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La conquête du Labyrinthe

Croquis montrant les systèmes de tranchées entre Neuville-Saint-Vaast, Écurie et Thélus.

Le "labyrinthe", d'après une photographie prise en aérolpane le 27 mai 1915. Croquis extrait des batailles d'Artois et de Champagne en 1915 (général PALAT, P. LEHAUTCOURT), Paris-Bruxelles, 1920, p. 116. Archives départementales du Pas-de-Calais, BHA 1603,

L’échec de l’armée allemande dans les Flandres et ses succès contre l’armée russe amènent l’état-major à modifier sa stratégie initiale : concentrer désormais ses efforts contre la Russie et verrouiller le front de l’ouest, laissant aux Français et aux Anglais l’initiative de l’attaque.

Dans la région de Lens, d’octobre 1914 à mai 1915, les Allemands mettent en place de redoutables défenses sur les collines conquises. Dans les ravins et entre les collines, ils fortifient les villages de Carency, d’Ablain-Saint-Nazaire, de Souchez et de Neuville Saint-Vaast, points de passage obligés de l’armée française.
Enfin, là où le terrain est plat et sans habitations, ils construisent un réseau de tranchées et de souterrains gorgé d’abris en béton, de canons de tranchées et de mitrailleuses : c’est le Labyrinthe, entre Écurie et Neuville-Saint-Vaast, au nord d’Arras.

S’il est un secteur qui dit bien la complexité des combats de la Première Guerre mondiale sur le front occidental, c’est bien le Labyrinthe. Ce haut-lieu de la guerre évoque parfaitement l’impasse que constitue la guerre de positions et la grande complexité des réseaux de tranchées.

La Conquête du Labyrinthe (30 mai-19 juin)

22 juin 1915

LA POSITION

Le système d’ouvrages et de tranchées que nos soldats ont baptisé le Labyrinthe formait, entre Neuville-Saint-Vaast et Écurie, un saillant de la ligne ennemie, et c’est sa position qui expliquait sa puissance.

On l’avait renforcé pendant des mois, parce qu’on le sentait exposé, d’où le dédale de blockhaus, d’abris, de tranchées et de boyaux, dont nos avions nous avaient rapporté l’impressionnante image.

Orienté d’ouest en est, dans une sorte de cuvette, le Labyrinthe avait pour arcs principaux deux chemins creux profonds, d’où rayonnaient sur 2 kilomètres de côté des ouvrages de toutes sortes garnis de mitrailleuses et de lance-bombes.

Notre attaque du 9 mai avait à peine mordu sur l’extrémité sud. Les journées suivantes n’avaient pas modifié la situation, et notre offensive, soit au nord, soit au sud, restait toujours exposée aux feux de ce redoutable flanquement.

À la fin de mai, le commandement français décida d’en finir, et l’ordre fut donné d’enlever pied à pied le Labyrinthe.

LES DIFFICULTÉS

L’opération comportait deux phases principales et de nature différente.

Il fallait d’abord, par un assaut bien préparé et vivement mené prendre pied dans l’organisation ennemie. Il fallait ensuite progresser à l’intérieur des boyaux en refoulant pas à pas l’adversaire.

Ces deux opérations ont duré plus de trois semaines. Elles nous ont valu un succès complet.

Le débouché devait être dur. Car de nombreuses batteries allemandes comprenant du 77, du 150, du 210, du 280 et même du 305, concentraient leurs feux sur nous. Il y en avait à Givenchy, à la Folie, à Thélus, à Farbus et à Beaurains, au sud d’Arras.

Les trois régiments chargés de l’attaque disposaient, il est vrai, d’une nombreuse artillerie. Mais si nos canons devaient infliger à l’infanterie ennemie plus de pertes encore que les canons allemands n’en infligeaient à la nôtre, les batteries opposées restaient insaisissables les unes pour les autres, et, des deux côtés, c’est le fantassin qui recevait les coups.

Nos hommes le savaient et en prenaient leur parti.

L’ASSAUT DU 30 MAI

C’est le 30 mai que l’assaut fut donné, un régiment marchant du sud au nord, un de l’ouest à l’est, l’autre du nord au sud.

L’élan fut admirable sur tout le front, et partout, sauf à droite, on enleva la première ligne, que nos engins de tranchées avaient complètement écrasée.

Derrière cette première ligne, il y avait un grand nombre de barricades et de fortins ; nous en prîmes quelques-uns ; les autres nous arrêtèrent.

Cent cinquante prisonniers, surpris dans leurs trous par la charge furieuse de l’infanterie française, tombèrent ce jour-là entre nos mains.

Dans la nuit du 30 au 31, une contre-attaque allemande nous fit perdre 50 mètres de notre gain. À l’aube, tout était reconquis.

LA GUERRE DE BOYAUX

Dès ce moment, la guerre de boyaux commençait, - il y avait le boyau Von Kluck et le boyau d’Eulenbourg, les Buissons et la Salle des fêtes, sans compter d’innombrables ouvrages numérotés, dont le plan donne le sentiment des difficultés inouïes que nos troupes avaient à vaincre.

Sans arrêt, du 30 mai au 17 juin, elles se sont battues dans ces terres trouées et pleines de morts. Le combat n’a jamais cessé ni de jour ni de nuit.

