Archives - Pas-de-Calais le Département
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Quelques jours sur le front britannique

Photographie noir et blanc montrant un château dans un parc arboré. Sur le perron, on distingue la silhouette d'un homme.

Le château [de Beaurepaire], siège du GQG britannique. Sur le perron, M. A. Briand. Montreuil, 25 juin 1916. Bibliothèque de Documentation Internationale Contemporaine, VAL 311/10.

L’orchestration de l’information est une des caractéristiques de l’état de guerre. Et ce conflit, d’un genre nouveau sur les champs de bataille, l’est également en termes de propagande et de maîtrise de l’information.

Sous le joug de la censure, les journalistes ne sont pas libres de traiter tous les sujets qu’ils souhaitent, et cela est d’autant plus vrai lorsqu’il s’agit d’investigations sur le terrain. Pour masquer cette réalité, des voyages de presse au parcours bien balisé sont régulièrement organisés, au cours desquels une poignée de journalistes, triés sur le volet, est totalement prise en main par l’armée.

Louis Robichez est invité à l’une de ces rencontres médiatiques, organisée cette fois par l’état-major britannique, soucieux de parfaire son image auprès des Français. Le résultat de ces quelques jours passés en leur compagnie se solde par trois articles parus dans Le Télégramme.

Le premier article, dans l’édition du 23 novembre 1916, traite essentiellement de l’effort britannique et s’attarde sur l’engagement exceptionnel des Alliés en France.
Le deuxième, partiellement retranscrit ci-dessous, relate une visite sur le front britannique. Les journalistes sont reçus au château de Beaurepaire, situé à Beaumerie-Saint-Martin, siège du grand quartier général britannique de Montreuil-sur-Mer.

Comme une ritournelle, le troisième article est une énième visite à Arras, ville emblématique du martyre du Pas-de-Calais.

Quelques jours sur le front britannique

Deuxième article : Les invités du Grand Quartier général. – Le "Château des journalistes". – Le roi de Monténégro et l’église du village.

Un hôpital de la côte et le camp des convalescents

Les Anglais font bien les choses. Quand ils invitent quelqu’un à visiter leur front, ils lui procurent toutes les facilités de voir, de s’instruire, en même temps qu’ils l’entourent du confort qui lui permet de supporter facilement les fatigues et les émotions inséparables d’une semblable excursion.

Quelque part dans la Somme, au milieu d’un paysage pittoresque et varié, émerge d’un bouquet d’arbres, un joli château gothique, flanqué de tourelles gracieuses. Ne pouvant le désigner autrement, je l’appellerai le "château des journalistes".

C’est là, en effet, dans cette ancienne demeure seigneuriale, luxueusement aménagée, que sont reçu[s] les privilégiés à qui le Grand Quartier général de l’armée britannique offre une hospitalité vraiment anglaise.

Chaque semaine, par petits groupes, des hommes politiques, des écrivains, des journalistes alliés et neutres – surtout des journalistes se réunissent là pour aller sur le front. […]

Nous avons un après-midi entier de libre. Nous l’emploierons à visiter un grand hôpital de la côte et un camp de convalescents. […]

Le Télégramme, vendredi 24 novembre 1916. Archives départementales du Pas-de-Calais, PG 9/26.

Robichez ne nous en apporte pas la preuve formelle, mais le récit de cette visite au grand hôpital de la côte et [à] un camp de convalescents , retranscrit ci-dessous, laisse supposer que la délégation est emmenée au camp d’Étaples, au sud de Boulogne-sur-Mer.

Bien qu’une quinzaine de localités du littoral ait accueilli des centres de soins anglais, aucune ne présente d’infrastructures aussi développées que celles détaillées ici par le journaliste. Étaples est en effet le plus grand camp que l’empire ait créé en dehors du Commonwealth. Au plus fort de son activité, en 1917, c’est une véritable ville, grouillante d’activité. Le camp accueille plus de 100 000 malades et convalescents dans une vingtaine d’hôpitaux qui jouxtent une maison de convalescence et un camp d’entraînement. À cela s’ajoutent tous les services logistiques nécessaires à son fonctionnement.

