Archives - Pas-de-Calais le Département
Les informations contenues dans cette page ne sont valables avec certitude que jusqu'à cette date et heure.

Mort de Jehan de Terline, premier "kamikaze" de l’histoire

Photographie noir et blanc montrant le visage d'un homme moustachu.

Jehan Maquart de Terline.

Né le 21 juillet 1892 à Blendecques, Jehan-Fernand-Marie-Joseph Macquart de Terline appartient à une vieille famille noble de la région. Arrière-petit-neveu en ligne directe de Jeanne d’Arc par son père, il descend également des Hautecloque du côté maternel.

Après avoir étudié au collège Saint-Bertin de Saint-Omer, il devient bachelier ès sciences avant de s’inscrire en droit à Paris. Le 3 novembre 1910, il s’engage au 21ième régiment de dragons de Saint-Omer.

À la déclaration de guerre, il est mobilisé au 9ième régiment de cuirassiers. En mai 1915, il demande à être versé dans l’aviation et est envoyé au camp d’Avord. Après avoir obtenu son brevet de pilote militaire le 21 juillet 1915, il rejoint l’escadrille N 38 basée en 1916 à la Noblette près de Châlons où il s’illustre bravement. Sa troisième citation à l’ordre de l’armée, posthume, le décrit en ces termes :

Déjà cité à l’ordre de l’armée et décoré de la médaille militaire pour avoir abattu un Kokker le 2 juillet 1916 et un Aviatick le 6 juillet 1916 ; est mort en héros, le 27 juillet 1916, au cours d’un combat aérien. Ayant épuisé ses cartouches à bout portant et voyant son adversaire sur le point repasser les lignes, l’a abordé à une altitude de 3 000 mètres et l’a précipité sur le sol en l’entraînant dans sa propre chute.

La croix de la Légion d’honneur lui est attribuée à titre posthume le 11 novembre 1921, avec la citation suivante :

Pilote de chasse d’une bravoure héroïque, sublime exemple de dévouement le plus absolu, le 27 juillet 1916, voyant deux de ses camarades qui attaquaient avec lui un avion ennemi, tomber désemparés, s’est précipité sur son adversaire et l’a entraîné avec lui dans sa chute.

Dans les jours suivant son décès, la presse française, mais aussi les journaux étrangers, consacrent des articles à la mort héroïque de Jehan de Terline. L’Illustration dédie à l’événement sa couverture du 5 août 1916 avec le titre : "Après un corps à corps fantastique à quatre mille mètres". 

La ville de Châlons-en-Champagne a témoigné de sa reconnaissance envers l’aviateur en donnant son nom à l’une de ses rues, tout comme sa ville natale de Blendecques. À l’occasion du centenaire de sa mort, une exposition intitulée Les As de la Première Guerre mondiale est visible dans la salle des mariages de l’Hôtel de ville du 19 juillet au 7 août 2016. Par ailleurs, un hommage lui sera rendu ce mercredi 27 juillet à 7 h 30 derrière l’église Sainte-Colombe où deux médaillons à son effigie seront installés sur la stèle dressée en son honneur (retrouvez toutes les informations sur le compte Facebook de la municipalité). 

Sublime héroïsme

Un pilote français fonce avec son appareil sur un avion ennemi et l’entraîne avec lui dans sa chute.

Dans la matinée du 27 juillet, un avion français, piloté par le maréchal des logis de Terline, a attaqué un appareil allemand qui survolait Châlons. Le pilote français venait d’ouvrir le feu lorsque sa mitrailleuse s’enraya. L’ennemi prenait la fuite. Deux de nos avions virent alors le maréchal des logis Terline foncer à toute vitesse sur son adversaire, le culbuter et l’entraîner dans sa chute. Le pilote français et les deux aviateurs allemands, tombés dans l’intérieur de nos lignes, ont été tués.

Le maréchal des logis de Terline avait déjà abattu deux avions ennemis et venait de recevoir la médaille militaire.

C’est en ces termes que le communiqué officiel du 29 juillet, quinze heures, nous a appris l’acte sublime du maréchal des logis. Voici le récit détaillé de cet héroïque combat aérien :

Le 27 juillet 1914, à 4 heures du matin, l’albatros passait les lignes à très grande hauteur et filait dans la direction de Châlons.

Il est immédiatement signalé. À quelques kilomètres de la ville, une vigoureuse et précise canonnade obligeait Arminius (c’est ainsi qu’on nomme, à Châlons, ce visiteur presque quotidien) à rebrousser chemin précipitamment et à remettre le cap sur son port d’attache.

Pendant ce temps, l’alarme donnée avait mis en émoi le petit camp où les avions de chasse sommeillaient encore sous leurs toiles légères. En quelques minutes les moteurs ronflaient et trois des chasseurs les plus vaillants escaladaient les cieux, dans la brume matinale. Le Boche avait à peine fait demi-tour qu’il les avait à ses trousses, bien décidés à en finir avec lui. Depuis trop longtemps cet audacieux personnage, toujours le même, bien reconnaissable à sa haute stature, venait [se] promener dans nos lignes sans indiscrétion dangereuse et semblait les narguer.

Cette fois, c’est la bataille.

À la poursuite du pirate

Chacun s’y prépare. La poursuite commença, rapide, entre 3 000 et 4 000 mètres. Il fallait se dépêcher. Le Boche n’était, à vol d’oiseau, qu’à une quinzaine de kilomètres de ses lignes. À la vitesse qu’atteignent aujourd’hui les avions, qu’est-ce-que cela représente ? Dix minutes au plus. Il fallait donc, en dix minutes, le rejoindre, le gagner de vitesse, le survoler, l’encercler si possible, pour l’empêcher de fuir, et tout au moins l’obliger à atterrir chez nous. Plus rapides, nos avions gagnaient visiblement. Bientôt la distance de combat fut atteinte, et à 120 kilomètres à l’heure, les mitrailleuses se mirent à crépiter.

