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Léon Abrami au Cercle républicain de Boulogne

Léon Abrami et le général Ditte marchant au milieu d'une foule.

Cliché de Léon Abrami et du général Ditte à Calais, 1919. Archives départementales du Pas-de-Calais, 43 Fi 552

Élu député de la 3e circonscription de Boulogne-sur-Mer en avril 1914 puis nommé par Clemenceau, le 17 novembre 1917, sous-secrétaire d'État à la Guerre chargé des effectifs et des pensions, Léon Abrami séjourne sur la côte d'Opale le 30 juin et le 1er juillet 1918, à l'occasion de la distribution des prix du collège Mariette, qu'il a accepté de présider.

Le 30 juin, lors d’une réception donnée en son honneur à la mairie de Calais, il réaffirme la sollicitude du gouvernement envers les populations locales et s’engage à intervenir auprès du ministre du Ravitaillement pour que l'on remédie à la pénurie de denrées alimentaires, puis visite la défense aérienne de la ville en compagnie du général, gouverneur de Calais.

Le lendemain, après un déjeuner offert à Boulogne-sur-Mer par le préfet, puis la remise des prix aux élèves du collège Mariette, il salue les victimes du dernier raid à l'hôpital de Boulogne et remet un premier secours à deux militaires blessés. Il se rend ensuite à une fête des troupes canadiennes et termine la journée auprès du cercle d'Union républicaine et de ses anciens électeurs.

En réponse aux critiques du président du cercle républicain, qui n'hésite pas à lui reprocher sa longue absence sur le territoire qui l'a élu, Léon Abrami s'attache à expliquer les causes des récents échecs militaires, tout en évoquant les mesures qui ont été prises pour limiter à l'avenir l'avance de l’ennemi. Il termine son discours sur une note d'optimisme, convaincu du succès prochain des armées françaises et d'une victoire qui ne fait plus aucun doute, selon lui.

M. Abrami sous-secrétaire d'État de la guerre visite Boulogne et Calais

M. Abrami, sous-secrétaire d'État à la Guerre, ayant accepté de présider la distribution des prix du collège Mariette, a passé deux jours dans la région de Boulogne.

Dimanche, il se rendit à Calais.

Accompagné de M. Leullier, préfet du Pas-de-Calais, et de M. Buloz, sous-préfet de Boulogne, M. Abrami a été reçu à l'hôtel de ville par M. Morieux, maire, assisté de tout le conseil municipal auquel s'étaient joint M. Salembier, député, Duquénoy-Martel, conseiller général, M. le général Ditte, gouverneur de Calais, et tous les officiers de la garnison.

Le sous-secrétaire d'État affirma la sollicitude du Gouvernement pour la vaillante cité calaisienne.

Après la réception à la mairie, M. Abrami visita la défense aérienne de la ville.

Le lendemain, un déjeuner militaire fut offert à Boulogne, par M. le préfet du Pas-de-Calais, en l'honneur du sous-secrétaire d'État. De nombreuses notabilités y assistaient : M. Boudenoot, président de la commission de l'Armée ; M. le général commandant la Région du Nord ; les généraux gouverneurs de Boulogne et de Calais ; le général chef de la Mission française auprès de l'armée britannique ; les généraux commandant les bases britanniques de Boulogne et de Calais ; le général commandant la base belge ; le colonel commandant la base américaine ; M. Buloz, sous-préfet de Boulogne, et M. Lafargue, secrétaire général de la préfecture.

Après la distribution des prix aux élèves du collège Mariette, le sous-secrétaire d'État, accompagné du général gouverneur de Boulogne, de M. le préfet, de M. le sous-préfet, alla saluer à l'hôpital les militaires victimes du dernier raid.

Après une visite à la fête des troupes canadiennes, M. Abrami repartit pour Paris.

 Le Télégramme, mercredi 3 juillet 1918. Archives départementales du Pas-de-Calais, PG 9/30.

M. Abrami au cercle républicain

Après la distribution des prix du collège Mariette, M. Abrami, sous-secrétaire d'État à la Guerre, s'est rendu au Cercle républicain où l'attendaient ses électeurs. Les différentes fractions du parti républicain, en témoignage de l'union étroite qui soude en une même phalange tous ceux qui tournent leurs communs espoirs face au drapeau démocratique, avaient tenu à faire accueil à leur député dans le local même où avait surgi sa candidature.

Après la discussion de diverses questions d'ordre particulier, M. Butel, président du cercle républicain, souhaite la bienvenue à M. Abrami et dans le discours que nous reproduisons in extenso, il exprime avec une remarquable netteté ses vues politiques et les desiderata des électeurs dont il est le porte-parole autorisé.

