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Les États-Unis à la société de géographie de Boulogne

Affiche couleur montrant un soldat tapi dans un coin, apeuré par l'ombre immense d'un autre soldat coiffé d'un chapeau à larges bords.

Voilà les américains ! Ce que nous apporte l'Amérique. Affiche de propagande pro-américaine, 1918. Archives départementales du Pas-de-Calais, 17 FiC 883.

C’est dans la salle des fêtes du camp britannique de Marlborough qu’a lieu la conférence de Louis Rouquette sur le marché américain. Agrégé d’université, chargé de mission en Amérique et auteur de nombreux ouvrages sur les États-Unis, Louis-Frédéric Rouquette (1884-1926) a été le secrétaire du commissariat général chargé d'organiser la participation de la France à l'Exposition universelle de San Francisco en 1915. Sa mission a pris une portée patriotique et économique toute particulière avec le déclenchement de la guerre.

Si le milieu du commerce et de l’industrie s’était montré tout d’abord hésitant, le gouvernement français a accepté avec empressement, le 10 mai 1912, l’invitation américaine. Le 29 novembre 1913, Albert Tirman, ancien directeur de la Marine marchande affecté au quartier général du gouverneur de Paris, est nommé commissaire général pour la France à la Panama Pacific International Exhibition. Un projet de crédit de deux millions de francs est déposé le 31 janvier 1914 : le 10 mars suivant, le président du Conseil confirme les intentions du gouvernement, que défend en juillet le ministre du Commerce, de l’Industrie et des Postes et télégraphes, Gaston Thomson, devant la Chambre et le Sénat. Les raisons politiques, plus encore qu’économiques appellent de fait la France à être présente à San Francisco.

Ouverte le 20 février 1915, l'Exposition internationale de Panama-Pacific a pour mission officielle de célébrer l'ouverture du canal de Panama, inauguré le 15 août 1914. Incontestable lieu d'échanges et de valorisation des productions, des inventions et des arts, elle accueille vingt-neuf États, malgré la guerre, et attire près de 19 millions de visiteurs. Les exposants français sont répartis dans quatre pavillons : le pavillon français (une reproduction de l’hôtel de Salm, le palais de la Légion d’honneur à Paris), le palais des Manufactures, mais aussi ceux des Beaux-Arts et de l'Économie sociale. Il y a incontestablement du côté français la volonté de développer des liens avec les États-Unis dans le domaine de la recherche, de l’industrie, de l’enseignement ou encore des arts. En valorisant son savoir-faire et son histoire, la France ambitionne d’emporter encore plus de sympathie de la part des Américains.

Il est évident que les relations commerciales franco-américaines ont été marquées par la guerre. Les problèmes liés aux blocus maritimes et sous-marins, aux droits de douane élevés, aux restrictions ou aux blocages tant à l’exportation qu’à l’importation, dominent la scène politique. Les transactions commerciales privées sont remplacées par des contrôles gouvernementaux à grande échelle, tandis que la production se recentre sur l’effort de guerre.

Il a fallu trois ans pour que les États-Unis passent de la neutralité à l'engagement dans le conflit. Leur entrée en guerre le 6 avril 1917 change la situation militaire des Alliés, mais modifie aussi la conduite de la guerre économique. Les attentes françaises sont nombreuses en effectifs et en matières premières, en concours industriel ou bien encore en crédits. Véritable moment de réorganisation et de mutations sociales favorables au capital français, le conflit, qui exige des niveaux de rendement élevés dans les usines sidérurgiques et d’armement, voit ainsi le taylorisme débarquer progressivement en France.

Société de géographie de Boulogne-sur-Mer

Pour une fois, la société de géographie a émigré. La conférence de dimanche à
3 h et demi, elle l’a tenue non plus au théâtre comme à l’ordinaire, mais au camp anglais de Marlborough dont la salle des fêtes avait été mise gracieusement à la disposition du comité d’organisation par le colonel A. C. Elliot. Un pareil geste valait au moins un remerciement, M. le président Barlet l’a adressé en ouvrant la séance en des termes pleins d’à-propos qui ont provoqué à diverses reprises les applaudissements du nombreux public qui avait répondu à l’appel de la société de géographie. C’était juste et c’était bien.

Très originale la salle de conférences ; nos alliés les Anglais ont le sens du confortable ; et dans leur camp ils ont aménagé un vaste hall, long et étroit comme un entrepont de transatlantique dont les fenêtres seraient les sabords et qui est dominé par une scène sur laquelle avaient pris place autour de M. le président Barlet, MM. le général Dumas, commandant la région du Nord ; le colonel A. C. Elliot, Coppin, représentant le maire ; M. le rabbin, M. Francq.

Rien ne manque à la scène, ni la rampe, ni les artistes, qui interprèteront avec talent les hymnes nationaux de France, d’Angleterre et des États-Unis comme Mlle Champion ; ou qui détailleront avec bonheur, comme le fit M. Legay, un poème de circonstance dû à l’inspiration du maître Rostand et qui a pour titre : L’Île des chiens.       

