Au conseil municipal d’Arras : la réunion du 21 juillet
Le samedi 21 juillet, la plus vaste salle d’un édifice partiellement respecté par les obus s’ouvrait pour une réunion historique : la première séance du Conseil Municipal dans l’Arras renaissant. […]
À 10 heures un quart, la séance est ouverte.
M. le Préfet et M. Minelle ont pris place à la droite de M. le Maire.
Sont présents : MM. Rohard, maire, Baggio et Chabé, adjoints Bauvin, Griffiths, Blondel, Anselin, Carlier, Wattine, Labbe, Paillard, Fourcy, Lefebvre Flinois, Sevin, Delansorne, Wartel, Legentil ; M. Tricart arrivera un moment après, à bicyclette.
Mobilisés : MM. Paris, Dhotel et Lemelle.
Excusés : MM. Eloy, Garrez, Ledieu.
On sait que MM. Emilien Bouchez et Caffenne sont décédés pendant la guerre.
Point de discours, dit en commerçant M. Rohard ; des actes ; et en quelques mots il souhaite la bienvenue à ses collègues présents et adresse son souvenir à ceux qu’a retenus loin d’ici le devoir militaire.
Il expose ensuite la situation financière naturellement peu brillante puisque la Ville continue à dépenser et à payer maints traitements tandis qu’elle ne reçoit presque rien. C’est évidemment l’État qui doit y pourvoir. […]
Les affaires courantes
Le Conseil expédie alors les affaires courantes. […]
M. le Maire demande alors des crédits pour donner aux agents de la Ville une indemnité de vie chère ; M. Bauvin, comme conclusion d’un long mémoire dans lequel il fait un vif éloge de tous nos fonctionnaires municipaux, propose que cette indemnité soit fixée à 1 fr. 50 par jour.
M. le Maire objecte que l’état des finances de la Ville ne lui permet pas d’octroyer à ses fonctionnaires une indemnité plus élevée que celles qu’accordent les autres villes. A noter sa remarque que le coût de la vie est moins élevé à Arras qu’à l’arrière. Il propose le chiffre de 1 franc.
Ce chiffre semble trop faible à M. Carlier qui propose 1 fr. 25, chiffre adopté par la plupart des villes.
̶ Mais nos finances sont exceptionnellement faibles, objecte M. Rohard.
̶ Mais, répond M. Anselin, la situation des fonctionnaires municipaux d’Arras, est exceptionnellement pénible et périlleuse.
Après une discussion à laquelle prennent part MM. Bauvin, Carlier et Blondel, la question est renvoyée à l’après-midi pour fixation du chiffre de l’indemnité.
Le Conseil confirme ensuite sa décision de juillet 1916 de proroger les taxes municipales pour la durée de la guerre.
Arras n’a pas de budget depuis 1914 ; M. le Maire, agissant en pleine entente avec M. le Receveur municipal, s’en est tenu depuis lors aux dépenses strictement nécessaires, soucieux de ménager nos finances.
On aborde incidemment la question des indemnités aux civils blessés de la guerre ; après intervention de M. le Préfet, le Conseil attend une décision législative.
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Deux monuments à Arras
M. le Maire a reçu de MM. les Vicaires-Généraux une lettre demandant un emplacement sur la voie publique pour l’érection d’un monument à celui qui restera pour la postérité "l’Evêque d’Arras".
L’état de nos finances ne peut constituer une objection puisque le comité ne sollicite absolument rien de la ville, avec laquelle il s’entendra plus tard pour la forme et l’emplacement du monument ; ce qu’il demande aujourd’hui, c’est seulement un vote de principe.
M. le Maire propose le renvoi à la commission mais M. Anselin s’y oppose pour cette raison justement qu’il ne s’agit de déterminer ni la forme ni l’emplacement.
La question va brusquement s’élargir.