"Mes chers amis,

"Permettez-moi, avant de donner la parole à notre Abrami, de dire quelques mots. Je sais bien que vous brûlez d'entendre l'éloquence de notre député-ministre ; les quelques minutes que je vais vous prendre, seront, si vous le voulez bien, un sacrifice que vous ferez à la discipline républicaine.

"Je parle de discipline républicaine, je ne pense pas qu'un membre du cabinet Clemenceau puisse se formaliser que je n'emploie pas les mots "Union sacrée", dans une ville où l'Union s'est faite sur notre dos.

"Je parle de discipline républicaine, puisque c'est grâce à elle que nous devons et le triomphe de la candidature Abrami aux élections dernières, et l'honneur qui échoit à Boulogne d'avoir donné à la Nation un homme dont la réputation grandit et s'affirme chaque jour, dans le parlement et à travers le pays.

"Au début de la guerre des journaux locaux, journaux très "Union sacrée" feignaient d'ignorer où se trouvait notre député et posaient – sans essayer de la résoudre – la question suivante : Où est-il ?

"Nous répondions, nous, de notre mieux, nous savions qu'il faisait son devoir. Mais il était temps qu'il vienne nous voir il y a 18 mois. Avouons-le, nous désespérions un peu de lui. Or il est venu au milieu de nous et il a parlé… Il a parlé, et sa voix au début avait cet air de timidité qui fait son charme.

"Il a parlé, nous a expliqué ses faits et gestes et nous avons applaudi.

"Il nous a promis alors de venir nous voir souvent, il nous a dit qu'il établirait une permanence à Boulogne, où chacun de ses concitoyens pourrait aller le voir.

"Il n'est plus revenu, si ce n'est aujourd'hui ; mais il a établi sa permanence aux pieds de la patrie en danger et nous sommes fiers de lui.

"À sa première visite officielle à Boulogne, il n'a gardé d’oublier que s'il doit à sa valeur personnelle d'être au Gouvernement, il doit à vos suffrages d'avoir pu se faire apprécier.

"Car notre ami Abrami a le don de charmer ; il sait gagner tous les cœurs et ses adversaires d'hier s'adressent à lui en se parant du titre "d’électeur dévoué".

"Certes, nous ne voulons pas dans notre cercle, sortir de l'Union sacrée ; nous ne voulons pas, à l'heure actuelle, faire du prosélytisme : bien que nous n'ignorions point que d'autres partis ne craignent pas de se pencher sur les râles des blessés pour se faire des adeptes. Nous n'avons besoin, nous, ni des souffrances, ni des larmes, pour amener des hommes à partager notre idéal.

"Mais je tiens, quant à moi, à bien préciser à notre député, ainsi qu'à Monsieur le Préfet et à Monsieur le Sous-Préfet qui ont bien voulu nous faire l'honneur d'être des nôtres, que, si nous ne voyons pas d'ennemis à gauche, que si nous considérons nos adversaires de droite avec le respect que peut mériter chacune de leurs individualités, notre mépris pour les traîtres est toujours le même et qu'il nous est impossible d'oublier.

"En le faisant, nous ne faisons point de politique. La guerre a-t-elle réhabilité, même dans le sang, toutes les ignominies ? Non ! ceux dont je parle, n'ont pas versé une goutte de leur sang pour le pays ; ils n'ont continué qu'à verser de la boue sur ceux qui ne sont point de leur bande ; ils ne se sont arrêtés que pour ceux qui sont arrivés au pouvoir.

"Vous êtes de ceux-là, mon cher Abrami. Mais vous savez qu'ils n’en sont pas à une traîtrise près et si un jour votre cœur – qui veut être grand et qui l'est – l'oubliait, vous n'auriez qu'à songer à vos amis.

"Ne croyez pas que je veuille, ici, vous donner un conseil, mais vous êtes notre drapeau. Nous n'ignorons point la charge écrasante qui vous incombe ; nous savons que sous un sous-secrétariat modeste d'apparence, vous assumez une des charges les plus lourdes de l'État ; nous avons la certitude de l'avenir brillant qui vous attend et nous tenons à ce qu'il soit sans nuage, afin que vous puissiez travailler de toute votre âme, l'esprit entièrement libre, dans l'intérêt général de la nation. Ce qui serait, j'en suis certain, la matérialisation de votre rêve.

"Puisque vous êtes des nôtres aujourd'hui, permettez-moi de vous exprimer un désir dont m'ont fait part plusieurs d'entre nous.

