Les premières troupes américaines destinées à la France, 53 officiers et 146 soldats, ainsi que leur commandant en chef, le général John Joseph Pershing, débarquent le 13 juin 1917 à Boulogne-sur-Mer. Ceux que l’on surnomme Sammies, en hommage à l'Oncle Sam, symbole de l'Amérique paternelle, ou encore Doughboys en référence aux boutons des vareuses que portaient les soldats pendant la guerre de Sécession (comparables à des beignets Doughnuts), imaginent que la guerre perdurera au moins jusqu’en 1920.
Les soldats américains restent cantonnés jusqu’en novembre 1917 dans des camps d’entraînement, à la stupéfaction des Français et des Britanniques qui, épuisés, espéraient de leur part une montée rapide au front. Ils surprennent aussi, tant par leur jeunesse que par leur détermination : dans ses mémoires, l’écrivaine et infirmière Vera Brittain, en mission au camp d’Étaples, les dit si semblables à des dieux, si splendides, si magnifiquement intacts en comparaison des hommes épuisés et à bout de nerfs de l’armée britannique
(extrait de Testament of Youth).
Pourtant, les volontaires américains sont déjà présents avant 1917 sur le sol français. Certains d’entre eux se sont engagés dans la Légion étrangère ou dans l'escadrille La Fayette, formée de pilotes pour la plupart fortunés et aventureux qui suscitent la curiosité de de leurs compatriotes. D'autres encore intègrent des formations sanitaires, à l'image de l'hôpital américain de Neuilly-sur-Seine qui, dès le début du conflit, accueille les blessés de guerre de toutes nationalités, assure leur transport, organise des ambulances dans des locaux mis à disposition par le Service de santé de l'armée française et offre des soins à l'avant-garde de la technique médicale. C’est aussi le cas dans le Pas-de-Calais, où des chirurgiens et volontaires soignants américains entrent en service à Camiers accompagnés de la première unité médicale d’Harvard, de même qu’à l’hôpital général n°18 de Beaurainville (Chicago).
À la mi-juin 1917, la première commission de la Croix Rouge américaine (American Red Cross) débarque en France. Sa mission consiste à fournir un soutien matériel et financier. Elle se scinde en deux départements :
- celui des affaires militaires, réparti en deux sections, l'une regroupant les services affectés aux troupes alliées, l’autre les services réservés aux troupes américaines,
- celui des affaires civiles, chargé d’apporter l’aide nécessaire aux réfugiés par la fourniture de nourriture, vêtements, logement, soins, etc.
Il est probable que les chefs du détachement sanitaire américain ont procédé en juin 1917 à la visite de l’un des centres de convalescence britanniques appelés Convalescent Depots ou Convalescent Homes, situés à Étaples, Camiers et Boulogne-sur-Mer. Dans ces camps, les hommes blessés non hospitalisés peuvent s’y rétablir. Considéré comme le plus grand complexe hospitalier britannique sur le continent, Étaples représente un modèle pour les autres nations, avec une capacité d’accueil de 22 000 lits répartis dans les quelques 20 hôpitaux, une maison de convalescence ainsi qu'un camp d'entraînement. Il n’est pas surprenant de constater l’émerveillement des Américains face à une telle organisation logistique.
Le Journal de Montreuil du 5 décembre 1915 en témoigne : tous les perfectionnements modernes ont été apportés à l’installation de ces hôpitaux : salles de radiographie, autoclaves de stérilisation, etc. […]. Rien n’y manque, ni les salles de bain et de massage, ni le service des pédicures, ni une blanchisserie mécanique qui assure le nettoyage de toutes les ambulances de la maison. Il n’est pas jusqu’à un stand de tir et à un terrain de football qui n’aient été aménagés
.
Cette même année, la Croix-Rouge américaine adresse au président du conseil général une somme de 150 000 francs, destinée à être répartie entre les familles des militaires les plus éprouvées.
Une visite dans un camp de convalescents britanniques
Les Américains, nos nouveaux alliés, sont gens pratiques, écrit notre confrère Maurice de Walleffe. J’ai assisté ces jours-ci au débarquement, à Boulogne, de leurs premières troupes : quatre cents jeunes hommes imberbes et superbes, en tenue de campagne, sac au dos. Ce sac, au lieu d’être bâti en largeur, comme le nôtre, est tout en longueur ; on dirait un énorme fourreau de parapluie. À part ça, ils sont vêtus de kaki, comme les Anglais, mais n’étant pas encore, comme ceux-ci, hâlés et tannés par trois années de campagne, vous les reconnaîtrez tout de suite à leur teint blanc.
Si je dis qu’ils sont pratiques, c’est parce que ces premiers débarqués portaient tous la croix-rouge. Ce sont des infirmiers. Nous autres, nous avons commencé par faire la guerre. On peut dire que nous avons organisé notre service de santé ensuite. L’Amérique, plus logique estime : comme on fait son lit on se couche ! Et elle envoie d’abord les spécialistes chargés de faire le lit du blessé. C’est certainement plus confortable pour celui-ci.
Ce sont aussi des gaillards qui ne perdent pas leur temps. Sitôt débarqués, les chefs du détachement sanitaire américain demandèrent à visiter un camp de convalescents britanniques. Comme je me trouvais là, je les accompagnai. Je n’ai pas de compétence spéciale, mais je crois bien que le camp est une fameuse leçon de choses. Il abritait deux mille hommes, sous la tente. Vous y auriez en vain cherché un chiffon traînant ou une ordure. C’était propre, net et luisant comme une exposition le jour du vernissage. Les bains-douches et les bains de vapeur y sont installés comme on ne les trouve, hélas ! dans aucun de nos hôtels de province. Les cuisines, vous vous seriez cru dans les cuisines d’un palais ! Et pourtant on y prépare cinq repas par jour : breakfast, tasse de consommé à 11 heures, lunch, five o’clock et souper. Le lunch et le souper sont reconstituants. Je vous le garantis : il y a sept plats de viande au choix !
Evidemment la guerre ainsi comprise est une chose chère. Mais ce luxe ne comporte aucun gâchis. Les graisses de cuisine retournent en Angleterre, pour servir aux usines à munitions. Et les soldats convalescents travaillent tous de leur métier, au lieu d’être abandonnés à l’oisiveté : jusqu’à des soldats ferblantiers qui fabriquaient des bidons découpés dans de vieilles boîtes à biscuits !
Maximum de confort avec le maximum d’ordre, dans le maximum de propreté ! Mes amis américains observèrent cela avec attention. En sortant, ils me frappèrent sur l’épaule : ̶ Nous ferons encore mieux !
Dame ! Ils sont encore plus riches ! Le "poilu" anglais touche 1 shilling par jour. Le Canadien 4 shillings. L’Australien 5 shillings. C’est aussi ce que touchera le simple soldat américain. Ne nous en plaignons pas ! Il vaut mieux avoir des amis riches que misérables. Les Boches, eux, ils ont les Turcs et les Bulgares. Ils voudraient bien changer.
Le Télégramme, mercredi 27 juin 1917. Archives départementales du Pas-de-Calais, PG 9/27.