M. Griffiths, en effet, demande que l’on érige, au lieu d’un monument spécial pour Mgr Lobbedey un monument collectif à la mémoire des principales personnes qui se sont dévouées à Arras ; mais il importe, naturellement, d’ "attendre" la mort de deux hommes qui, nous l’espérons, nous serons longtemps conservés : M. le Maire et M. le Préfet.
M. le Préfet et M. le Maire sourient.
Ce contre-projet va être mis aux voix, mais M. Anselin revient à la charge et M. Blondel fait observer d’abord que ce second monument sera un monument de vaste envergure élevé par la Ville et que, d’autre part, son érection sera forcément renvoyée à une date assez éloignée ; ce projet est excellent et tous y souscriront, mais en quoi s’oppose-t-il à l’érection par un comité privé d’un monument spécial au plus illustre des morts qui se sont dévoués à Arras ?
M. Chabé soutenant que les deux projets s’excluent, M. le Maire va mettre aux voix le projet de M. Griffiths qui, s’il est voté, éliminera l’autre.
- Non, réplique M. Anselin, nous sommes en présence de deux projets différents qui ne s’excluent nullement. M. Griffiths est-il opposé à l’érection d’un monument à Mgr Lobbedey ?
- Point du tout, répond M. Griffiths. Dans ma pensée, le monument collectif rendait l’autre inutile, mais si le premier projet demeure je ne vois aucun inconvénient à le voter ; toutefois, je maintiens mon projet.
Ces paroles font l’union dans le Conseil ; après de nouvelles interventions de MM. Rohard, Anselin et Blondel, le premier projet, celui du monument de Mgr Lobbedey, est mis aux voix et adopté à la presque unanimité.
M. Griffiths réclame alors le vote de son projet qui est adopté unanimement sans discussion.
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Vers le relèvement d’Arras
Arras veut revivre ; et déjà des industriels adressent à la Ville des demandes d’achat de terrain ; ce sont MM. Hautcœur-Lemiral et Flinois qui dans leurs deux entreprises occuperont des centaines d’ouvriers.
La demande de ces deux industriels porte partiellement sur le même terrain sis à Saint-Sauveur ; M. Hautcœur se désisterait volontiers en faveur de M. Flinois s’il lui était concédé l’emplacement réservé pour un square par une décision de 1896.
Ce projet, vieux de vingt-et-un ans, n’ayant pas encore été réalisé, M. Blondel pense que, dans l’intérêt du relèvement d’Arras, il est bon de passer outre en donnant suite à la demande de M. Hautcœur appuyée par M. Griffiths.
Après intervention de M. Chabé qui estime qu’on supprime un peu lestement le square, l’affaire est renvoyée en commission.
M. Chabé donne lecture de plusieurs vœux :
La Chambre syndicale des Entrepreneurs d’Arras demande :
- que l’autorité militaire autorise et favorise la rentrée à Arras des entrepreneurs et de leur personnel.
- que l’on s’occupe de fournir la force motrice spécialement par la reconstitution des services électriques.
- que la commission des contrats des dommages de guerre se réunisse le plus tôt possible et s’occupe d’abord par priorité des dégâts du bâtiment.
- que soit dressé au plus tôt un plan général de la ville, afin de décider des expropriations nécessaires et de ne pas retarder ceux qui bientôt voudront reconstruire leur maison.
[...] Autre vœu :
Le Personnel des Postes demande le retour des familles des postiers qui depuis des années vivent dans l’isolement.
Un autre vœu sollicite des secours pour les réfugiés, familles nombreuses.
Puis la nomination d’une commission municipale ou extra-municipale pour étudier le plan de la ville et les travaux préparatoires à la reconstruction d’Arras. […]
Un dernier vœu de M. Chabé tendant à ce que la loi sur les dommages de guerre soit votée avant la séparation du Parlement.
