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Recherche dans les fonds et collections d'archives
Une enquête datée du 14 octobre 1342, retrouvée dans le trésor des chartes d’Artois, fait mention d’une affaire bien particulière. Il y est question de l’évasion rocambolesque d’une femme nommée Mahaut d’Ivergny. Cette servante du seigneur d’Auchy avait alors été condamnée à être enfouie toute vive pour avoir volé ses maîtres. Cette affaire est sortie de l’ombre grâce à la venue d’une équipe télévisée qui a mené des recherches sur la découverte, dans le centre-ville d’Orléans, de trois squelettes de femmes vraisemblablement enterrées vivantes, il y a plus de 900 ans.Un procès à l’honneur…Le document mis à l’honneur aujourd’hui se présente sous la forme d’un rouleau long de 70 cm. Il s’agit d’une information diligentée, le 14 octobre 1342, par le bailli de Lens, Jehan de Chartres, pour comprendre comment une prisonnière a réussi à s’échapper de la prison d’Auchy (Auchy-les-Mines, aujourd’hui), quatorze ans auparavant.Cet acte transcrit les dépositions de onze témoins, produits par le seigneur de Bours, donnant des informations qui peuvent nous paraître assez surprenantes. Chaque témoignage rapporte peu ou prou la même histoire, avec parfois les mêmes termes. Le premier, celui de Kateline, la veuve du seigneur Robert d’Auchy, alors âgée de 50 ans, est certainement le plus instructif. En voici un extrait :[…] la femme dont li intendiz fait mention fu leur meskine, et pour draz que elle embla laienz, fu jugié pour larrechin par les hommes dudit seigneur d'Auchi a enfouir toute vive, et fu menee a le fosse pour enfouir, et quant elle fu a le fosse, elle se fist grosse, et pour che fu ramenee en le prison du seigneur d'Auchi, et la fu l'espasse de IIII moys en un chelier, en un chep de deux pies, et en une kainne couliche d'un de ses piés avoec che, et yssi hors du chep et de le cainne, et brisa le maisiere du bout du chelier ou elle estoit, et passa parmi lez fossés de le maison qui estoient plain de yawe, et par une soif qui estoit faicte du travers le fossé passa oultre lez fossés et lendemain quant li sires d'Auchi ses maris le seut, il sanla qu'il deust yssir du sens, et envoia en pluiseurs lieus pour querre le, et li cousta moult. Requise se elle eut confort ny ayde d'autruy que de lui qui li aydast a escapper, dist que elle ne set point que nulz li aydast onquez, ne confortast en aucune maniere. Requise comment li dite femme avoit a non, et dont elle estoit, dist que elle estoit d'Ivregny, et l'appeloit on Mehaut. On apprend ainsi, grâce au témoignage de Catherine (ou Kateline), qu’une femme nommée Mahaut, native du village d’Ivergny, était la servante (meskine) du seigneur d’Auchy et de sa femme. Elle aurait volé des draps à ses maîtres.Jugée pour ce larrechin, elle est condamnée à être enterrée vive (enfouir toute vive). Mais au moment de l’exécution de la sentence, devant la fosse, elle confesse être enceinte (elle se fist grosse).Elle est alors ramenée à la prison du seigneur, où elle est enfermée dans un cachot au sous-sol (un chelier), l’un de ses pieds attaché à une chaîne coulissante (une kainne couliche).Après quatre mois de captivité, elle parvient à briser le mur de sa cellule (brisa le maisiere du bout du chelier), traverse les douves pleines d’eau qui entourent la maison seigneuriale et réussit à s’enfuir.Quand Robert d’Auchy le découvre, le lendemain, il envoie plusieurs de ses hommes à la poursuite de la fugitive dans tout le pays. Il est fait mention, dans d’autres témoignages, qu’ils se sont rendus jusqu’à Boullongne et en pluiseurs autres lieus (ligne 44) ou à Lobbez dalez Tuin en Breban (ligne 64 ; Lobbes en Belgique). Ces lieux sont cités, car certainement hors de la main de la comtesse d’Artois. On apprend aussi que le seigneur d’Auchy estoit moult courchiez (ligne 64), c’est-à-dire qu’il était très irrité !Catherine, comme d’ailleurs tous les autres témoins, jure que Mahaut a réussi à s’échapper sans l’aide de personne.