Fermeture du centre Georges-Besnier jusqu'à nouvel ordre
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Le Lion d’Arras revient sur l’ordre d’évacuation générale de la ville
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"Je pars d'Arras". Carte postale. Archives départementales du Pas-de-Calais, 38 Fi 2478.
"Je pars d'Arras". Carte postale. Archives départementales du Pas-de-Calais, 38 Fi 2478.
Alors qu'elle s'apprête à commémorer la victoire qui l'avait libérée de la menace allemande un an auparavant (bataille d'Arras du 9 avril 1917), Arras est de nouveau sérieusement menacée par l'avancée des troupes ennemies, engagées dans l'opération Michael.
À partir du 20 mars 1918, elle devient la cible de bombardements intenses et réguliers qui causent la mort de plus de 300 civils et militaires. Face à la gravité de la situation, les autorités décident d'organiser l'évacuation générale des irréductibles habitants qui avaient choisi de rester en dépit de tous les dangers. Chez ces civils, les réactions sont partagées. Tous concèdent qu'il devient dangereux de demeurer derrière les murs de la vieille cité atrébate ; pourtant, certains rechignent à partir, comme en atteste cet article du Lion d'Arras paru le 4 avril 1918 à Paris, après le déménagement de la direction du journal.
Après l’évacuation civile
Tenir quand même !
C’est le mot d’ordre.
Nous avons tout fait pour éviter la grande épreuve.
Restés à Arras depuis les premiers jours de la guerre, un millier de nos concitoyens ont accepté l’effroyable vie que l’on sait, du 6 octobre 1914 au 9 avril 1917 ; et depuis que la victoire de l’an dernier leur eut permis de songer au relèvement, ils n’eurent plus qu’un but et qu’un souci : ramener la vie dans Arras et préparer le retour des exilés.
Jusqu’à novembre dernier, nous ne doutâmes pas un instant que la délivrance d’Arras ne fût définitive ; hélas ! l’effondrement de la puissance russe permit à l’Allemagne de concentrer sur notre front des forces inouïes et dès décembre nous savions Arras menacé.
Menace indirecte, nous l’avons dit alors ; menace réelle cependant, et si grave que nous envisageâmes aussitôt l’évacuation de la population civile.
Le « Lion » a consacré à cette question un long examen [censuré : entièrement blanchi par la censure : la suppression de l’article n’entraînant pas celle du danger, nous l’avons fait parvenir à M. le Maire, à M. le Préfet et à diverses personnalités] en sollicitant [censuré : d’eux] une intervention pressante auprès du Gouvernement et, par lui, auprès du G. Q. G. britannique. Cette intervention a eu lieu.
Certes, il n’était question d’entraver en rien les mesures de défense que pouvait être amenée à prendre l’autorité militaire responsable de la conduite des opérations ; nous demandions seulement que l’éventualité de l’évacuation civile fût prévue et qu’un certain nombre d’entre nous – une quarantaine de volontaires – fussent désignés en plein accord par le maire et le commandant d’armes pour garder la ville en vue du retour prochain dont nous ne voulions pas douter.
On sait que ce chiffre de quarante a paru trop élevé aux autorités militaires ; quelques fonctionnaires furent seuls autorisés à rester. […]
Le Lion d’Arras, jeudi 4 avril 1918. Archives départementales du Pas-de-Calais, PF 92/2.
Pour organiser l'évacuation des villes menacées par la proximité des combats, le gouvernement précise, par note, les modalités de sortie des civils. L'ordre de départ relève de l'autorité militaire, tandis que la direction de l’opération est laissée à la charge des municipalités, qui peuvent néanmoins bénéficier du soutien logistique des armées pour la mener à bien.
Instructions au sujet des évacuations collectives
L’ordre d’évacuation est donné par le général chef de la mission militaire française (note de service n° 3392 D/4 du 26/3/18).
L’opportunité de l’évacuation lui est indiqué par les autorités militaires britanniques, par l’intermédiaire de l’officier agent de liaison ou du chef de S.D.S. […]
À défaut d’action suffisamment efficace des pouvoirs civils, l’autorité militaire assurera elle-même l’exécution de l’ordre d’évacuation de toutes les personnes non munies d’un permis de séjour.
Pourront toutefois être autorisées à rester dans la zone où elles se sont réfugiées, sauf nécessité militaire impérieuse, les personnes pouvant justifier :
soit d’avoir amené avec elles leur matériel agricole (machines aratoires, bétail, animaux de trait, etc.) ;
soit de posséder un certificat d’embauchage et d’hébergement dans la localité où elles demandent à séjourner ;
soit d’appartenir à un métier nécessaire à la vie économique de la région (boulangers, charrons, maréchaux-ferrants, etc.).
