L'Amérique pour l'Artois : la Croix-Rouge américaine à Arras
On a déjà beaucoup parlé de la générosité américaine ; le sujet n’est donc pas nouveau ; mais ce qui est nouveau, c’est la façon dont depuis peu cette générosité se manifeste chez nous, dans notre Arras, pour le plus grand bien de notre population et de celle de tout l’Artois dévasté.
L’Américan Red Cross (Croix-Rouge américaine) a envoyé à Arras un délégué permanent, qui travaille avec une activité merveilleuse à organiser l’œuvre qui, incessamment, ajoutera son action à celle de nos œuvres françaises, pour aider au relèvement de nos régions.
C’était un devoir pour nous d’aller saluer le délégué de la grande et chère nation alliée et de lui exprimer les sentiments de nos concitoyens en présence de la belle œuvre entreprise par lui. Le capitaine W… nous accueillit avec une amabilité charmante et se prêta, si j’ose dire, à un interrogatoire en règle. Le Lion d’Arras ne lui était d’ailleurs pas inconnu ; sur sa table reposaient les huit ou dix derniers numéros du journal.
La Croix-Rouge américaine ne se borne pas, comme l’institution analogue de France, à secourir et soigner les blessés ; elle soulage toutes les misères que la guerre entraîne après elle ; aussi, son organisme, à la fois souple, complexe et immensément puissant, a des ramifications dans tous les domaines ; il se divise en deux grandes branches : le département militaire et le département civil. Chacun de ces deux départements se subdivise en sections ; considérons seulement celui qui nous occupe : le second ; il possède des bureaux pour les enfants, pour les tuberculeux, les réfugiés, la reconstruction des régions sinistrées, la rééducation des mutilés, etc.
Le bureau d’Arras dépend de la 4ième section : Reconstruction et secours aux régions dévastées ; son rayon d’action est très vaste puisqu’il centralisera tous les secours destinés à l’Artois dévasté.
J’ai dit "centralisera" ; j’ai eu tort ; déjà, une quantité énorme d’objets de toutes sortes est arrivée à Arras ; le mot énorme n’est pas exagéré ; songez que, pour donner un exemple, entre beaucoup de l’importance de ces secours, on a dû remiser en même temps plusieurs centaines de brouettes destinées aux campagnes.
C’est que la "Croix-Rouge américaine" n’oublie aucun des objets utiles à la résurrection ; nature vivante et nature morte ; outils, bétails, basse-cour, avoine, semence, engrais, voilà pour l’agriculture ; et nous avons vu récemment débarquer en gare d’Arras de magnifiques volailles à faire envie aux non-sinistrés…
Mais s’il est bon de planter et d’engraisser des canards, encore convient-il d’être décemment vêtu ; la "Croix-Rouge" est en train d’y pourvoir ; un petit nombre de vêtements neufs ou usagés sont arrivés à Arras, mais l’œuvre la plus originale est la création d’un ouvroir central à Amiens, avec des succursales locales ainsi conçues : l’ouvroir central achète le drap, le fait couper, et en forme des paquets qu’il adresse aux comptoirs locaux ; là, les paquets sont remis à des personnes qui achèvent la confection ; d’où un double résultat heureux : les secours et le travail sont fournis à ceux qui en ont besoin.
M. le Délégué vient de fonder à Arras un de ces comptoirs avec le concours de quelques dames dévouées.
Le travail terminé, la "Croix-Rouge" le rétribue, reprend les vêtements et les distribue aux nécessiteux.
Mais nous l’avons dit, l’œuvre du bureau d’Arras ne se borne pas à certaines catégories de secours ; elle s’adapte généreusement à tous les besoins de nos compatriotes ruinés par la guerre ; dans les maisons vides, la "Croix-Rouge" apporte des meubles ; là où la guerre n’a pas laissé de maison, elle envoie des matériaux ; si les fatigues et les privations ont brisé la robustesse du travailleur, elle le soutient par un supplément d’alimentation ; et si, dans la cuisine il ne reste pas d’ustensiles, elle en apporte aussi pour qu’il soit bien dit qu’aucune misère ne sera restée sans soulagement.
Plus tard, quand, dans notre Artois ressuscité, nous nous remémorerons les années de guerre, nous serons frappés par le spectacle de la trace que deux forces également puissantes auront laissé parmi nous : l’une, force de méchanceté, de ruine et de mort ; l’autre, force de bonté, de reconstruction et de vie : l’Allemagne et les États-Unis.
Également puissantes, ai-je dit ; non pas ; dans le duel qui se livre éternellement entre la force de mort et la force de vie, la seconde finit toujours par triompher ; là où subsiste tenacement la volonté de renaître, la ruine ne va pas jusqu’à la mort ; tôt ou tard la vie l’emporte ; pour notre Artois, plaise à Dieu que ce soit bientôt !
Gabriel Aymé