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Retour de certaines catégories de personnes
M. Bauvin demande le retour de certaines catégories de personnes : les ouvriers, les propriétaires d’immeubles facilement réparables, etc. Rentrée progressive et limitative, avec faculté d’employer la voie ferrée jusqu’à Arras.
M. le Préfet intervient pour dire qu’il a déjà demandé le retour des familles de fonctionnaires ; qu’il fera davantage, que déjà des résultats ont été obtenus, que d’autres le seront, en complète entente avec l’autorité militaire.
M. Bauvin : Nous n’avons pas toujours été gâtés au point de vue de l’entente entre les autorités administratives et militaires.
M. le Préfet : Cela, je le reconnais.
M. Anselin demande la suppression des mots "progressive et limitative", tant il craint que l’autorité militaire n’en abuse pour trop limiter et trop échelonner.
M. le Préfet ayant fait observer que l’essentiel était la reconnaissance du principe et que les mots en question donnaient au projet plus de chance d’être adopté, M. Anselin retire sa proposition.
M. le Préfet a d’ailleurs affirmé avec force : "Soyez tranquille ; on ne limitera pas trop."
M. Labbe ajoute aux personnes dont a parlé M. Bauvin une autre catégorie : les familles de ceux qui n’ont pas quitté Arras.
M. le Préfet se montre très favorable à ces diverses propositions qu’il soutiendra de tout son pouvoir, mais fait observer que tant qu’Arras sera bombardé il est imprudent d’y laisser rentrer les enfants.
Le public manifeste nettement son approbation.
M. Flinois demande le retour aussi rapide que possible des autorités judiciaires, les habitants d’Arras se trouvant dans une situation particulièrement difficile pour défendre leurs intérêts.
M. le Préfet annonce le retour de toutes les administrations dès qu’il sera possible.
Sur ce, la séance est levée à midi et quart.
À 2 heures 1-2, séance de commission. À 4 heures, séance publique.
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Séance l’après-midi
Annoncée à 4 heures, elle ne s’ouvre guère avant 5 heures ; c’est que la commission avait beaucoup à faire ; d’autre part, la Chambre de commerce s’est réunie dans l’intervalle et a prolongé sa séance jusque vers 3 heures.
La question du retour reste à l’ordre du jour et la séance s’ouvre sur l’annonce publique d’un fait connu des initiés depuis la veille au soir : après des conversations à la Place, l’entente s’est établie sur la base du retour immédiat de 250 entrepreneurs et ouvriers du bâtiment.
"Ce n’est pas assez, remarquent plusieurs conseillers.
- Le principe est admis, répond M. Blondel, c’est l’essentiel ; jusqu’à présent nous vivions sous le régime de la porte fermée ; maintenant la porte est ouverte.
- Mais les matériaux !... s’exclame M. Rohard.
M. Anselin. ̶ Les matériaux, l’État ne pourrait-il pas les mettre à notre disposition par voie de réquisition ?"
Abordant la question de la réfection des immeubles encore utilisables, M. Rohard donne lecture des instructions préfectorales que nous avons publiées dans notre numéro 52 (colonne 816).
M. Blondel fait observer que le prix maximum de 1.500 francs est insuffisant pour un grand nombre de maisons importantes, quoi qu’il ne s’agisse que de mesures conservatoires.
Ne serait-il pas plus sage, en effet, d’accorder un maximum de tant par mètre à couvrir ?
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La commission extra-municipale
M. Sevin donne alors lecture des vœux qui ont été discutés en commission.
Le Conseil accorde un avis très favorable à la demande du personnel postal et aux autres vœux proposés le matin ; puis il réunit le vœu de la Chambre syndicale des Entrepreneurs, celui de M. Bauvin et un autre dont M. Flinois donne lecture.
Ce vœu, en somme, se borne à préciser les autres ; il rappelle quels sont les travaux préparatoires à la reconstruction d’Arras et demande la désignation d’une commission qui comprendrait :
- Une délégation du Conseil municipal,
- Un "urbaniste",
- Le directeur des travaux de la Ville,
- Un représentant du Préfet,
- Un membre de la Commission des Sites,
- Quelques-uns de nos concitoyens.
