Avec la militarisation des voies de communication, l’exploitation du système des transports échappe complètement au gouvernement, même si théoriquement le directeur des chemins de fer du ministère des Travaux publics reste compétent pour toutes les questions financières, juridiques et d’expertise technique.
Cette réalité est particulièrement mise en avant dans la presse lors de la crise des transports et du charbon de l’hiver 1916. Les journaux fustigent l’ingérence militaire au détriment de la logistique civile et déplorent l’absence de mesures législatives.
En novembre 1916, le gouvernement est interpellé à ce sujet lors d’une séance à la Chambre. Cette crise entraîne le 12 décembre 1916 la démission du ministre des Travaux publics, des Transports et du Ravitaillement, Marcel Sembat, ouvertement montré du doigt. Malgré le feu nourri des critiques à son encontre, Sembat avait pourtant contribué à réaffirmer le pouvoir civil de son ministère sur le pouvoir militaire.
L’arrivée d’Albert Claveille au sous-secrétariat d’État aux Transports (du 14 décembre 1916 au 12 septembre 1917), puis à la tête du ministère des Travaux publics et des Transports en 1917, va achever cette réattribution de compétences et le renforcement – notamment en termes de financement - de ce ministère dans l’organigramme gouvernemental. Progressivement, Claveille récupère des attributions jusque là dévolues aux militaires en vertu de la loi de 1888.
Ce technicien hautement respecté dénonce les failles du chemin de fer français dont la gestion, malgré les réquisitions militaires, reste le fait des compagnies privées. Avant guerre, seuls 23 % des chemins de fer appartenaient à l’État, contre 93 % en Allemagne. Il va sans dire que cette privatisation provoque des inégalités dans l’administration des réseaux et ralentit considérablement le trafic.
Dès 1917, Claveille lance un projet ambitieux de réforme du régime des chemins de fer. Ses principales orientations portent sur l’unité technique et la solidarité financière des réseaux, réforme finalement actée au printemps 1920.
Le chemin de fer de Paris à Calais pendant la guerre
Déjà très importante en temps de paix, la ligne de Paris à Boulogne et Calais a concentré depuis la guerre toute l’activité du réseau du Nord. Le transit y a exactement triplé.
Dès le mois d’août 1914, les services furent interrompus par suite de l’invasion sur la grande ligne internationale de Paris, St-Quentin, Busigny, vers la Belgique et l’Allemagne. Il en était bientôt de même sur la ligne de Paris à Lille.
Seule, la route qui conduit à la mer est restée libre. C’était une question capitale pour le salut de la France en raison du concours que nous apportait l’Angleterre.
Non seulement les transports militaires ont été assurés par la ligne de Paris à Calais, mais les populations du Nord et du Pas-de-Calais ont toujours eu à leur disposition jusqu’à présent des trains de voyageurs et de marchandises qui ont continué à circuler à proximité du front.
Les parcours et les horaires ont été souvent modifiés, mais les relations n’ont jamais été interrompues avec la capitale.
Le service des transports, devenus aujourd’hui la grosse question d’actualité, laisse sans doute à désirer et présente des inconvénients, mais il faut tenir compte des circonstances exceptionnellement critiques que nous avons traversées et des obstacles qui ont dû être surmontés par les ingénieurs qui se trouvent à la tête de la Compagnie du Nord.
Examinons donc rapidement dans quelles conditions ont été assurées depuis la guerre, les relations entre Paris et notre région.
Durant les cinq ou six premiers jours de la mobilisation, les gares ont été brusquement fermées pour les civils et le transit des marchandises. Ceux qui ont été absolument obligés de se déplacer à cette époque se souviennent avec effroi des prix fantastiques exigés par les chauffeurs d’autos qui les transportaient d’un point à un autre.
Peu à peu, la Compagnie du Nord remit quelques trains en circulation pour le service ordinaire.
Vers le 10 août 1914, l’administration avisait les voyageurs que des trains réguliers seraient mis en marche entre Boulogne et Paris à titre provisoire et sans garantie.
Le train quittait la gare centrale à 10 h 30 et ne prenait au départ que des voyageurs venant d’Angleterre et des voyageurs locaux pour Paris seulement. On arrivait à Paris à 18 heures. Au retour le train quittait Paris à 11 h 30 pour être à Boulogne à 17 h 13. Ce n’était déjà plus les bons rapides d’avant la guerre qui accomplissaient le trajet en deux heures quarante minutes ; le parcours durait près de huit heures et nos compatriotes trouvaient le temps long. Ils devaient en voir d’autres dans l’avenir !
Vers le 29 août, les trains venant de Calais et Boulogne étaient arrêtés à Amiens et devaient rebrousser chemin par St-Roch et Rouen.
