Le 18 janvier 1919 s’ouvre à Paris la Conférence de la paix, destinée à mettre un terme diplomatique à la guerre. Rassemblant dans un premier temps les nations victorieuses, elle aboutit en août 1919 à l’élaboration des traités de paix (dont le traité de Versailles signé le 28 juin 1919) et à la création de la Société des Nations.
Lors de ces longs mois de négociations, de nombreuses personnalités internationales sont invitées à se rencontrer. En sa qualité d’ambassadeur de France aux États-Unis (de 1902 à 1920), le diplomate et historien français Jean-Jules Jusserand (1855-1932) accompagne le président Wilson lors de son voyage en France. Cet érudit s’est notamment distingué en recevant le premier prix Pulitzer d’histoire en 1917, pour la publication d’un recueil d’études historiques intitulé With Americans of Past and Present Days.
Alors que les chefs d’État débattent à Paris, une délégation de congressistes – dont fait partie Jean-Jules Jusserand – entreprend un pèlerinage des cités dévastées et s’arrête à Arras.
Arras a reçu dimanche deux délégations importantes
[…]
Le congrès de la paix
Un certain nombre de membres du Congrès de la Paix, parmi les plus éminents, sont arrivés par train spécial à 9h30. Parmi eux, M. Lansing, secrétaire d’État des États-Unis, et Mme Lansing ; le colonel House, en civil, et Mme House ; le général Bliss, chef d’état-major de l’armée américaine ; M. Jusserand, ambassadeur de France à Washington et Mme Jusserand ; M. Wallace, ambassadeur des États-Unis à Paris ; M. Bratiano, président du Conseil de Roumanie ; M. Hymans, ministre des affaires étrangères de Belgique ; M. Kramarz, président du Conseil du nouvel État tchécoslovaque, et une cinquantaine de personnalités moins considérables. […]
À leur descente du train, ils furent salués par M. Rohard, maire d’Arras, le général Mignot, commandant d’armes, et MM. Douarche et Ledoux, représentant M. le Préfet, empêché.
Immédiatement, les visiteurs montèrent dans les automobiles et se dirigèrent vers la Grand’ Place, où chacun mit pied à terre. De là, on se rendit à la Petite Place, puis à la cathédrale et au palais St-Waast, avant de remonter vers la gare par la rue Gambetta.
Au cours de ces rapides instants, nous avons pu nous entretenir avec divers membres du Congrès, nous avons eu spécialement une longue conversation avec M. Jusserand […].
Comme les autres visiteurs de la journée, M. Jusserand nous dit combien la ruine d’Arras dépasse tout ce qu’imagine l’esprit de l’étranger quand il entend le nom d’Arras ; Arras n’a pas su se faire connaître ; la pitié du monde va d’abord à ceux qui ont étalé leurs misères.
Le Lion d’Arras, 1er mai 1919. Archives départementales du Pas-de-Calais, PF 92/2.
Très en vogue, ce tourisme de guerre conduit de nombreuses délégations officielles à constater de leurs propres yeux l’ampleur des destructions dans les cités martyres. Ce 26 avril 1919, un second groupe arrive ainsi à Arras. Il est formé de congressistes ayant participé au congrès interallié d’hygiène sociale pour la reconstitution des régions dévastées par la guerre, qui s’est tenu à la Sorbonne du 22 au 26 avril.
Organisé par le comité national de l’éducation physique et sportive et de l’hygiène sociale basé à Paris, il a permis à des spécialistes internationaux de débattre sur l’état sanitaire des territoires touchés par la guerre, mais aussi sur divers autres sujets, tels que la lutte antivénérienne, la puériculture, l’éducation physique ou encore l’hygiène scolaire.
Visite à Arras, Bapaume, Lens, Liévin et Souchez
Le congrès interallié d’hygiène sociale, dont la séance de clôture avait lieu samedi, en [la] Sorbonne, en présence de M. Poincaré, s’est terminé hier par un voyage d’études dans les régions dévastées.
Les congressistes, au nombre d’une centaine, et parmi lesquels on comptait de nombreux délégués des nations alliées, furent reçus, dès leur arrivée à Arras, par le chef de cabinet du préfet du Pas-de-Calais, par M. Thierny, bâtonnier de l’ordre des avocats, et par plusieurs des membres de la municipalité.
Après une visite rapide de la ville, des voitures, mises à leur disposition, les emmenèrent à Lens, à Souchez, à Liévin et à Bapaume, toutes localités qui furent complètement détruites et qui devront être reconstruites entièrement et vraisemblablement sur de nouveaux emplacements.
Au retour de leur douloureux pèlerinage, les membres du congrès ont fait parvenir au ministre des Régions libérées une adresse pour lui exprimer leur profonde émotion et leurs sentiments de solidarité et de dévouement à l’œuvre si urgente de reconstitution.
Et comme les paroles ne sont rien sans les actes, en gage effectif de leur sollicitude pour les infortunées populations qu’ils venaient de visiter, les congressistes ont, entre eux, ouvert une collecte dont le montant, s’élevant à un millier de francs, va être envoyé au préfet du Pas-de-Calais par les soins du Comité national.
Bulletin des réfugiés du Pas-de-Calais, 1er mai 1919. Archives départementales du Pas-de-Calais, PF 121/1.