Mais voici la pièce de résistance, elle nous est servie par le conférencier M. Rouquette.
L’orateur auquel le public n’a pas ménagé ses applaudissements s’est taillé un joli succès en parlant avec simplicité et discrétion et parfois aussi avec feu des choses qu’il a vues au cours de ses voyages en Amérique où il fut l’actif organisateur de l’exposition de San Francisco.

Très-clair, M. Rouquette qui parle d’abondance s’exprime avec facilité et conviction. Il expose les raisons pour lesquelles il était nécessaire à la France méconnue en Amérique de participer à l’exposition de San Francisco, centre germanophile, travaillé par les journaux de M. Rodolphe Hearst et où s’affirmait la conviction que la France était si bien battue par l’Allemagne que de ses châteaux des bords de la Loire, joyaux national, elle n’avait plus à offrir au monde que la représentation photographique.
Il fallait réagir contre un pareil état d’esprit soigneusement entretenu par les professeurs des 365 universités où l’élément boche prédominait, dans l’intérêt de notre prestige et du rayonnement de notre influence.           

C’est ce que firent les conférenciers français qui prirent à tâche de montrer que le peuple français n’était point la nation veule et sans ressort dépeinte par les séides de Bernstorff, mais une nation pleine de sèves où des femmes héroïques travaillaient aux champs, aux usines et dans les ambulances, tandis que dans les tranchées, les poilus opposaient leurs poitrines à la ruée des envahisseurs.

Il fallait montrer de quelle invraisemblable mystification avaient été victimes les Américains, qui, lisant Molière dans des textes falsifiés par les Allemands, en étaient arrivés à considérer le plus grand des moralistes de tous les temps comme le plus infâme des pornographes.        

Les conférenciers français en Amérique ont accompli une œuvre nécessaire de désinfection des cerveaux.
Quant à nous, dit M. Rouquette, il faut reconnaître que nous avions une idée fausse des Américains, considérés par nous comme des milliardaires à exploiter ou comme des cow-boys à applaudir dans les cirques.

L’Amérique laborieuse, organisatrice, méthodique, nous échappait. Nous ignorions tant de choses avant la guerre !
Malgré trois Révolutions, nous sommes restés 1830. Les pieds dans les pantoufles, assis derrière le comptoir, nous attendons que le client vienne, pendant que nos concurrents plus audacieux et moins casaniers vont conquérir les marchés du monde.           

Chez lui, le Français excelle à faire travailler à son profit, il paie peu ou mal ; comme gratification, il ajoute volontiers une bonne parole ou un sourire, rémunération évidemment insuffisante. En Amérique, on exige du travail, mais on consent à une équitable compensation de l’effort.

Donnant, donnant, telle est la devise du système Taylor qui a échoué en France par les exigences des employeurs et qui fait la fortune des États-Unis. Mais, depuis trois ans, la France a vieilli d’un siècle, puisse-t-elle avoir acquis l’expérience de cent années, en s’inspirant pour l’après-guerre des méthodes de centralisation et de spécialisation du Nouveau Monde.
Que nos jeunes gens s’expatrient, dit M. Rouquette, qu’ils parcourent l’Univers et qu’ils rapportent dans notre patrie les procédés qui font la force de nos rivaux.           

Secouons notre apathie, poursuit l’orateur très écouté et très applaudi, rompons avec des usages surannés et condamnés par l’expérience, sachons que le téléphone, le télégraphe et la machine à écrire ont été inventés pour que l’on s’en serve.
Imitons les Américains qui produisent des montagnes de munitions, qui de New York à la Virginie construisent par séries 5 000 bateaux de 12 000 tonnes qu’il faudrait des mois et des mois à la France pour faire sortir des chantiers, avec la manie qui est la nôtre d’apporter des modifications aux travaux en cours d’exécution.
Ces excellentes choses que nombre de bons esprits pensent, il convenait qu’elles fussent dites. Et le public approuve l’orateur de ses applaudissements répétés.           

Passant à un autre ordre d’idées, M. Rouquette, que l’on écoute avec un intérêt croissant, dit la puissance productrice de l’Amérique à travers laquelle le voyageur peut progresser pendant trois jours en chemin de fer, au milieu de terres à blé ; il dit la puissance financière du Nouveau Monde qui détient la moitié de l’or de l’Univers et qui nous aide aujourd’hui par le crédit illimité qu’il nous accorde. Il dit quelle est la puissance militaire d’un peuple capable de lever 10 000 000 d’hommes, qui nous en a envoyé 72 000 et qui dans trois mois sera capable de débarquer une force de 500 000 hommes qui viendront remplacer nos vieux poilus du front.

Très applaudi, M. Rouquette conclut sa remarquable conférence en conjurant les jeunes Français d’aller étudier sur place les méthodes américaines, et de prendre à nos alliés un peu de leur ténacité et beaucoup de leur témérité.
Après l’audition des hymnes nationaux remarquablement exécutée par la fanfare militaire, M. Francq, secrétaire général, remercie le conférencier et la séance est levée à 5 h et demi.                                                                                         

Le secrétaire général.
H. FRANCQ.

La France du Nord, lundi 22 et mardi 23 octobre 1917. Archives départementales du Pas-de-Calais, PG 16/96.