Ce projet est voté sans discussion.
Mais M. Blondel, qui sait qu’il y a loin du vote à la réalisation, demande que les membres de cette commission soient désignés sur le champ ; sans quoi à la prochaine réunion, nous nous retrouverons au même point. […]
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Décisions diverses
L’indemnité de vie chère dont il a été parlé ce matin est fixée à un franc. M. Blondel demande et obtient des félicitations pour M. Quiquet. [Censure]
Le Conseil donne avis favorable à la demande de terrain de M. Flinois ; de même, en principe, à celle de M. Hautcœur quand celui-ci aura vérifié sur place la définition.
Le Conseil, sur l’intervention de M. Sevin, demandera à l’État de payer les indemnités de résidence des instituteurs mobilisés ou évacués.
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Les questions d’alignement
M. Rohard rappelle qu’une première commission interministérielle avait fixée à 20 mètres la largeur des rues routes nationales ; une décision plus récente a abaissé ce chiffre à 14 ; une troisième décision nous ramène à 11 ; si le Conseil attendait la quatrième il n’aurait peut-être plus besoin de toucher à la rue Saint-Aubert qui, près de la place du Théâtre, n’a pas partout plus de 8 mètres.
En fait, il faut prendre trois mètres sur les maisons.
Sans doute celles qui sont situées à droite en descendant sont en apparence plus abîmées, mais l’autre côté est préférable pour l’alignement.
M. Carlier donne lecture d’extraits d’une récente conférence de M. Guesnon, dont nous parlerons dans notre prochain numéro, et demande que le savant artésien fasse partie de la Commission qui va être désignée pour présider à la restauration de la ville.
On fait remarquer que M. Guesnon, plus que nonagénaire et presque aveugle, ne pourra guère en faire partie qu’à titre honoraire ; aussi pour rendre effective son influence, le Conseil décide unanimement d’inscrire dans la commission son élève le plus estimé, le sympathique [censure] M. Lavoine.
M. Rohard invite son Conseil et la population à la remise des canons qui doit avoir lieu demain [censure] ; et la séance est levée à 5 heures 3-4.
Demain matin, dernière réunion de Commission.
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La commission est nommée
Dimanche matin, le Conseil Municipal s’est réuni en séance de commission ; nous croyons savoir que M. Fr. Blondel, comme il l’avait annoncé, a insisté sur la nécessité de désigner immédiatement la Commission qui s’occupera des travaux préparatoires à la restauration de la ville ; les personnes suivantes ont été choisies :
- Membres du Conseil Général : MM. Doutremépuich et Paris ;
- Membres du Conseil Municipal : MM. Rohard, maire, Baggio et Chabé, adjoints, Blondel, Flinois, Griffiths, Bauvin, Wartelle, Sevin et Tricart ;
- Autres personnalités : MM. Minelle, Ancien maire, Guesnon et Lavoine ;
- Représentants des commissions artistiques départementales : Roussel, architecte de la Ville, Masson, ingénieur, Michonneau, industriel, O. Bouchez et L. Deneuville, entrepreneurs, V. Leroy, secrétaire de la Chambre de Commerce.
Il reste à prendre la place d’ "urbaniste" hygiéniste-médecin, mais la présence de cet important personnage n’est pas absolument indispensable pour le moment. […]
Il faut que dans les semaines qui suivront, cette commission se réunisse ; qu’elle nomme des sous-commissions qui travailleront séparément, parfois au dehors, souvent sur place ; il faut enfin que d’ici deux ou trois mois, la commission, ayant noirci pas mal de papier et surtout mûri quelques bonnes idées, provoque une nouvelle réunion du Conseil qui, après le beau prologue de ces deux jours, constituera la première étape vers le relèvement.
J. D.