Archives - Pas-de-Calais le Département
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Fermeture du centre Georges-Besnier jusqu'à nouvel ordre

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Le sang d'Arras

Paul Adam est un écrivain libertaire et anarchiste qui a publié de nombreux essais, romans, nouvelles et récits de voyages.

Né à Paris le 7 décembre 1862, Paul Adam est fils d’un employé des postes, mais est aussi issu d’une famille de riches industriels arrageois, propriétaires des moulins Héricourt de Sainte-Catherine. Cette parenté et l’Artois, où il a souvent séjourné durant ses vacances, vont profondément marquer son esprit et ses souvenirs puisqu’il en disséquera habilement les mœurs et les goûts. Il choisit d’ailleurs Jean d’Arras comme nom de plume à ses débuts, nom sous lequel il publie un essai chez un éditeur belge.

Un engagement politique et un parfum de scandale

C’est le krach de l’Union générale qui va le conduire au socialisme et à la lecture de Marx et de Proudhon, et à collaborer à La Revue indépendante.

Décrit comme un personnage curieux, voire même comme un homme excentrique, Paul Adam éblouit et effraie à la fois ses contemporains. L’histoire d’un homme à la vie rangée qui, une fois rentré chez lui, écrit des pages audacieuses et assez voluptueuses en dressant à grand trait des personnages très délurés. Un style et un ton qui déconcertent à cette époque, mais surtout une écriture et une griffe que la critique préfère souvent louanger que discuter, et qui lui offrent surtout une étonnante célébrité auprès de la jeunesse. Chair molle, son premier roman édité en 1885, est "naturaliste" : jugé immoral, il provoque le scandale et vaut au jeune auteur une condamnation à quinze jours de prison avec sursis et une amende.

Paul Adam délaisse ensuite le naturalisme et rejoint la mouvance symboliste en contribuant au Symboliste et à La Vogue. Après Soi, roman intimiste édité en 1886, il écrit Les demoiselles Goubert et Le thé chez Miranda avec Jean Moréas. Suivent Le petit bottin des arts et des lettres en collaboration avec Félix Fénéon et Être, roman qui établit définitivement sa notoriété en 1888.

C’est à cette époque qu’il se passionne pour l’occultisme et qu’il se lie avec Stanislas de Guaita. Rallié au boulangisme à compter de 1889, il devient le secrétaire de Maurice Barrès dont il soutient la candidature, avant de se présenter à son tour comme député socialiste révisionniste dans la circonscription de Nancy. L’écriture de la trilogie des Volontés merveilleuses (1888-1890) puis Le mystère des foules paru en 1895 percent l’amertume de son échec politique.
Il dénonce dans ce récit de campagne électorale les manœuvres frauduleuses et la facilité avec laquelle les foules se fourvoient. En 1891, il prend la direction des Entretiens politiques et littéraires aux côtés de Francis Vielé-Griffin puis entre en 1892 à la rédaction du Journal. C’est en juillet 1892 que les Entretiens politiques et littéraires publient son éloge de Ravachol et que Paul Adam se distingue par son exceptionnelle prolixité littéraire.

En 1898, il rejoint le camp des dreyfusards et compose la tétralogie Le temps et la vie.

Il est également un collaborateur régulier de la Revue blanche, avec trente-sept contributions entre 1892 et 1902. Il y signe des textes divers, de la chronique à la fiction, et fait lui-même l’objet d’un nombre considérable de commentaires. La question brûlante des mœurs éclate au moment de l’affaire Oscar Wilde puis du déferlement du roman de mœurs : le mariage, l’adultère, la sexualité, la prostitution deviennent des thèmes de prédilection.

Paul Adam est nommé chevalier de la Légion d’honneur par décret du 12 janvier 1900, puis officier en octobre 1906.

Un patriote engagé en temps de guerre

Au cours des premières années du XXe siècle, il devient réformiste et nationaliste. Début juillet 1914, l’écrivain qui assiste aux fêtes du centenaire à Genève pressent l’immense catastrophe. Paul Adam, qui devait se limiter à son rôle d’écrivain, part néanmoins les mois suivants en profitant des automobiles chirurgicales pour de nombreuses visites sur le front.
Dès le 28 août, il part voir Amiens bombardée et les positions des troupes devant Albert que les Allemands viennent de prendre. Il explore les tranchées de Champagne, de Verdun et de l’Artois auprès de son ami Mangin, devenu commandant d’armée. Il va à Bordeaux faire une conférence sur le Portugal, entré dans la guerre aux côtés de la France, puis à Lyon pour la Semaine latine faire l’éloge de Miranda, dont la figure apparaît dans le journal Le Lion d’Arras.
Durant la Grande Guerre, Paul Adam est sans cesse sur le terrain pour soutenir le moral des troupes et fonde la Ligue intellectuelle de fraternité latine.

