
- la collecte de renseignements au profit des alliés.
Les groupes d’aide aux soldats français cherchant à éviter la captivité se forment les premiers, dès octobre 1914. Et cela, malgré les peines encourues : peines de mort pour les hommes et peines de prison pour les femmes et les adolescents.
La détention de pigeons-voyageurs – pour faire passer des renseignements – est de même passible de condamnation à mort. Des avis, placardés par les troupes d’occupation, avertissent la population des représailles répondant aux actes de résistance. On peut y lire les nom et prénom des personnes condamnées, le motif de leur condamnation, et la peine reçue.
Les "espions"
Pendant la Première Guerre mondiale, le terme "espion" est en général utilisé pour désigner les personnes qui s’opposent à l’occupation allemande. La France est l’un des premiers pays à s’être doté d’un service de renseignements professionnel et géré par l’État. Créé en 1871 sous l’autorité de l’armée, le Deuxième Bureau est en charge du renseignement sur les autres nations.
Les Alliés vont s’attacher à recruter, dans les régions occupées, des agents pouvant recueillir et transmettre des informations fiables sur le dispositif allemand. C’est à Folkestone qu’est installé le Bureau interallié de renseignements, sous la conduite d’un officier britannique, le major Cecil Aylmer-Cameron. Il dispose des données fournies par les 2ièmes Bureaux français et belge. Il supervise également deux antennes hors du Royaume-Uni : l’une est à Rotterdam, dans les Pays-Bas neutres, l’autre à Montreuil-sur-Mer, à l’arrière du front.
Parmi les "espions" de 1914-1918, plusieurs vont particulièrement se distinguer par leur courage, leur audace, leur ténacité et leur sens du devoir. Il s’agit de Léon Trulin, de Louise de Bettignies, d’Émilienne Moreau et d’Eugène Jacquet.
Léon Trulin
Léon Trulin est né le 2 juin 1897 à Ath en Belgique. À la mort de son père, la famille quitte sa ville natale pour s’installer à La Madeleine, puis à Lille. Âgé de 17 ans en 1914, la guerre est d’abord pour lui une période d’inaction. L’entreprise où il travaille ferme ses portes et le désœuvrement suit. Ne supportant plus de rester sans rien faire alors que les soldats ennemis se sont installés dans sa ville, que des hommes tombent au front, Léon Trulin se décide à partir le 30 juin 1915. Il gagne l’Angleterre pour s’engager dans l’armée belge, mais il est refusé, en raison de son aspect maladif.
Il se rend alors au quartier général anglais de la IVe Armée à Folkestone et y a une entrevue avec un officier anglais, M. Cameron, qui a comme attaché belge un volontaire de guerre, Louis Monthaye. Léon Trulin leur fait connaître le projet d’une organisation de renseignements qui recevrait l’appellation de système Noël Lurtin (anagramme de son nom) ou Léon 143. On lui confie alors une mission d’essai qu’il aurait à remplir en France occupée : il lui faudrait fournir des indications sur les troupes cantonnées à Lille et aux environs, sur l’aviation, les dépôts de munitions, les postes de télégraphie sans fil, la défense contre avions, l’artillerie et les emplacements de batteries.
D’Ath à Bruxelles, d’Anvers à la frontière hollandaise, il collecte ainsi de précieux renseignements.
Dans la nuit du 3 au 4 octobre 1915, Léon Trulin et son ami Raymond Derain venant d’Anvers se dirigent vers Putten, en Hollande, quand ils sont arrêtés par des sentinelles allemandes à la frontière belgo-hollandaise. Ils sont conduits à la prison des Béguines à Anvers. Le 12 octobre au soir, il est transféré en compagnie de son ami à la citadelle de Lille. Il y retrouve ses compagnons de résistance, arrêtés le 7 octobre.
Le 5 novembre, au terme d’une audience sommaire, dans la salle du Tribunal militaire allemand, installé dans les bureaux du journal La Dépêche à Lille, le verdict est rendu : Léon Trulin et Raymond Derain sont condamnés à mort et perdent leurs droits civiques à perpétuité. La sentence est soumise, deux jours plus tard, au maître tout puissant de la ville de Lille, le général von Heinrich. Il ne gracie pas Léon Trulin et commue la peine de mort de Raymond Derain en travaux forcés à perpétuité.
Quand Léon Trulin apprend l’irrémédiable décision, il note dans son carnet : Le 7 novembre 1915. À 4 heures 10, heure française. Reçu arrêt de mort vers 3 heures un quart. Je meurs pour la Patrie et sans regrets : simplement je suis fort triste pour ma chère mère et mes frères et sœurs qui subissent le sort sans être coupable.
Le 8 novembre 1915, dans les fossés de la Citadelle, Léon Trulin est fusillé.
Louise de Bettignies
Louise de Bettignies est née le 15 juillet 1880 à Saint-Amand-les-Eaux. À l’issue de ses études, elle acquiert une parfaite maîtrise de la langue anglaise et possède une bonne connaissance de l’allemand et de l’italien.
