Registre paroissial de Boulogne-sur-Mer, 1610
Le tresziesme du présent mois de may Marie de Médicis,
femme du Roy Henry quatriesme, fut coronée Roine
de France à St Denys avec grande magnificence et le
dimanche ensuivant debvoit faire son antrée à Paris,
les rues acommodées superbement d’une despance
incroiable des Parisiens, mais celuy auquel nullum
secretum absconditum [aucune secret n’a été caché] et quy dispose des affaires
aultrement que proposent les homes changea ces
grandes joyes en pleurs et larmes. Car ce
grand Roy Henry quatriesme, Roy de France et de Navarre,
ayant mis sur pied une grande et puissante armée
sur les limites de l’Alemagne pour aller en
Juliet, pretexte pour accomplir le secret de ce grand
Roy que nul ne scavoit ou pour le moins peu de gens,
se déliberant de partir le dix huictiesme dudict mois pour
aler a ladicte armée et estre le conducteur d’icelle,
advint que le vandredy quatorziesmedu présent
mois de may 1610, quy fut le landemain du sacre et
couronnement de la Roine, ce grand Henry, de très
heureuse mémoire, l’effroy des estrangers l’arbitre
de la Chrestienté, estant dedans la ville de Paris où
désirant sur les trois heures apres midy de s’en aller
promener dedans son arsenal et voir le grand appareil
quy se faisoit par les rues pour le dimanche ensuivant,
se mit en son carosse avec le duc d’Espernon,
Roclore et aultres sans vouloir prendre auchun
arché ny exempt des gardes de son corps, le
malheur ou plutost nos peschés portèrent que ladicte
carosse estant arrestée pour l’ambaras d’une charette
quy luy venoit au rancontre au bout de la rue de la
Feronerie proche la grande porte du cimetière des
Sainctz Innocens, un maudit et exécrable assasin nomé
François Ravailiac, natif d’Angoulesme, se eslança en
ladicte carosse, tenant un grand cousteau en sa main
bleça ce bon Roy de deux cous au costé gauche,
dont il mourut, perdant tout a coup la parole pour
la grande abondance de sang quy luy sortoit de la
bouche et y eut une grande clameur de peuple avec
une infinité de regretz, voiant ce pauvre corps mort
sy subitement. Ce peuple pouvoit bien dire « Quomodo
cecidit potens qui salvum faciebat populum Israël ? » [Comment est-il tombé si bas, l’homme puissant qui sauvait le peuple d’ Israël ?]
La responce est : « Heu captus est in peccatis nostris ». [Hélas il est prisonnier de nos péchés]
L’on ne voioit que pleurs et lamentations par les rues
et ce pouvoit bien bien dire ce que St Ambroise disoit de son
empereur Théodose « Solvamus bono principi stipendiarias
lacrymas quia ille soluit nobis etiam suae mortis
stipendium » [Versons à notre bon seigneur le tribut des larmes puisque lui paie pour nous le prix de sa propre mort]. Et fut le corps dudict Roy enteré dedans
le cœur de l’église de Saint-Denis en France
[dans la marge] et son cœur fut
porté a la ville
de la Fléche et mis
fort solemnellement
dedans l’église des
pères Jésuistes, ainsy
l’avoit-il ordonné long
temps devant sa mort. [fin de la note]
Ceste
mort menacoit un changement a l’Estat et grand
trouble en France mais Dieu par sa divine bonté
y provust car la sagesse de la Roine et la prudence
de Monsieur le duc de Guise et de Monsieur du Maine,
son oncle, et de Mr le duc d’Espernon quy furent
a l’heure mesme saluer et recognoistre pour
leur Roy le filz aisné du défunct Roy mirent si bien
ordre aux affaires que la France en receut de la
consolation et n’y [eut] point de sédition en la ville.
Le malheureux Ravailac fut pris et appréhendé prisonier
et quelque temps après son procès faict et parfaict
combien que jamais ne voulut confesser quy luy avoit
faict faire le crime, disant « c’est un coup du ciel », fut
condamné à faire amande honorable devant l’église de
Nostre Dame de Paris tout neu en chemise et de lamené dedans un tombreau au lieu là où il
avoit faict l’assasinat et y avoir le poing couppé
et de là estre conduict a la grande place de Grève
et y estre tenailé et tiré à quatre chevaulx et
puis escartelé en quatre quartiers, son corps bruslé
et mourut a son opiniastreté de ne vouloir accuser
personne, comme me l’a récité son confesseur quy
estoit le curé de St Leu avec un aultre docteur. Et
à grand peine l’exécuteur de justice eut-il faict
ce quy luy estoit commandé que le peuple pry
les mambres de ce misérable pour les aler traisner
par les rues de Paris. Et en aultre se trouva un
laquais avec grand pleurs et lamentations dona
plusieurs coups sur le corps prest a jetter dans
le foeu et en coupa un morceau de chair qu’il mangea
devant le peuple vomisant une infinité d’injure
contre ce Ravaliac. Et ausy fut dict par ladicte
santance que le père et la mère de ce traistre
seroient banis et defance a eux et a toute la
lignée présente et a advenir sur peine de la vie
de porter le nom de Ravaillart.
Archives départementales du Pas-de-Calais, 3 E 160/11.