Les éléments d’attaque, constamment renouvelés, écrasaient les Allemands à coups de grenades, démolissaient la barricade en sacs à terre, quand l’ennemi cédait, la reconstruisaient 50 mètres plus loin, pas une heure de trêve, pas un instant de répit.

Les hommes, sous le soleil si chaud dans les boyaux, se battaient nue tête, en bras de chemise. Pas un n’eût admis l’hypothèse de s’arrêter avant de tenir le Labyrinthe entier.

On a tout dit de l’élan de nos fantassins. Mais on n’a pas assez dit que leur ténacité égale leur élan et que leur volonté obstinée est un des éléments essentiels de leurs succès.

TROIS SEMAINES D’HÉROÏSME

Chacune de ces journées sanglantes et monotones a vu des actes d’héroïsme incomparables. Le 1er juin, un lieutenant, avec un homme, va reconnaître en rampant la grosse barricade, qui barre le chemin creux, centre de la résistance ennemie. L’ouvrage lui semble peu garni. Il saute dedans, appelle sa compagnie : dix minutes après, 250 prisonniers sont cueillis par une force quatre fois moins nombreuse, au sortir de leurs abris.

Le même jour, dans la partie sud, 150 autres Allemands se font prendre et des mitrailleuses aussi tombent entre nos mains.

Par trois côtés à la fois, nous atteignons le chemin creux, où les Allemands avaient creusé à 10 mètres sous terre de redoutables abris.

L’artillerie ennemie, sans discontinuer, tire en arrière de notre première ligne que son contact immédiat avec l’adversaire protège contre les obus.

Nos réserves souffrent, car dans ce terrain bouleversé, où chaque coup de pioche déterre un cadavre, on ne peut aménager que lentement les abris profonds qu’exige la situation.

Nous perdons du monde. Mais le moral ne fléchit pas. Les hommes ne demandent qu’une chose : aller de l’avant et se battre à la grenade au lieu d’attendre, l’arme au pied, la chute implacable des marmites.

LES CONDITIONS DU COMBAT

Ce sont de dures journées. Aux combattants, il faut porter constamment des munitions, des vivres et surtout de l’eau. Car à lancer sans arrêt leurs grenades, couverts de sueur et de poussière, ils s’épuisent vite.

Tout le monde fait de son mieux. Sous le feu on pousse en avant les canons de tranchées dont les énormes projectiles, lancés à courte distance, épouvantent l’ennemi.

Les sapeurs creusent la terre pour éventer les mines possibles. L’un deux, avec son caporal, défend une barricade contre toute une section. Le caporal est tué. Mais le sapeur continue, repousse l’ennemi et s’en tire sain et sauf, - avec la médaille militaire.

Tout près de la ligne de combat, un bataillon territorial travaille la terre et fait les corvées. Chacun à sa place, et de son mieux, collabore à l’effort commun.

LA SALLE DES FÊTES

La continuité du succès est d’ailleurs le meilleur des réconforts. Après le chemin creux, on atteint le point dit Salle des fêtes.

Les Allemands avaient trouvé ce nom. Pourquoi ? On a supposé qu’il y avait là d’anciennes carrières, offrant des abris à toute épreuve. Nous les avons cherchées sans les trouver.

Pendant 48 heures, nos hommes ont vécu dans l’attente d’une explosion de mines qui ne s’est pas produite. Nous avons inondé de chaux les cadavres entassés là-dedans, et nous avons continué.

Ainsi, peu à peu, notre progression, signalée par le nuage de poussière que soulève le combat à coups de grenades, nous a conduits à l’extrémité nord du Labyrinthe.

Nous étions face à un grand boyau, le boyau d’Eulenbourg. Le 14 et le 15, nous avons creusé à 100 mètres une parallèle de départ. Entre notre parallèle et la ligne ennemie s’étendait un champ de coquelicots d’un rouge éclatant.

L’ASSAUT DU 16 JUIN

Le 16, à midi 15, nos hommes sont sortis de la parallèle. Ils se sont dressés sur le talus et ont couru à travers les coquelicots. Ils ont atteint le boyau allemand, et ils ont sauté dedans. L’opération a duré trois minutes.

Avec une belle précision, l’artillerie ennemie a aussitôt déclenché son tir. Mais le fantassin français garde ce qu’il tient. On s’est battu dans les tranchées d’Eulenbourg et voisines l’après-midi du 16, la nuit du 16 au 17, la journée du 17 et jusqu’au 19.

Finalement tout cela est à nous après des alternatives diverses, et le Labyrinthe nous appartient.

LES PERTES ALLEMANDES

Les Allemands ont perdu au Labyrinthe un régiment entier, le 161e. Nous avons fait un millier de prisonniers ; le reste est mort. Un régiment bavarois a été aussi décimé.

Nos pertes se montent à 2 000 hommes, dont beaucoup de blessés légers.

La résistance a été furieuse, comme l’attaque. Malgré le terrain, malgré l’organisation défensive accumulée depuis sept mois, malgré l’artillerie, les lance-bombes et les mitrailleuses, nous sommes restés cependant vainqueurs. Nos soldats ont gagné, parmi les souffrances du combat, la foi absolue dans leur supériorité, que le résultat affirme.

L’Écho de Paris, mercredi 23 juin 1915. Archives départementales du Pas-de-Calais, PG 309.