De retour à Paris, il parle à la Sorbonne en sa qualité de président de la Ligue latine, donne Le Lion d’Arras à la Revue de Paris et rédige Reims dévastée dans le courant de 1919. Paul Adam ne verra pas la parution de ces deux livres : pris d’une fièvre mi décembre que tous soins demeuraient inutiles, il meurt à Paris, quai de Passy, le 1er janvier 1920.

Quelques années après sa mort, un comité se constitue autour de Camille Mauclair pour ériger un monument à sa mémoire, ce qui révèle l'évolution de Paul Adam vers le nationalisme. C’est le sculpteur Paul Landowski qui est choisi. Inauguré en 1931, le monument que l'on peut voir contre le palais du Trocadéro insiste sur le caractère mystique sinon tumultueux de l'écrivain avec le groupe de Mithra qui surmonte la statue d'Adam, en référence à l'un des ses essais.

En 1953, le cabinet de Paul Adam a été légué à la bibliothèque municipale d'Arras. Une rue près du Pont de Cité à Arras porte son nom.

Tribune libre - Le sang d'Arras

C’est dans un pays mille et mille fois arpenté, durant la chasse, par l’entrain de ma jeunesse, que triomphait hier l’armée de la République.

Arras, ville de mes pères, te voilà vengée.

La chair des ogres germaniques engraisse tes champs de betteraves et de blé aussi loin que portait ma vue du haut de ton beffroi noblement érigé en ses dentelles de pierre, avec sa couronne ducale où culminait le lion debout arborant l’oriflamme des Flandres.

Dans toute cette région de plaines opulentes et de collines altières, les os allemands s’uniront à la poussière de leurs ancêtres. Les os vandales que nos aïeux Atrébates brisèrent en défendant leur cité contre la première invasion des barbares accourus sur leurs chevaux baltiques, à la croupe large et pommelée.

Arras, tu es vengée, si tu gis, en glorieux décombres, attestant la bestialité de l’ennemi sur le sol même où s’exprima tout d’abord la littérature nationale des Français, par la voie de Jean Bodel, attirant au Jeu de Saint Nicolas les escholâtres de 1170, les clercs, les commères et les humeurs de plot, pour leur dire la belle fable de la croisade, le prud’homme sauvé du massacre grâce à sa piété envers le saint dont le miracle convertit ensuite le roi des Sarrasins.

Arras, tu es vengée, toi et ton esprit, celui d’Adam de la halle qui fit représenter le Jeu de Robin et de Marion, notre première revue dans le siècle ou s’érigeait, sur ta Grande Place, la maison des Templiers, œuvre insigne de l’architecture médiévale.

Arras, tu peux aujourd’hui te souvenir orgueilleusement des chevaliers au tournoi offert par le duc de Bourgogne sur la Grande Place, et qui descendaient à ton hôtellerie des Rosettes avant d’inspirer l’admiration de Froissart et ses éloges au langage nombreux.

Tu peux t’en souvenir : pour les dames accoudées dans les fenêtres, sous les pignons à degrés de leurs demeures, défilaient, fastueux cortèges, les seigneurs en chausses et en souliers à la poulaine, en pourpoints à coudettes tailladées, ou bien en armures très closes, empanachées, pourvues de targes armoriales, de lances au ciel ; le tout sur de lourds palefrois bardés de fer et ornés de draperies flottantes.

Cela passait sous les enseignes de l’Angelot et du Chapeau vert, sous le Mouton d’Argent, sous le Chaudron et sous la Herse, insignes des maisons trapues, à grosses arcades et à gros piliers abritant la clientèle des boutiques ouvertes et pleines de trésors.

Que de richesses déjà s’entassaient dans les salles profondes, que de somptueuses tapisseries étalaient leurs images contre les murs, que de faïences luisaient sur les dressoirs.

Les corporations des artisans plaidaient en armes pour leurs privilèges et les faisaient admettre par les comtes d’Artois, les comtes de Flandre, les ducs de Bourgogne.

Enrichis, artistes, les bourgeois édifiaient leurs curieuses maisons dans la rue de la Taillerie, sur la petite Place. De leurs façades ornées, les faîtes à gradins découpaient le ciel.