La visite au camp est bien orchestrée : tout d’abord, arrêt dans un hôpital où tout y est propre, reluisant, sain, confortable, aimable , avant de gagner un camp de convalescents à l’image tout aussi aseptisée. Le décalage est immense avec la réalité de terrain décrite par des soldats-chroniqueurs confrontés aux horreurs des lignes de front.

Le journaliste clôture toutefois sa joyeuse musardise par une évocation plus sombre, comme un soudain retour à la réalité de la guerre et de ses destructions : la prochaine et dernière étape de son excursion est dédiée à la visite d’Arras, d’Arras-la-Morte… . Avec la guerre, la mort n’est jamais très loin.

Le soin que prennent les Anglais de leurs blessés ou de leurs malades est admirable. Je ne crois pas qu’il existe dans aucune autre armée des installations aussi complètes, aussi bien comprises et aussi attrayantes.

Quand on entre dans l’immense enceinte, autrefois dunes sablonneuses, où des centaines et des centaines de coquets pavillons forment de nombreuses rues symétriques, on est frappé pour l’aspect agréable, joli, souriant de cette véritable ville de la douleur. Ici la souffrance a pour cadre un site charmant qui contribue à l’alléger, à la rendre plus supportable.

Chaque baraquement est entouré d’un jardinet dont les fleurs, au printemps et à l’été, doivent mettre dans les yeux et dans les cœurs la consolation que procure toujours la beauté.

Les allées et venues des nurses, dont l’uniforme gris, au mantelet bordé de rouge, jette partout une note claire, et des hospitalisés entièrement vêtus d’étoffe bleue qui les fait reconnaître de loin, donnent à l’ensemble de l’hôpital une animation exempte de bruit.

Nous visitons une salle où sont soignés des prisonniers blessés.

L’intérieur des pavillons a le même attrait que l’extérieur. Tout y est propre, reluisant, sain, confortable, aimable. Ici rien n’a le triste caractère du provisoire qui doit durer. L’installation semble définitive tant elle est sérieusement faite. On se croit transporté dans une salle d’hôpital moderne de grande ville, pourvue de tous les perfectionnements de la science et de l’expérience. […]

À leur sortie de l’hôpital, les hommes viennent ici achever leur guérison. Leur séjour y dure environ trois semaines. Pendant ce temps, ils s’occupent à toutes sortes de travaux faciles qui leur redonnent peu à peu des muscles. Les uns font du jardinage, d’autres, dans des ateliers parfaitement aménagés, fabriquent des ustensiles de ménage en utilisant les vieilles boîtes en fer blanc ; quelques-uns travaillent le bois et se servent de grosses cordes pour faire de solides paillassons.

De grandes salles de récréation où sont réunis des jeux variés ainsi que les salons de lecture et de correspondance procurent un délassement nécessaire aux convalescents. […]

Nous remontons dans nos autos, au pied de la colonne de Napoléon. Et tandis que nos 35 H.P. nous entraînent dans la nuit claire vers le château accueillant où nous reviendrons chaque soir nous reposer des fatigues de la journée, je laisse mon imagination vagabonde parcourir en vitesse, elle aussi, le cycle du passé. Je songe au grand empereur qui avait assemblé sur les falaises, en face de l’Angleterre, une puissante armée d’invasion et qui, aujourd’hui du haut de son socle de pierre, semble présider à l’immense effort anglais. La "perfide Albion" est devenue une amie sincère, loyale, qui n’a pas hésité à mettre son épée à côté de la nôtre pour venger la justice et le droit et assurer l’indépendance du monde. L’Entente cordiale a remplacé la politique de suspicion et de haine.

Avant la guerre, je suis venu rêver souvent dans cet endroit évocateur, plein de souvenir[s] très doux et d’ineffaçables impressions. Je viens d’y passer sans le reconnaître. La guerre a transformé le paysage comme elle a transformé beaucoup de nos idées, de nos jugements et de nos calculs…

Demain nous allons visiter les ruines d’Arras, d’Arras-la-Morte…

Louis Robichez

Le Télégramme, vendredi 24 novembre 1916. Archives départementales du Pas-de-Calais, PG 9/26.