… dans le trésor des chartes d’ArtoisCet événement, digne d’un roman d’aventures, nous est parvenu grâce aux archives des comtes d’Artois, connues sous le nom de trésor des chartes d’Artois, conservées en série A. Le procès par lequel Mahaut d’Ivergny a été condamnée à cette peine de mort a malheureusement disparu. Seule la pièce cotée A 966/1 se rapporte à cette affaire. Le bailli de Lens est, en effet, intervenu pour le compte du duc de Bourgogne et comte de Bourgogne et d’Artois, Eudes IV. Ceci, semble-t-il, pour répondre aux contestations des héritiers de Robert d’Auchy, dont les droits de haute justice ont été confisqués par la comtesse Mahaut suite à cette affaire.Le trésor des chartes se compose, en fait, en trois parties :les chartes proprement dites (cotes A 1 à 121) ;la comptabilité des comtes d'Artois, de Thierry d'Hireçon, des villes et des hôpitaux et maladreries (cotes A 122 à 899) ;et des actes de la justice criminelle et civile (cotes A 900 à 1027).D’autres cas concernant la peine d’enfouissement vif apparaissent également dans ce fonds. Et ils ne se trouvent pas forcément dans des actes juridiques, mais dans des documents comptables !Par exemple, dans le rouleau coté A 294/2, est consignée la comptabilité du bailli d’Arras, Thomas Brandon, en 1312, qui exerce son pouvoir au nom de la comtesse Mahaut d’Artois. Comme pour toute comptabilité, il y a des recettes et des dépenses. Les recettes du bailliage sont entre autres la perception des taxes sur le transport des personnes et des marchandises et les amendes pour les délits mineurs. Les dépenses sont celles afférant à l'exercice de la justice, telles que les frais de déplacement pour la tenue des procès, l’entretien des geôles, des gibets, la rétribution des bourreaux, l’achat de fournitures (cordes, pelles, etc.). Ce sont des informations purement factuelles.On y trouve, ainsi, la mention suivante : le diemenche XVIe jour de jule quant Jehannete de le Busquiere fu enfoie toute vive pour plusieurs larrechins que elle avoit fait, pour le fosse faire XVIII d[eniers].Là encore, il est question de larcins. Rappelons que le larcin a, au Moyen Âge, une connotation plus grave que ce que l’on entend aujourd’hui, comme dans l’expression "menu larcin". Ici le larcin ne désigne pas un simple vol de subsistances. Il peut être commis avec violence. De surcroît, la récidive est encore plus sévèrement punie.Citons aussi l’exécution d’une autre voleuse, dont il est fait mention dans le rôle des comtes du bailli de Lens, Jean de Chartres, pour 1342 (A 571/4) : Pour pain livré à Marion Le Clariere [?] de Choques qui fu enfouye et justichié à Lens pour larrechins si fu prisonniere VIxx XV jours ; pour cascun jour II deniers valent XXII s. VI d..Le trésor des chartes contient probablement d’autres mentions de ce supplice, même si Jules-Marie Richard ne les a pas indiquées dans son inventaire sommaire. Seule une étude plus poussée de plusieurs centaines d’actes permettrait de les mettre à jour.Une justice médiévale inclémente ?Dans les esprits, le Moyen Âge a une image d’obscurantisme et de violence, certainement à cause des représentations écrites ou figurées qui nous sont parvenues. L’iconographie religieuse est ainsi pleine de morts violentes, comme celles du Christ et des différents saints.Les condamnations à mort ont, en outre, un caractère spectaculaire, dans le but de montrer l’exemple. Les voleurs, les meurtriers et les suicidés sont pendus, ce qui est vécu comme une infamie pour les proches, car les corps restent suspendus jusqu’à pourrissement complet. Quant à la décapitation, elle est réservée aux traîtres.Les femmes sont moins souvent condamnées que les hommes. Toutefois, les peines qu’elles encourent paraissent encore plus cruelles. Elles sont plutôt enfouies, brûlées vives ou noyées. La pendaison leur est rarement appliquée en raison de l’indécence de la position des pendus.Le registre des calenges du bailli d'Arras, qui compile les poursuites judiciaires menées contre les criminels suspectés de vol, meurtre ou violences contre les personnes, a fait l’objet d’une transcription et d’une étude de Romain Telliez. L’historien comptabilise ainsi, pour les années 1362 à 1376, dans le bailliage d’Arras, six cas d’enfouissement vif, vingt pendaisons et cinq décapitations.Pourtant d’après l’historienne Claude Gauvard, les juges évitaient la plupart du temps la peine de mort, lui préférant l’amende, l’exposition publique au pilori, ou au pire le bannissement. Elle indique que dans l’ensemble des villes du nord du royaume, les bannissements l’emportent largement sur la peine capitale, y compris pour les crimes graves.Même si la peine de mort est effectivement pratiquée, elle n’a pas le caractère automatique prévu dans les coutumes. Il est, en effet, nécessaire de distinguer la norme théorique et la pratique réelle. En raison de la rareté des sources, il est certes difficile de cerner le nombre d’exécutions de condamnés. Mais bien des signes laissent à penser que la sanction et son exécution sont plus rares que nous ne l’imaginons.Dans le cas présenté ci-dessus, Mahaut d’Ivergny est condamnée à être enterrée vive, mais cette condamnation n’est finalement pas appliquée. Sa grossesse, qu’elle soit réelle ou fallacieuse, a permis de repousser l’exécution de la sentence. Et qui peut croire qu’elle n’a pas bénéficié de certaines complicités pour s’échapper si facilement de ses fers ?