À ces riches, les villageois picards apportaient, le samedi, les biens de la campagne, bétail, grains, volailles.

On buvait en conclusion des marchés à la taverne de la Sirène, ou au cabaret de la Salamandre. On visitait le tabellion en son hôtel de la Rose. On achetait des hardes à la Licorne d’Or.

Enfin, au début du XVIe siècle, le beffroi s’achevait. Il éleva tout son corps de géant couronné par-dessus le toit de l’hôtel de ville, par-dessus le troupeau des maisons tapies par-dessus les quartiers des Trois Visages, de Saint-Vaast, de Mieaulens, de Ronville et de Baudemont.

Le lion dressé surveille la campagne.

La cloche, l’Effroy, annonçait l’ennemi, les incendies, tous les fléaux, pour les corporations immédiatement rassemblées sous leurs bannières.

La Banclocque conviait les mousquetaires de Louis XIV à la fête et plus tard les ingénieurs de Vauban qui construisaient les remparts, et l’avocat Robespierre, le capitaine Carnot, le père Fouché, professeur de physique au collège des Oratoriens.

En préparant l’avenir de la Révolution française puis universelle, ces grands hommes montèrent souvent l’escalier tors du beffroi, afin de contempler la riche campagne que partout fleurissaient, aux mois d’été, les hautes tulipes de l’œillette.

Imaginaient-ils déjà l’élan de Valmy, la course de la Liberté sous le drapeau tricolore, à travers l’Europe épouvantée par la chute des Tyrans germaniques, par le désastre de cent armées formidables que chassaient les Jourdan, les Murat, Les Moreau, les Bonaparte, leurs légions parties avec mes grands’pères, selon le refrain de La Marseillaise, vers Austerlitz, Iéna, Wagram.

À Blangy, le village des roses fraîches, où l’on s’est naguère cruellement battu de longues semaines, Robespierre et Carnot, les poètes des Rosati ébauchèrent des strophes analogues à celles du chant que Rouget de l’Isle devait ensuite composer dans une nuit d’enthousiasme et, devant la menace de l’invasion tudesque, accourant à l’appel de la Cour, sous la conduite des émigrés ?

Ces grandes ombres de nos poètes anciens, de nos artisans industrieux, de nos argentiers adroits, de nos conventionnels qui enseignèrent le droit aux peuples, par la volonté de Robespierre, par le génie stratégique de Carnot, par l’intelligence de Fouché, ces grandes ombres qu’offensèrent l’absurde destruction d’Arras, les ruines des Deux Places, la chute du Beffroi, le plus beau des Flandres et de l’Artois, après celui de Bruges, ces grandes ombres assurément ont combattu dans les rangs de nos soldats, fils de nos idées nationales, à Notre-Dame de Lorette, au Mont Saint-Eloi, à Souchez, à Carency, à La Targette, à Vimy.

Car toute l’âme de la France intelligente, artiste et libératrice, l’âme ancienne et neuve, l’âme éternelle de la Nation, s’élançait du sol et des morts avec les cris vivants de nos héros.

La ruine idiote d’Arras a été vengée par les vivants et par les morts.

- C’est une goutte de sang, le sang de Reims, m’avait dit Gabriele d’Annunzio, en me donnant, l’autre jour, un éclat de vitrail pourpre ramassé par lui dans la cathédrale que les barbares, aussi, détruisirent.

Les deux Latins que nous étions, là, face à face, se regardèrent.

Nos yeux se confessèrent que cette furie vandale nous demeurait inintelligible, à nous dont l’esprit reste éclairé par la lumière des eaux où baignent tant de villes, mères du génie humain, villes des Pharaons, de Minos, des Athéniens, des légions romaines et de Saint-Paul.

Inintelligibles ? Oui.

Ainsi nous semblent l’incendie de Louvain, la pulvérisation d’Ypres, l’écrasement d’Arras.

J’aime que les jeunes héros de Neuville Saint-Vaast, de Souchez, de La Targette et de Loos, aient vengé cette ville de mes pères dans le moment où Gabriele d’Annunzio embrassait l’Italie avec l’ardeur de son Verbe divin.

Ce sang de Reims et d’Arras, le poète l’a transformé en feu, le feu d’une parole qui brûle toutes les indécisions des Latins et qui décidera leur multitude à vaincre ou à mourir pour l’idéal de la Méditerranée, pour l’extermination des Barbares.

(L’Information)
Paul ADAM.

L’indépendant du Pas-de-Calais, jeudi 20 mai 1915. Archives départementales du Pas-de-Calais, PG 229/30.