Un mécontentement grandissant
Le charbon du bassin minier du Pas-de-Calais est, dès le début de l’Occupation, l’objet d’enjeux économiques considérables.
Appartenant à la zone interdite, le département est rattaché comme celui du Nord au commandement militaire de Bruxelles ; placées sous tutelle de l’Oberfeldkommandantur 670 de Lille, les compagnies minières doivent accroître à tout prix leur production au profit de l’Allemagne, au mépris des conditions de travail et de sécurité des ouvriers.
Les acquis sociaux obtenus sous le Front populaire sont clairement remis en cause. L’hiver de 1940-1941 est particulièrement rude pour les populations. La misère, la disette, le froid et les conditions de travail qui se dégradent créent chez les mineurs un fort climat de mécontentement.
Lorsque, le 1er janvier 1941, l’occupant allemand décide d’allonger d’une demi-heure la journée de travail sans augmentation de salaire, l’exaspération est à son comble et entraîne la multiplication des grèves perlées. À cette grogne sociale s’ajoute un profond dégoût envers la politique de collaboration menée par les compagnies.
Les conditions de vie des mineurs et de leurs familles, rendues pénibles par les difficultés de ravitaillement et la mise en place des cartes de rationnement (rations manifestement insuffisantes et qui ne sont même pas respectées à la distribution), ainsi que le fort sentiment national provoqué par l’Occupation, forment dès lors un terreau favorable au Parti communiste français clandestin qui crée un "Front national" ouvert à tous les courants politiques.
Dès le 1er mai 1941, des mouvements sociaux s’organisent autour des comités d’unité syndicale et d’action (CUSA). Drapeaux rouges et tricolores sont suspendus aux fils électriques, des milliers de tracts sont distribués, des cahiers de revendications sont rédigés dans tout le bassin minier. L’agitation s’étend même jusqu’en Belgique et touche les sidérurgistes et l’industrie textile. Mais une action d’une plus grande ampleur se prépare. La colère est à son paroxysme lorsque les compagnies tentent d’imposer la réintroduction du paiement des mineurs à l’abatage par équipe. La grève éclate à la fosse 7 des mines de Dourges, dite du Dahomey, le matin du 27 mai, à l’instigation du délégué mineur Michel Brulé et d’Auguste Lecœur, puis s’étend rapidement aux fosses voisines, les autorités n’en ayant pas mesuré l’ampleur.
Plus de 80 % de grévistes
Le 3 juin, l’ensemble du bassin minier est touché. Sur les 143 000 mineurs recensés, 100 000 ont cessé le travail, soit près de 80 %. La grève générale est très largement encouragée par les femmes, qui organisent des cortèges à l’entrée des fosses pour en bloquer l’accès, et exhortent les non grévistes à rejoindre leurs camarades. Elles manifestent devant les bureaux des compagnies minières avec à leur tête Émilienne Mopty, une femme de mineur et militante communiste.
Les autorités allemandes n’hésitent pas à utiliser les armes ou des pompes à incendie contre ces "mégères", comme elles les appellent. Sous le commandement du général Niehoff, chef de l’Oberfeldkommandantur, elles mettent en œuvre des mesures de répression particulièrement dures. Le 5 juin, on compte déjà plus de 200 arrestations. Les compagnies établissent des listes de meneurs ; l’occupant frappe aussi au hasard et procède à des arrestations arbitraires.
C’est un véritable climat de terreur qui s’abat sur la population. Les hommes comme les femmes sont emprisonnés à la caserne Kléber de Lille, transformée en camp d’internement. Le bilan de cette "grande grève" est extrêmement lourd : 450 personnes ont été arrêtées, sur lesquelles 244 mineurs sont déportés en Allemagne (130 d’entre eux y trouveront la mort), certains sont fusillés.
Une répression sanglante
Pour faire cesser la grève au plus vite, le général Niehoff décide, en outre, de suspendre le paiement des salaires et de ne plus distribuer les cartes de ravitaillement. L’argent manque et, très vite, la peur et la faim entament le moral des grévistes. Les privations et la fermeté de la répression ont finalement raison du mouvement. Le 10 juin, les mineurs reprennent le travail. Ils obtiennent tout de même quelques réponses à leurs revendications sociales : pour calmer les esprits, les autorités d’occupation décident une légère augmentation des salaires, des rations de viande et de savon supplémentaires ainsi que des vêtements de travail.