Dans tous les cas, l’ordre ou le conseil d’évacuation vient de l’autorité militaire. Le général, chef de la mission militaire française, a seul qualité pour le donner.
L’exécution : rassemblement des populations à évacuer, détermination des directions à leur donner à l’intérieur, ravitaillement, etc., appartient à l’autorité civile.
Toutefois, l’autorité militaire procure à l’autorité civile toute l’aide possible pour l’exécution, elle établit, d’accord avec les autorités militaires britanniques, des plans d’évacuation comprenant : désignation de centres de rassemblement où des lorries britanniques emportent le plus grand nombre possible de femmes, d’enfants et d’impotents. […]
Signé : Jean Reynaud
Copie conforme transmise au préfet du Pas-de-Calais le 9 avril 1918. Archives départementales du Pas-de-Calais, 11 R 2154.
Le 23 mars 1918, l'ordre d'évacuation est diffusé dans Arras. Le soir même, la moitié de la population est envoyée à Doullens, acheminée par des véhicules de l'armée britannique affectée à ce secteur. Trois jours plus tard, un nouveau convoi quitte la ville.
L’évacuation générale
Le bombardement d’Arras a commencé jeudi 21, vers 4 heures du matin, pour se continuer presque sans interruption, jour et nuit, à raison d’un obus toutes les deux ou trois minutes.
La vie ne cessa pas pour cela et les magasins sont demeurés ouverts jusqu’au samedi, mais toutes communications avec le dehors ont aussitôt cessé.
L’ennemi s’attaquait, de préférence, aux diverses voies de communications, mais ses coups, trop longs ou trop courts, atteignaient gravement la ville, faisant çà et là des victimes.
Nous avons déjà nommé l’agent Alexandre George ; citons encore M. et Mme Cassoret et M. Trannin.
C’est le samedi matin, au moment où les Allemands venaient de prendre Monchy-le-Preux, que fut publié l’ordre d’évacuation générale ; en furent exceptés : MM. Rohard, maire ; Delannoy, receveur municipal ; Pugnière, commissaire central ; Blavier, chef de service à la préfecture.
Le reste de la population fut invité à quitter Arras avant minuit ; on fit savoir en même temps que des auto-camions faciliteraient l’évacuation à ceux qui se trouveraient à 2 heures de l’après-midi, au quartier Schramm, avec des bagages à main.
Environ 550 personnes, soit près de la moitié de la population, se conformèrent aussitôt à cet appel, tandis qu’avec une force dont tous lui sauront gré, M. le Maire tentait de s’opposer à l’exécution de cet ordre.
Les évacués prirent donc place dans les camions britanniques qui les conduisirent en plein champ, près de Wailly où on leur annonça un train vers 5 heures de l’après-midi.
Ce train n’arriva qu’à 8 h. ½.
Heureusement, les Allemands ne bombardèrent pas ce coin de terre que vinrent seulement reconnaître quelques avions.
M. Pugnière vint alors prendre le nom des partants.
C’est ainsi que le convoi gagna Doullens où, après avoir reçu quelques aliments, il fut dispersé au gré de chacun.
Alors commencèrent à Arras les évacuations individuelles ; les autos-camions se rendirent de maison en maison, enlevant partout les « réfractaires », malgré les ardentes protestations de M. Rohard.
Ce dernier fut-il finalement évacué ? il semble que non, quoi qu’en aient dit plusieurs journaux parisiens.
Nous sommes également sans nouvelles de plusieurs de nos amis qui avaient manifesté l’intention très ferme de se réfugier dans des abris très sûrs pour échapper moins au risque des obus qu’à celui de l’évacuation forcée. Il ne nous a malheureusement pas été possible de demeurer parmi eux ; nous ignorons totalement ce qu’ils sont devenus.
Le Lion d’Arras, jeudi 4 avril 1918. Archives départementales du Pas-de-Calais, PF 92/2.
Le 28 mars, le lancement de l'offensive allemande « Mars » se caractérise par un bombardement massif du front. Arras disparaît sous des nuages de fumée, de cendres et de projectiles. Son maire, Louis Rohard, est à son tour contraint de se réfugier quelques jours à Avesnes-le Comte. Les neuf divisions britanniques stationnées devant la ville parviennent à repousser l'attaque ennemie et, le 29, une troisième vague de départ est organisée en urgence, alors que les combats font encore rage.
Le 30 mars, quelques civils osent timidement s'aventurer dans la ville. Les jours suivants, d'autres rares téméraires foulent à leur tour les pavés couverts de ruines et de gravas.
Après l’évacuation civile
Tenir quand même !
[…] Voilà donc évacuée la chère cité qu’au péril de notre vie nous avions gardée pendant quarante-deux mois.
