Un épisode de la guerre souterraine dans le Pas-de-Calais
En mars, le ministre de l’Armement citait à l’ordre du corps des mines, MM. Parent et Lancrenon, ingénieurs chargés de l’arrondissement minéralogique d’Arras, avec le motif suivant :
"Se sont particulièrement distingués par le courage et le dévouement dont ils ont fait preuve au cours des opérations entreprises le 29 décembre 1917 et jours suivants pour le sauvetage d’ouvriers des mines de Béthune et de soldats de l’armée anglaise à la suite d’une émission de gaz toxiques faite par l’ennemi dans les travaux souterrains de ces mines."
Que s’est-il donc passé ? Dans le "Journal des réfugiés du Nord", M. Léon Gobert fait ce récit :
Tandis que la canonnade fait rage au dehors, les mineurs besognent utilement au fond.
Parfois ils n’ont plus à leur disposition pour "dévaler" et remonter que les "échelles". Comme au vieux temps. Périlleuse dégringolade, pénible ascension après la journée. Qu’importe ! Ils ont l’agilité des anciens.
Mais on ne travaille pas seulement au fond, parfois on s’y bat dans la nuit à la clarté falote des lampes ; on s’y bat comme dans les boyaux.
On n’a pas hésité à se fusiller dans ces mines d’où l’on proscrivait autrefois toute lumière nue, où l’on ne pouvait fumer, où il était interdit d’emporter même une allumette de la régie.
Vous savez que tous les puits, sièges d’extraction, communiquent souterrainement entre eux. C’était une prescription formelle. Autrefois des mineurs surpris par un accident furent bloqués au fond de tailles inaccessibles et y périrent. On décida que les fosses auraient des sorties multiples pour éviter des accidents.
Les Allemands connaissaient nos mines. La catastrophe de Courrières les aurait au besoin familiarisés avec elles. On sait avec quelle rapidité accoururent chez nous les sauveteurs d’outre-Rhin, les équipes fameuses entraînées aux séjours dans les milieux respirables, pourvues – déjà – de masques perfectionnés contre les gaz. On les accueillit avec reconnaissance et elles rendirent, en effet, des services. Même à ce moment on voulut voir dans ce geste des houillères allemandes plus qu’un témoignage de solidarité professionnelle ; mieux qu’un acte d’humanité : une manière de prélude à cette entente germano-française que d’aucuns souhaitaient.
Nous étions en 1906, au lendemain de l’alerte de Tanger. Nous avions déjà été à deux doigts d’un conflit. L’attention était éveillée sur les visées de l’Allemagne. Qui pourrait affirmer que "les sauveteurs de Courrières" comme on les appelait, n’ont pas contribué à rendormir les méfiances !...
En tout cas, quand les Allemands, en 1914, eurent pris possession de notre bassin houiller du Nord et d’une partie de celui du Pas-de-Calais, tout de suite ils se montrèrent inquiets des facilités que pouvaient nous donner la communication des puits. Ils obstruèrent ceux qui avoisinaient le front.
Pourquoi un beau jour, sans qu’on s’en aperçût, en dégagèrent-ils un ? Mystère ? Voulaient-ils surveiller plus attentivement le fond ? Avaient-ils d’autres projets ? Nul ne sait. Ce qui est certain, c’est que les équipes de mineurs qui, sous le sol occupé par les Boches, allaient entretenir les travaux et veiller au bon état de la mine, entendirent soudain parler au fond d’une galerie. Ils prêtèrent l’oreille. Pas de doute, les Allemands étaient là. Ils étaient descendus à quelques-uns au "panier" puisqu’il n’y avait plus de cages.
Nos ouvriers en remontant prévinrent les autorités : l’état-major fut averti. Des soldats britanniques avec une mitrailleuse descendirent et guidés par les ouvriers se rendirent jusqu’à l’endroit où les paroles avaient été perçues. On vit les Allemands. Peut-être eût-on pu les capturer, mais les soldats allèrent trop vite en besogne. Ils braquèrent leur mitrailleuse et firent feu. Les boches regagnèrent en hâte leur panier et donnèrent le signal de la remonte.
Le coup était raté et les Allemands avaient l’éveil. C’est alors qu’ils empoisonnèrent le fond avec des gaz. Des mineurs, des soldats anglais, comme le constate la citation, furent intoxiqués. Il fallut tenter de les sauver. Opérations longues, délicates et particulièrement dangereuses. Il fallut aussi en hâte prévenir un retour offensif des Allemands, leur barrer le passage, fermer la communication…
N’a-t-elle pas une certaine grandeur tragique cette bataille au fond des sombres galeries ? Cette rencontre des deux adversaires au détour d’une bowette ou d’une taille qu’illumine par instants l’éclair de la mitrailleuse…
Puis c’est l’empoisonnement, le "mauvais air" jeté par les Allemands, la recherche des victimes possibles ; la réédition après onze ans des lugubres excursions de Courrières sous la protection du masque ; enfin le barrage hâtif pour empêcher tout retour de l’ennemi, toute propagation, dans les galeries où l’on travaille, de ses gaz nocifs !
Simple page de l’histoire de la grande guerre ; minuscule épisode dans l’énorme drame. Combien en compte-t-on ainsi qui jamais ne seront connus ? Combien restent encore ignorés que l’on saura plus tard ?.