Peu après la déclaration de guerre, Louise et sa sœur Germaine vivent dans la maison familiale à Lille, tandis que leur mère se réfugie à Saint-Omer. Leur amie, Germaine Féron-Vrau (1869-1927), responsable départementale de la Ligue patriotique des Françaises et fondatrice de l’hôpital de la Croix-Rouge, les recrute toutes deux comme infirmières.
Du 4 au 13 octobre 1914, les troupes lilloises réussissent à tenir tête à l’ennemi pendant plusieurs jours, sous les intenses bombardements qui détruisent plus de 2 200 immeubles et maisons, en particulier dans le quartier de la gare. Louise de Bettignies assure la navette (munitions et aliments) avec les soldats qui tirent encore sur les assiégeants. Dans des hôpitaux de fortune, elle écrit des lettres en allemand, dictées par les soldats mourants allemands pour leur famille.
À la fin de l’année, elle accepte de passer en France quelques trois cents lettres, qu’elle avait recopiées à l’encre invisible sur ses vêtements. Elle entreprend le voyage pour arriver à Boulogne et rejoindre sa mère à Saint-Omer.
C’est au cours de ce premier séjour qu’elle est abordée tant par le deuxième bureau français que par l’Intelligence Service anglais, afin de mettre en place à Lille un service de renseignements. Elle accepte la proposition anglaise et dirige dès lors, depuis son domicile, un vaste réseau dans le Nord de la France. Sous le pseudonyme d’Alice Dubois, elle centralise des informations sur les mouvements des troupes allemandes. On estime qu’elle sauve la vie de plus d’un millier de soldats britanniques pendant les neuf mois de sa pleine activité (janvier à septembre 1915). Son réseau, le réseau Alice, est composé d’une centaine de personnes.
Louise de Bettignies est arrêtée par les Allemands le 20 octobre 1915 près de Tournai. Elle est condamnée à mort le 16 mars 1916 à Bruxelles, puis sa peine est commuée en travaux forcés à perpétuité. Détenue pendant trois ans, elle meurt le 27 septembre 1918, à l’hôpital Sainte-Marie de Cologne, des suites d’un abcès pleural mal opéré.
Sa dépouille est rapatriée le 21 février 1920 et, le 16 mars, une cérémonie funéraire est organisée à Lille au cours de laquelle elle reçoit à titre posthume la croix de la Légion d’honneur, la croix de guerre 1914-1918 avec palme, la médaille militaire anglaise et est faite officier de l’ordre de l’Empire britannique. Son corps est inhumé au cimetière de Saint-Amand-les-Eaux.
Émilienne Moreau
Émilienne Moreau-Évrard est née le 4 juin 1898 à Wingles. Sa famille s’installe en juin 1914 à Loos-en-Gohelle où son père, ancien mineur, a pris la gérance d’une épicerie-mercerie-bonneterie. Elle a seize ans lorsqu’il meurt, victime des privations.
Loos-en-Gohelle est alors occupée par les troupes allemandes. Son frère disparaît au combat un peu plus tard. En février 1915, les autorités allemandes ordonnent à Émilienne Moreau, qui voulait devenir institutrice avant guerre, d’ouvrir une école improvisée dans une cave pour faire la classe aux enfants de Loos. Mais l’engagement de la jeune fille va outrepasser ces simples fonctions d’institutrice.
Pour en savoir plus, voir l'anniversaire Naissance d’Émilienne Moreau-Évrard, dite Émilienne la Blonde ou Jeanne Poirier
Le comité Jacquet
Grossiste en vin, secrétaire général de la Fédération du Nord de la Ligue des droits de l’Homme, socialiste franc-maçon et pacifiste, Eugène Jacquet s’est rallié en 1914 à l’Union sacrée. Il parle couramment anglais pour avoir résidé aux États-Unis et au Royaume-Uni.
Avec des amis, Georges Maertens, Ernest Deconinck et le Belge Sylvère Verhulst, il met sur pied, grâce à l’appui du préfet Trépont, un réseau d’évasion et de renseignements.
On y trouve les frères Plouvier, industriels du textile qui en assurent le financement, mais aussi des fraudeurs professionnels pour le convoyage (Gaston Lécuyer, Léon Vestens ou Hippolyte Cloots), ainsi que Jean Vandenbosch, chargé du renseignement. Les missions d’Eugène Jacquet sont de récolter de l’argent, de loger et nourrir les fugitifs et de leur permettre de s’évader vers la Hollande, pays neutre, via la Belgique. Cette filière prend le nom de comité Jacquet.
Celui-ci est démantelé à la suite de l’affaire Mapplebeck : le 22 avril 1915, un aviateur anglais de ce nom, exfiltré un mois auparavant par le réseau, revient survoler Lille. Il largue une lettre dans laquelle il se moque du gouverneur allemand. Les occupants vont alors tout faire pour faire tomber le réseau. Plus de deux cents personnes sont arrêtées en juillet. Jacquet est condamné à mort par le tribunal militaire de Lille le 21 septembre 1915, ainsi que Verhulst, Maertens et Deconinck. Ils sont exécutés le 22 à l’aube. Les autres membres du comité sont condamnés à des peines de prison et à la déportation.