L’épreuve est lourde pour nos âmes pourtant cuirassées à la souffrance.
L’heure est tragique pour la France et pour Arras.
Aujourd’hui comme hier, regardons la réalité en face, sans folle confiance mais sans découragement.
C’est un devoir impérieux de maintenir nos âmes à la hauteur où les ont élevées les événements des dernières années.
"Ce sera la gloire d’Arras, écrivions-nous l’an passé, la veille du recul d’Hindenburg et de la victoire d’avril, ce sera la gloire d’Arras, d’avoir vu l’invasion sur son propre sol, la bataille à ses portes, la retraite dans ses rues, la ruine de ses monuments, l’incendie de ses foyers, l’insuccès d’efforts qui nous paraissaient gigantesques, et pourtant de n’avoir jamais, pas un jour, pas une heure, pas une minute, JAMAIS désespéré de la victoire."
Une épreuve nouvelle – la plus cruelle de toutes – nous était réservée : ceux que n’avaient pu chasser ni les obus, ni les balles, ont dû partir par ordre pour rendre plus aisée la résistance à l’ennemi.
Mais partis, tous aspirent à rentrer au poste d’honneur et de danger ; nous ne l’avons quitté que par devoir, comme le soldat, sur l’ordre de ses chefs, remonte des tranchées, rouge du sang des camarades.
Nous sommes au repos, mais prêts à retourner au feu.
Nous ne sommes pas des réfugiés ; à peine des voyageurs égarés sur une route qui n’était pas la nôtre.
Gardons la raison calme, les nerfs solides et la valise bouclée.
Soyons des étrangers, au foyer, même familial, où nous venons de nous asseoir.
Demain, après-demain, dans huit jours peut-être, la porte d’Arras nous sera rouverte ; tous, nous répondrons au premier appel.
Ne nous faisons pas d’illusions. Nous y trouverons la vie plus pénible que naguère ; l’ennemi s’est rapproché d’Arras ; les bombardements seront plus fréquents, les voyages moins commodes ; mais qu’importe si, forts des épreuves passées, nous considérons celles à venir avec la tranquille et ferme volonté de « tenir quand même », de tenir demain comme nous avons tenu hier sous les obus, comme nous tenons aujourd’hui dans l’exil qui nous est imposé.
J. Darras. Paris, 2 avril 1918
Le Lion d’Arras, jeudi 4 avril 1918. Archives départementales du Pas-de-Calais, PF 92/2.
Arras la martyre, ainsi désignée depuis les exactions de 1914, demeurera cité fantôme jusqu'en octobre 1918. Le 2 mai, les services de police et de gendarmerie s’y réinstallent malgré tout, pour patrouiller dans les rues désertées et éviter les pillages sauvages.
Début octobre, certaines administrations réinvestissent leurs locaux délabrés et, le 22, le président Poincaré y fait une halte, avant de rejoindre Lille et Armentières.
Un mois plus tard, après la réfection des lignes ferroviaires, les trains y font enfin halte ; les 14 et 15 novembre, la commission extra-municipale et le conseil municipal tiennent à nouveau séance sur place.
Durant ce laps ce temps, les Arrageois déracinés déplorent leur exil, ainsi qu'en témoigne ce poème de Madeleine Bracq :
Après l'exil. Pour toi, Arras…
L'ordre est venu, très dur pour nos âmes meurtries…
Il a fallu quitter la ville endolorie,
Rendue plus chère encor par trois ans de douleur.
Quitter les murs croulants où vivait tout notre être,
Les ruines tant aimées où l'on sentait renaître Tout un long passé de bonheur.
Et nous sommes partis… il le fallait, pour toi,
O mon Arras, ô pauvre reine de l'Artois,
Si belle en ta détresse et grande entre les grandes !
Nous avions espéré te rester jusqu'au bout
Et tenir dans tes murs – Il nous faut donner tout, Et notre exil sera notre suprême offrande.
Nous tiendrons ! Dans notre âme est un espoir tenace ;
Nous serons les vainqueurs de la horde rapace
Qui transforme l'Artois en horrible charnier.
Demain viendra la paix, grandiose et sereine,
Et tes fils tresseront ta couronne de reine Avec leurs gerbes de lauriers.
Dans l'exil, loin de toi, bien aimée, nous tiendrons !
Qu'importe notre sang, nos larmes… nous avons
Offert notre douleur pour prix de la victoire…
Quand se relèvera l'Artois supplicié
Mais ennobli, sur le monde pacifié, Arras, ton nom sera comme un grand cri de gloire !
Madeleine Bracq.
Le Lion d'Arras, 20 juin 1918. Archives départementales du Pas-de-Calais, PF 92/2.