Arras est la première ville de France qui ait appris et fêté l’armistice et la victoire.
Manifestations émouvantes
Vers huit heures et demie, en effet, le service de l'Intelligence interceptait un radiogramme allemand de Spa annonçant que le courrier des plénipotentiaires franchirait les lignes dans la nuit, portant la réponse attendue.
Aussitôt, les états-majors en furent avisés et l'ordre fut donné de sonner les cloches.
À huit heures cinquante, celle de Beaurains, suspendue rue Gambetta, devant la chapelle des Ursulines et destinée à l'alarme, commençait à sonner le tocsin, seule sonnerie compatible avec le mode de suspension.
Bientôt, la cloche d'Agny lui répondait du quartier Schramm ; puis d'autres, de la rue Baudimont et de la place Sainte-Croix ; dans le lointain, on percevait nettement celle de Dainville, qui n'a pas quitté son clocher.
La surprise ne dura que quelques minutes.
Déjà les cris de joie éveillaient la ville à peine endormie : on se pressait vers les états-majors les plus proches :
"Guerre Finished !... Armistice !... Allemagne vaincue !..." répondaient les soldats.
Et les officiers sortaient sur le seuil pour confirmer la nouvelle et serrer des mains joyeuses.
Peu à peu les rues s'animent : tous les cantonnements se vident dans la rue ; les groupes naissent d'eux-mêmes ; les voix s'interpellent ; dans l'enthousiasme général des cortèges se forment.
Rue Saint-Aubert, M. Duflos Grassin a illuminé son premier étage avec des lampions et des verres multicolores.
En un clin d'œil, une pyramide se forme devant la maison et les lampions décrochés serviront à la retraite aux flambeaux qui commence, égayée par les feux de Bengale.
Dans toute la ville, sonnent cloches, clochettes et carillons ; clairon, cymbales et crécelles y ajoutent leur harmonie et de toutes les rues montent les chants de victoire.
Les territoriaux français eux aussi sont sortis de leur cantonnement et la "Marseillaise" alterne avec le "God save the King".
Aux quatre coins du ciel, les fusées éclairantes inondent les toits de leur lueur blafarde ; la fusillade crépite.
"La victoire ! la victoire !" ce mot vole de bouche en bouche.
En gare d'Arras, stationne un train de prisonniers allemands qui contemplent, stupides, l'inoubliable spectacle.
Et voici que le centre de la ville rougeoie.
Des centaines de soldats britanniques se sont groupés sur la Petite Place, autour de leurs officiers ; et bientôt, des tables, des chaises, des tonneaux, de multiples débris de bois, arrachés aux ruines voisines, flambent en un colossal feu de joie.
Le coup d'œil est féerique.
Nos gracieux pignons dentelés, nos ruines tragiques, notre vieux beffroi écroulé, tout cela illuminé de face, se profile sur le ciel noir comme un merveilleux décor de théâtre ; ce soir, le feu prend sa revanche du feu et les échos de la joie résonnent étrangement dans la tristesse de la ruine la plus prestigieuse, la plus atrocement magnifique qu'ait laissée la plus terrible des guerres.
Alors commence l' "apothéose" des Français ; tous, civils, soldats, interprètes sont invités à se grouper devant le feu de joie ; alors un vaste cercle se forme autour d'eux parmi les refrains guerriers.
C'est fini ; quelques chants encore, des cris de "Vive la France !" et, vers onze heures, l'officier qui dirige le Meeting entonne le "God save the King" repris aussitôt en chœur…
Les manifestants se dispersent après un dernier "Hurrah !" ; mais, vers onze heures et demi, le canon commence à tonner, tandis que les sonneries de cloches reprennent ; à deux heures du matin, maints cortèges joyeux parcourent encore la ville.