Notre enquête – La résurrection économique d’Arras (2/4)
La résurrection économique d’Arras est une certitude inéluctable. Quel que soit l’état de ruines et de délabrement dans lequel l’acharnement de nos ennemis laissera la capitale de l’Artois, elle renaîtra de ses cendres.
Les villes ne sont pas situées au hasard, et les emplacements qu’elles occupent ont été choisis par leurs fondateurs en raison de leur situation géographique. Arras fut construit au centre d’une plaine fertile, à la naissance de la voie navigable de la Scarpe : de nombreuses routes convergent vers la ville, assurant ses communications avec les campagnes environnantes. Depuis soixante ans l’établissement du chemin de fer a encore renforcé l’importance économique de sa situation, Arras étant le point de départ de nombreux embranchements.
La Scarpe et les routes survivront à la guerre, comme aussi la voie ferrée où la locomotive reprendra sa course dans les huit jours qui suivront la retraite des Allemands.
Les dégâts causés aux immeubles par le feu de l’ennemi sont déjà très élevés et croîtront en raison directe de la prolongation du siège. Mais l’infrastructure subsiste et subsistera presqu’intacte : or, nous retrouvons là les éléments fondamentaux d’une ville : l’eau, la lumière, l’évacuation des résidus. Égouts, conduites d’eau et de gaz seront vite réparés, ainsi que les usines productrices. La qualité de l’eau, qui se maintient parfaite d’après de récentes analyses, est assurée par le choix entre deux nappes, celle du Crinchon et celle de la Scarpe, qui ne sauraient être contaminées toutes deux ensemble.
Il n’apparaît qu’un obstacle possible à la restauration de notre chère cité, c’est l’argent : essayons d’en calculer l’importance.
Si méthodique que soit l’esprit destructeur des barbares, si long qu’ait été et que puisse encore être l’encerclement de la ville, ils ne la détruiront pas entièrement et bon nombre d’immeubles pourront être réparés.
Il existe à Arras environ cinq mille immeubles, maisons d’habitation, magasins ou ateliers d’inégale valeur : il en est de 100 000 fr., il en est de 3 000 fr. Un assez grand nombre sont détruits, la plupart sont très abîmés, quelques-uns sont pres[qu]’indemnes.
Supposons que le dégât soit en moyenne de dix mille francs par immeuble, c’est une somme de cinquante millions qu’il faudrait trouver pour la réparation intégrale d’Arras : ajoutons-y dix millions pour les édifices publics (palais St-Vaast, hôtel de ville, églises, etc.) nous arrivons à soixante millions, c’est-à-dire à une somme qui représente un peu moins que le coût actuel d’une journée de guerre lequel dépasse pour la France seule 70 millions, d’après les évaluations budgétaires.
Alors vous conclurez avec moi que la restauration d’Arras mérite bien la valeur d’une journée de guerre.
Mais où trouvera-t-on l’argent ? Dans une indemnité spéciale qui sera imposée aux Allemands dans le traité de paix, pour servir à la reconstruction des villes et villages dévastés par eux.
À défaut de cette indemnité spéciale, la réparation incomberait, au nom de la solidarité nationale, à l’État français. Il serait inadmissible, en effet, que certaines régions et certaines villes de France aient pu vivre tranquilles et même s’enrichir pendant la guerre, sans qu’elles viennent ensuite au secours de celles qui auront été ravagées par la même guerre. Les villes qui, comme Arras, sont les citadelles avancées dans les lignes allemandes, les boucliers derrière lesquels combat une partie de notre armée, les digues contre lesquelles se brise le flot ennemi, ces villes ont droit à la reconnaissance du Pays, droit à la réparation : sinon, la solidarité n’est qu’un vain mot.
Dans ces conditions, la renaissance d’Arras ne sera qu’une question de mots, et la ville, guérie de ses blessures, retrouvera quelques années après la guerre, toute sa parure et sa splendeur anciennes, cependant que le vieux lion de Flandre redira du haut du beffroi la fierté de la cité inviolée.
Mais je vais plus loin, et je dis que si contre toute attente, contre toute loyauté et toute justice, la ville d’Arras ne recevait pas l’indemnité de réparation à laquelle elle a droit, elle renaîtrait quand même.
Arras, je le répète, est un nœud de communications ferrées, routières et fluviales, elle se trouve au centre d’une région agricole particulièrement fertile, où dans un rayon de dix kilomètres autour de la ville les trois quarts des villages se referont, eux aussi, parce qu’ils sont nécessaires à la culture des terres qui les entourent. Et pour les refaire il faudra des matériaux et des approvisionnements de toutes sortes qui, par nécessité géographique, devront venir d’Arras.
Arras renaîtrait donc quand même, renaissance lente et modeste, sans doute, si elle était abandonnée à ses propres forces. Mais je ne veux pas m’arrêter plus longuement à cette hypothèse invraisemblable.
La restauration d’Arras, j’en suis convaincu, sera rapide et magnifique avec le concours de la France victorieuse, unie et solidaire.
La barbarie passe, et la civilisation demeure : celle-ci réparera une fois de plus les désastres de celle-là. Et du terrible siège de 1915 on ne trouvera plus à Arras dans les siècles à venir d’autre vestige que le souvenir que nous en aurons légué à nos descendants avec le mépris et la haine de la Kultur allemande.
Fernand Asselin