Béthune – les bombardements
La fureur des Boches continue à s’exercer d’une façon brutale et aveugle sur toute la région avoisinant le front. Les bombardements par projectiles de tous calibres continuent, et chaque nuit, profitant du clair de lune, des avions sont venus survoler les localités les plus importantes et jeter des bombes au hasard.
Béthune a reçu presque chaque nuit la visite de ces taubes. Merville a été bombardé par avions la nuit de dimanche à lundi : 25 bombes ont été jetées, sans dégâts importants, ni victimes.
Les obus ont atteint à Béthune plusieurs personnes appartenant à la population civile. Le 3 mai, M. Landru, directeur de l’usine à gaz, voulut chercher un refuge aux environs au cours d’un bombardement. Il partit, accompagné de sa femme et de ses deux filles. Toute la famille fut surprise sur la voie publique et atteinte.
M. Landru a dû subir l’amputation de l’avant-bras gauche. Les deux jeunes filles ont été amputées chacune d’une jambe, et Madame Landru a été atteinte grièvement par des éclats sur diverses parties du corps. L’état de ces quatre blessés est aussi satisfaisant que possible.
On a eu en outre à déplorer la mort de Madame Charles Brige, âgée de 42 ans, et mère de cinq enfants, dont l’aîné est au front, ainsi que d’une autre personne qui se trouvait avec elle.
Aux funérailles des victimes du bombardement du 1er mai, devant les six tombes, M. le sous-préfet de Béthune a prononcé une allocution émue que nous sommes heureux de reproduire :
Mesdames, Messieurs,
Un suprême et public hommage devait être rendu aux victimes de l’attentat du 1er mai. Avec tout son cœur, votre sous-préfet le leur apporte ; il assure parents et amis des sympathies les plus attristées du Gouvernement de la République.
Trop fréquemment, hélas, des cérémonies semblables nous réunissent en ce lieu ; trop souvent, interprète de l’affliction générale, celui qui vous parle essaie d’atténuer de légitimes détresses et sa douleur à lui est infinie. C’est qu’on ne vit pas, Messieurs, depuis des années, heure par heure, les espoirs, les angoisses et les peines d’une vaillante population, sans s’identifier en quelque sorte à elle, abstraction faite de toute obligation professionnelle, sans communier avec elle dans des sentiments identiques de haute solidarité humaine, sans en partager, pour tout dire, très fraternellement, l’indicible douleur.
Nul d’entre nous, Messieurs, il faut le répéter, n’a voulu cette guerre ; imposée, elle le fut brutalement, sauvagement, à l’allemande, pour se perpétuer de longs mois dans le sang et les larmes. Provoquée, la Nation s’est levée unanime, bientôt suivie de tout ce qu’il y a dans le monde de brave, de bon et de juste.
Il fallait souffrir, on souffre ; il faut vaincre, on vaincra.
Et tandis qu’aux tranchées nos soldats, nos alliés combattent, meurent pour l’idéal sublime et pour le Droit, dans les cités martyres de vaillants citoyens savent mourir aussi, et faire leur devoir à la française.
Citadelle inviolée du beau sang-froid, du calme, du courage et du bon sens, modeste et fière, fidèle aux traditions glorieuses de la race, votre chère cité, tournée vers l’ennemi, s’offre en splendide exemple, confiante en la suprême récompense par tous si dignement gagnée.
Ah, j’entends bien, Messieurs, qu’aux épreuves morales, entre toutes cruelles, nulle parole ne pourrait apporter le baume souverain… Ceux qui pleurent sauront cependant les sympathies fidèles de leurs concitoyens ; ceux qui dorment ici, avec les soldats morts durant la grande guerre, seront avec eux associés, dans l’unanime hommage de reconnaissance et d’admiration.
Leur nom sera gravé au livre d’or de la Patrie, il demeurera dans nos cœurs.
Par le Gouvernement, ces assurances solennelles devaient ici, Messieurs, être apportées, quand sonne l’heure, enfin, d’immanente justice, et quand rayonnante se lève l’aurore des définitives victoires.