"Quelques-uns de nos amis politiques, des chefs de parti même, se trouvent depuis de longs mois, frappés de suspicions des plus graves. Aussi douloureux que cela puisse être pour nous, si ces républicains sont coupables, qu'ils soient châtiés, suivant la loi, mais que le doute finisse : que l'on respire enfin l'air pur de la vérité."

"Il faut débarrasser le pays de toute atmosphère fétide, il a mérité mieux que cela. Ses fils, les poilus, ont fait l'admiration du monde ; que son ciel soit donc d'azur et d'or, sans ombre aucune, pour le jour où ils reviendront.

"Ce jour approche maintenant. Il apparaît lointain encore ; point perdu dans l'espace, dont nul ne peut déterminer la distance : mais on le voit, enfin. Et ceci est l'œuvre gigantesque des Français de toutes classes, qui sont allés à la mort pour se couvrir de gloire. C'est aussi l'œuvre de tous ces petits Français que l'Allemagne voulait humilier… Et quelle œuvre plus belle, plus sainte, plus digne, que celle de la liberté du monde ! Nulle autre nation ne pouvait prétendre à ce sanglant honneur. La France a donné en 93 la liberté à l'Univers, elle lui doit de la défendre, à travers les siècles contre tout oppresseur.

"Ils l'ont bien compris, nos poilus ; ils l'ont si bien compris, ces émancipés de la grande révolution, qu'ils se font tuer plutôt que de se soumettre ; qu'ils succombent afin de permettre aux peuples d'Angleterre et d'Amérique de venir mêler leur sang à leur sang ; en échange, ils leur donneront un peu de leur immortalité.

"Vous avez, mon cher ami, la grande fortune de contribuer grâce à votre talent à la défense de la patrie, nous sommes certains que vous serez à la hauteur de votre tâche, nous sommes fiers de vous voir entrer dans l'histoire, à peine après avoir franchi le seuil du parlement."

Discours de M. Abrami

M. Abrami prend ensuite la parole et, pendant plus d'une heure, l'assistance suivra avec anxiété les péripéties de la lutte tragique dont le sous-secrétaire d'État à la Guerre décrit avec une clarté et une sincérité méritoires, les différentes phases. L'assemblée a su à M. Abrami beaucoup de gré pour la netteté de ses déclarations ; et si elle a suivi avec angoisse l'orateur dans l'explication des causes de nos échecs successifs à Amiens, au Kemmel et au Chemin des Dames, elle a accueilli avec allégresse les paroles de réconfort qui sont sorties de la bouche du sous-secrétaire d'État à la Guerre, lorsqu'il a dit, avec l'autorité qui s'attache à sa fonction, que, désormais les mesures nécessaires étaient prises pour contenir l'ennemi et limiter son avance dans l'attaque prochaine qui précédera notre offensive libératrice.

Le distingué sous-secrétaire d'État à la Guerre ne dissimule pas à l'auditoire que les Alliés ont subi trois durs échecs : à Amiens, à Hazebrouck, entre Reims et Craonne.

Est-ce à dire qu'il faille incriminer l'incapacité de notre état-major qui n'aurait pas su prévoir, l’insuffisance de notre commandement ou de nos troupes ? Non. Nos échecs relèvent de plusieurs causes : 1° l'infériorité des effectifs ; 2°...; 3° l'absence d'unité dans le commandement ; 4° les facilités de manœuvre, dont profitent les Allemands qui bénéficient des lignes intérieures appuyées sur les solides citadelles de Lille, Laon, Cambrai. Enfin, chaque nation combat avec le génie propre à sa race. L'Allemand, par nature, est discipliné, il se plie sans murmure à toutes les exigences du commandement. Ses chefs lui ont ordonné de cacher ses mouvements, il s'est soumis et ses réserves se sont à ce point dissimulées, que les troupes ennemies presque volatilisées, échappèrent complètement à la vue de notre aviation.

Pourquoi le nier ? Le 21 mars, les Alliés ont été surpris et les troupes anglaises, fléchissant sous les nappes de gaz toxiques accablées par la puissance d'une artillerie renforcée de tout le matériel enlevé aux Russes, ont dû reculer. Voilà le fait :

[Censure]

Mais aujourd'hui, grâce à la volonté tenace d'un homme dont on ne saurait priser trop haut les services : M. Clemenceau, le mal est réparé ! Car il a obtenu ce qu'il était nécessaire qu'il obtint, l'unité de commandement sous la direction unique du général Foch. En une heure, le président du Conseil obtint gain de cause. Désormais, les troupes alliées obéissent à une impulsion unique.