Mais cette grève, avant tout patriotique, est par son ampleur l’un des premiers actes de résistance à l’occupant. L’économie de guerre allemande a été fortement touchée : près de 500 000 tonnes de charbon ont été perdues. Le Parti communiste clandestin, à l’origine de ce mouvement, est dès lors perçu par les Allemands comme un ennemi à abattre.
Plusieurs des meneurs ont échappé aux arrestations et sont entrés en clandestinité. Émilienne Mopty en fait partie. Elle habite la cité du Dahomey de Billy-Montigny, point de départ du mouvement. Militante communiste, elle a déjà participé aux grèves de 1933-1934. C’est donc tout naturellement qu’elle prend la tête des femmes qui manifestent devant les bureaux des compagnies minières à Hénin-Liétard et Billy-Montigny. Elle entre ensuite en résistance et rejoint le groupe Charles Debarge, alors que son mari est déporté en Allemagne. Elle transporte des armes et joue un rôle important chez les FTP. Arrêtée une première fois, elle parvient à s’évader mais, fin septembre 1942, elle est envoyée en mission à la citadelle d’Arras où elle doit s’attaquer à un peloton d’exécution. Arrivée au rendez-vous, elle est attendue par la Gestapo, mise au courant de son action. Arrêtée, elle subit la torture et est atrocement mutilée. Condamnée à mort, elle est décapitée à Cologne le 18 juin 1943. Avant de mourir, elle entame le chant de l’Internationale.
Né à Courrières en 1914, Michel Brûlé est mineur au puits n° 7 du Dahomey en 1941. Militant communiste, il tient un rôle essentiel dans le déclenchement de la grève. Il entre lui aussi dans la clandestinité pour échapper à la répression, rejoint également Charles Debarge et est notamment l’un des organisateurs de l’attaque de la poudrière de Beaumont-en-Artois, le 23 septembre. Il est arrêté en octobre à la suite d’une dénonciation. Emprisonné à Loos, il subit durant des semaines des séances de torture, mais ne parle pas. Condamné à mort, il est fusillé le 14 avril 1942 avec trente otages. Il a dans la poche un billet où il a écrit "courage et espoir".
Cahier de revendications des ouvriers des fosses n° 9 et 17 de Courrières
"Camarades"
Voici le cahier de revendications, qui a été déposé au
Délégué mineur du Puit n° 17.
Si la situation l'exige, nous en déposerons un semblable auprès de M. l'ingénieur du n° 9 ou de la direction des
Mines de Courrières.
Revendications des ouvriers, Fosse n° 9 et n° 17 de Courrières
- Arrêt des poursuites pour faits de grève et libération des ouvriers arrêtés (fosse Duhamel de Dourges).
-
Ravitaillement mieux assuré, notamment pour le pain, la viande
et les pommes de terre ; augmentation de la portion de pain, celle-ci
pourrait être portée à 800 gr. pour chaque ouvrier ; augmentation du
savon : 500 gr. de savon mou et une savonnette par semaine ; augmenta-
tion des tickets et portion de margarine. -
Augmentation des salaires, sur la base de l'ouvrier, en rapport
à l'augmentation du coût de la vie. Diminution du coût de la
vie par application de mesures contre les fauteurs de vie chère et
respects par les municipalités même, des prix de divers[es] denrées alimentaires. -
Reclassement des démobilisés, retour de captivité et obtention
d'un rappel. -
Revendication des mêmes avantages : carte M.T., carte spéciale
de margarine et de savon, etc. pour les ouvriers du jour, comme ceux du fond. -
Bénéfice du paiement de la mère au foyer pour nos camarades
étrangers. - Cessation des brimades : amendes, heures en bas, étiquettes [...].
- Paiement des 2 semaines d'évacuation.
- Paiement de la demi-heure supplémentaire.
- Hausse de la retraite des ouvriers mineurs.
- Réembauchage des ouvriers Dewauchelle F. et Storser Paul.
Archives départementales du Pas-de-Calais, 1 Z 406.