L’aventure des sœurs Delemer (Louise, Marguerite, Robertine et Constance) débute à Arras en 1770. Alors marchandes de faïence dans la rue Royale (en face de la porte du grand quartier des Casernes), elles décident de créer une fabrique de porcelaine rue de la Comédie (actuellement rue Désiré-Bras).
Car à cette époque, la porcelaine devient à la mode, comme en témoigne le succès des manufactures de Tournai ou de Saxe, mais les ateliers français n’étant qu’à leurs balbutiements (Limoges démarrait à peine), il faut la faire venir, souvent à grands frais, de l’étranger.
La fabrication de la porcelaine au XVIIIe siècle
Dès leurs débuts, les demoiselles Delemer sollicitent les États d’Artois afin d’obtenir une subvention de 20 000 livres qui leur permettrait de développer à plus grande échelle leur petite entreprise.
L’ensemble de la chaîne de production est réalisé sur place (broyage de la matière, tournage, modelage, moulage, cuisson, peinture) et nécessite des outillages encombrants.
Il s’agit d’une porcelaine tendre, s’inspirant, au départ, des formes et des décors de Tournai comme le "Ronda" (décor aux cinq bouquets) ; par la suite, on voit fleurir des motifs dits "à la brindille", couramment employés à Chantilly.
Le motif dit de "Monsieur de Calonne" (cette guirlande de fleurs s’inspire de la dentelle qui ornait le jabot de l’intendant d’Artois) est le seul prétendant à une origine locale.
Bien que l’atelier soit équipé pour traiter l’or (privilège pourtant réservé aux manufactures royales), l’essentiel de la production (services de table) utilise le bleu de cobalt, d’où l’appellation bleu d’Arras. On crée également des porcelaines polychromes au décor fleuri, mais leur coût élevé réduit considérablement leur fabrication.
Tous ces décors exigent le concours de plusieurs artistes attachés à l’établissement des demoiselles Delemer. À cette époque, les manufactures s’arrachent les ouvriers spécialisés qui venaient avec leurs meilleurs modèles. Émile Souilliart nous cite un certain Desmurailles, chef d’atelier et décorateur, qui venait de Saint-Amand et de Valenciennes où il s’était acquis une réputation méritée (Émile Souilliart, Les porcelaines d’Arras, 1911).
Le refuge de l'abbaye d'Étrun
Grâce au rapport favorable de l’inspection dépêchée par le Conseil d’Artois et au prêt accordé en juin 1772 (compte des États d’Artois pour 1771-1772, f. 43 ; archives départementales du Pas-de-Calais, 2 C 206), la fabrique arrageoise déménage, la même année, rue d’Amiens au refuge de l’abbaye d’Étrun et, toujours grâce à la protection des États d’Artois, fait construire un moulin à broyer dans la cour.
Deux ans plus tard, elle totalise huit ouvriers et douze manœuvres.
En 1776, comme l’atteste l’annonce présentée ci-dessous, publiée dans l’Almanach historique et géographique d’Artois, la manufacture est florissante et bénéficie d’une certaine réputation dans la région ainsi que de la reconnaissance de la qualité de ses pièces.
La société est dissoute le 22 septembre 1790 du fait, probablement, de l’âge avancé de ses fondatrices et de l’absence d’héritiers. Il faudra attendre Henri Caudron (1902-1977) pour qu’Arras renoue avec l’industrie de la porcelaine, et l’intérêt de quelques collectionneurs tels qu’Octave Petit (1828-1881) ou Émile Souilliart (1854-1911) pour que la porcelaine d’Arras soit reconnue comme objet d’art.
Transcription du document
Manufactures nouvelles,
Sous la protection des États d’Artois.
Messieurs de l’Assemblée générale des
États de la Province d’Artois, tou-
-jours attentifs au bien public,
accordent des encouragemens aux Sujets qui établis-
-sent de nouvelles Manufactures, protè-
-gent une Fabrique de Porcelaine, établie
depuis deux ans à Arras, rue d’Amiens.
Cette porcelaine est très belle, de bonne
qualité et souffre le feu. Ceux qui en dé-
-sireront, pourront s’adresser aux Demoi-
-selles DELEMAIRE [...]
Almanach historique et géographique d’Artois pour 1776, Arras, Michel Nicolas, p. 217. Archives départementales du Pas-de-Calais, BHA 1101/14.