Et les résultats de cette direction unique ne se sont point fait attendre, puisque grâce à elle, nous avons pu résister au Kemmel et colmater les brèches que l'offensive allemande avait pratiquées dans nos lignes.

Mais M. Clemenceau a rendu à la France et à la cause des Alliés en remédiant avec décision à la crise des effectifs un plus grand service encore.

Sans entrer dans le détail, il... permis de dire que les attaques allemandes avaient affaibli le chiffre des combattants de l'Entente, il fallait combler les vides, le président du Conseil y parvint en jetant dans la bataille les 300 000 Américains encore immobilisés, loin du front dans les camps d'instruction. Il le fit avec l’agrément du président Wilson qui, non seulement donna à la France la libre disposition des troupes américaines, mais qui ne cessa avec l'aide de notre haut-commissaire, M. Tardieu, de multiplier et d'accroître l’importance des transports de soldats envoyés des États-Unis sur le Continent, au point que dans ces derniers mois, les renforts atteignent le triple de ce qui avait été prévu et promis.

Aujourd'hui, sous l'énergique impulsion du président Wilson, les levées de combattants se multiplient ; et, comme le dit le général Bertheloot, ces troupes seront utilisées sur place, suivant les besoins, et d'après les ordres du général Foch.

Ainsi, l'aide américaine est complète, totale, absolue.

Grâce aux efforts du président du Conseil, l'énergie des Anglais n'est pas inférieure à la louable ardeur de nos amis d'Amérique. M. Clemenceau a fait toucher du doigt la nécessité de ramener le chiffre des divisions britanniques aux effectifs existant avant la journée du 21 mars. Et les troupes anglaises sont venues combler les vides ; la question d'infériorité numérique est résolue, grâce au double apport anglais et américain et le gouvernement ne songe nullement à recourir aux récupérations, mesure dont on lui a prêté l'intention toute gratuite.

En somme, dit M. Abrami, dont les déclarations sont écoutées dans un impressionnant silence, jusqu'à la fin du mois de mai, la supériorité des effectifs allemands était évidente ; aujourd'hui, nos troupes sont en nombre et elles se présentent devant l'ennemi, dans un état moral prodigieux, le moral d'une armée victorieuse. Cette constatation si rassurante est saluée par les applaudissements unanimes et prolongés de l’auditoire.

Je ne suis pas optimiste de nature, poursuit M. Abrami, mais aujourd'hui, la victoire ne fait aucun doute, nous l'avons dans les mains, la situation est rétablie, les Allemands le sentent, une nouvelle offensive de leur part est certaine ; elle est vouée à l'insuccès. L'ennemi pourra creuser une poche dans nos lignes ; il ne passera pas ; quelque part qu'l attaque, on l'attend avec des troupes et de l'artillerie en profondeur.

Passant ensuite à l'examen de la carte de guerre, l'éminent sous-secrétaire d'État à la Guerre trouve la situation rassurante. La Bulgarie sera mise hors de cause, quant à l'Autriche, le point faible de la coalition des Empires centraux, si l'on agit énergiquement contre elle en infusant à l'armée italienne du sang anglais, américain et français, son échec peut se tourner en désastre. D'ici quelques semaines, la situation peut être renversée ! La Turquie s'aventure dans des opérations lointaines et en Russie la situation s'améliore au point que les Allemands doivent y garder les 43 divisions qui ont mission de la surveiller. Partout des foyers de résistance s'organisent sur lesquels pourra s'appuyer le Japon le jour de son intervention que tout fait prévoir comme devant être prochaine.

L'Allemand jouera en juillet le coup décisif de la bête traquée de toutes parts. Il ne passera pas ! C'est à notre commandement qu'il appartient de décider de l’époque à laquelle il organisera l’offensive. M. Abrami est convaincu du succès de nos armes ; il ne voulait pas garder pour lui la certitude qu'il a de la victoire, c'est pourquoi il a cru bon d'exposer à ses amis les raisons sur lesquelles s'étayent ses patriotiques espérances.

De longs applaudissements ont salué les réconfortantes paroles du sous-secrétaire d'État à la Guerre, et c'est dans une atmosphère de cordialité, de sympathie et de confiance que s'est terminée vers 7 h. cette belle réunion dont chacun emporte en se retirant, la foi plus ardente encore dans le triomphe final de nos armes.

H. Francq

La France du Nord, jeudi 4 juillet 1918. Archives départementales du Pas-de-Calais, PG 16/97.