Les trois "français", l’un dans le dos, les autres sur les flancs, semblaient visiblement attirés dans le sillage du fuyard. Peu à peu la distance tombait, et bientôt ce ne fut plus qu’à quelques mètres que les adversaires se fusillaient. Comme un tourbillon, montant, descendant, voletant, virant, se cabrant brusquement, les quatre oiseaux humains sautillaient dans les rayons dorés du soleil matinal, faisaient un quadrille de la mort fantastique.

De leur camp, de leurs cantonnements, de leurs baraques en planches, de leurs cagnas, de leurs abris au creux des collines et des tranchées même, en vue, depuis la butte du Mesnil jusqu’à Ville-sur-Tourbe, tous les poilus sortent en hâte et, le nez en l’air, suivent anxieusement les péripéties de cette lutte à 10 000 pieds dans l’azur.

Les bandes succèdent aux bandes. Fusillé à bout portant de haut en bas, en haut, de droite à gauche, non atteint sans doute par miracle dans ses œuvres vives l’appareil ennemi ne veut pas s’abattre. Rivé à sa mitrailleuse, tandis que son pilote force de vitesse, l’oberleutnant observateur tire sans répit sur le Français le plus proche. La distance diminue. Dans un instant les tranchées seront atteintes, et déjà les quatre avions survolent les premiers boyaux. Voici déjà Minaucourt et la cote 180 et tout près la fameuse main de Massiges, les tranchées boches, le terrain ennemi, le salut.

Les munitions s’épuisent. On perd du temps à recharger les pièces, on est énervé, surexcité, d’une résolution terrible.

Fantastique corps à corps

C’est alors que se passe la chose sublime de ces deux dernières minutes. Sentant l’ennemi proche de leur échapper, leurs bandes terminées, n’ayant plus le loisir d’en mettre de nouvelles, les trois Français ont pris une décision implacable. D’un commun accord tous les trois manœuvrent le gouvernail tout autour du Boche. Les avions descendent. Alors dans l’espace de quelques secondes, le temps d’un éclair, les péripéties se succèdent. Les avions sont si près les uns des autres qu’on les dirait d’en bas entraînés dans la même tempête. Bord à bord, bousculés, terriblement ballottés dans leur propre remous, deux des Français entrent en collision. Un choc, un craquement, c’est fini pour eux deux. Déséquilibrés, les deux oiseaux chavirent, dégringolent, tombent en spirales, en feuilles mortes, et vont atterrir sans dommage, comme on l’a su dans la suite, à quelques kilomètres en arrière.

Restaient face à face l’albatros chargé de deux passagers et l’avion français piloté par le maréchal des logis Maquart de Terline, 24 ans, ancien cuirassier, héros modeste, autant qu’habile et audacieux, deux fois cité pour de nombreux exploits, et depuis quelques jours, décoré de la médaille militaire pour avoir abattu un Fokker, digne émule des Guynemer, des Nungesser et des Chaput, sur les traces desquels il volait à grands coups d’aile.

La veille, il avait, devant ses camarades et sans fanfaronnade, dit simplement : Si ma mitrailleuse s’enraye, je rentre dans les Boches . Et parmi ces jeunes gens où l’héroïsme est monnaie courante, cette folie n’avait pas paru vantardise.

Le voilà donc à l’épreuve maintenant. Pour ces cœurs haut placés, les mots enferment et emportent l’acta avec eux. Sous lui, à vingt mètres à peine, le Boche fuit à tire-d’aile. Sa mitrailleuse est muette, il est trop tard pour songer à arrêter la fuite éperdue de l’adversaire. Le Boche va s’échapper. Le Français voit le géant aux cheveux roux qui braque sur lui une petite gueule noire d’où sortent de courtes flammes et qui menace de le fusiller à bout portant.

Il voit ses deux camarades blessés, tourbillonner et tomber ; il reste seul devant l’ennemi.

Alors sans hésiter, dans un élan de froide résolution et d’héroïque folie, Macquart de Terline, visant le gouvernail de l’albatros, pique subitement et entre dans le Boche.

Que se passa-t-il alors ? Nul ne le sait exactement. Le Boche, terrifié de voir fondre sur lui la mort inévitable, a-t-il fait un brusque mouvement en déplaçant son appareil ? Le choc a lieu, terrible, inévitable ; un craquement : c’est la chute fatale. Accrochés l’un à l’autre, les deux oiseaux tombent maintenant.

Puis les deux avions se séparent comme si après une mutuelle étreinte le Français voulait finir seul. Ceux qui suivent à la lorgnette l’horrible drame peuvent apercevoir quelque chose d’encore vivant qui se dressait dans des débris. Plus rapides à mesure qu’elles approchaient du sol, les deux masses vont s’abattre à cent mètres l’une de l’autre dans la tourbe tranquille.

Comme des fous tous les spectateurs se sont précipités en criant devant ces débris tragiques et ces cadavres disloqués. Tous les poilus qui s’y connaissent en courage se découvrent, car ils comprennent qu’ils sont devant quelqu’un de grand et devant quelque chose de beau.

Voilà ce qu’a fait le maréchal des logis Maquart de Terline, que tous ses camarades pleurent et envient.

Le Matin, dimanche 30 juillet 1916 (journal numérisé sur le site Gallica).