La ligne d’Abbeville au Tréport et du Tréport à Paris, par Abancourt et Beauvais, rendit alors à nos régions des services importants. À l’heure actuelle, cet itinéraire est encore suivi par deux trains poste, de façon à décongestionner dans la mesure du possible la voie principale.
Tandis que les Allemands approchaient rapidement de Paris, les Français détruisirent le pont établi sur l’Oise entre Creil et Chantilly.
Quelques semaines après la victoire de la Marne, l’utilité de la ligne principale de Paris à Amiens se faisait sentir. Un raccordement était rapidement construit et le génie établissait, à quelques centaines de mètres de l’ancien pont, un passage sur pilotis au-dessus de l’Oise.
À cette époque, les trains de Calais et Boulogne faisaient des trajets interminables en suivant les lignes de la grande banlieue parisienne ; ils se promenaient par des itinéraires inattendus du côté de Méru, L’Isle-Adam, Pontoise, etc.
Au milieu d’octobre 1914, les voyageurs étaient vingt-sept heures en wagon pour aller de Boulogne à Paris. Ce record a été seulement dépassé dans des circonstances exceptionnelles. Le train régulier, dit express, suivait alors les convois vides qui redescendaient vers la capitale après avoir amené des troupes dans la région du Nord. Il faisait quelques tours de roue, puis s’arrêtait durant de longs intervalles pour laisser prendre quelque avance aux quarante trains qui se trouvaient devant lui. La nuit passée dans des compartiments bondés et sans lumière, mal conditionnés pour des séjours aussi prolongés, était surtout pénible aux voyageurs.
En février 1915, la situation s’améliore ; les trains reprennent la grande ligne, ils marchent à une allure très lente jusqu’à Étaples et Abbeville, puis accélèrent leur vitesse, sauf entre les gares de Creil et Chantilly où ils traversent encore l’Oise sur le pont de fortune construit par le génie militaire. On met à cette époque six heures pour aller de Boulogne à Paris. Même après la reconstruction du pont de Creil en maçonnerie, la durée du trajet dans les trains-poste n’a plus guère été diminuée.
Durant la seconde partie de l’année 1915, et 1916 jusqu’à l’offensive de la Somme, le service a été normal, les horaires ont peu varié et ont donné toute satisfaction au public.
Grâce à un effort, dont on ne connaîtra que plus tard tout le mérite, la Compagnie du Nord a continué à assurer les transports durant la campagne de l’Yser et pendant l’offensive d’Arras.
Déjà, au début de la mobilisation, elle avait opéré la concentration des troupes françaises et anglaises avec un ordre remarquable. La mobilisation de l’armée anglaise, heureusement prévue, nécessitait la mise en marche de cent trains par jour. Puis ce fut le ravitaillement, les munitions, les renforts qui ne cessaient d’affluer.
Malgré les nécessités militaires, il fallait aussi faire face au service des mines, au transport des charbons français et anglais nécessaires à toutes les industries de la guerre.
Le matériel, soumis à un travail intensif, s’usait rapidement, et la Compagnie ne disposait plus de ses principaux ateliers d’Hellemmes, de Fives, de Douai, de Valenciennes, etc. Les ateliers de réparation de St-Denis devenaient insuffisants et il fallut demander du secours aux compagnies d’Orléans et de Paris-Lyon-Méditerranée.
Il n’y a donc pas lieu de trop s’étonner si, depuis quelques mois, la marche des trains est redevenue irrégulière. Le résultat était fatal avec une guerre si longue. Pour remédier à cette situation, la direction des transports a été réorganisée et nous avons reçu successivement les visites de MM. Claveille et Herriot.
Jusqu’à présent l’initiative des nouveaux ministres n’a rien produit d’extraordinaire. Le but principal poursuivi par le Gouvernement est d’éviter les émeutes et le mécontentement à Paris en augmentant dans de grandes proportions le transport du charbon.
Un avis, affiché ces jours-ci dans les gares de Boulogne, a prévenu le public, que jusqu’à nouvel ordre les trois trains-poste de Calais à Paris et de Paris à Calais, prendraient sur tout leur parcours l’allure des trains militaires. Ils arrivent donc maintenant avec des retards réguliers de quatre à cinq heures.
Cette mesure ne sera pas de longue durée et de nouveaux horaires vont être appliqués au commencement de février.
Comme il est entendu qu’en temps de guerre, on ne voyage plus pour son agrément, le service des voyageurs sera réduit à sa plus simple expression et les trains de marchandises seront augmentés.
Les industriels et les commerçants de nos départements septentrionaux réclament avec insistance depuis le commencement de l’hiver que des facilités plus grandes leur soient accordées pour recevoir et expédier leurs marchandises.
Souhaitons que les nouvelles modifications actuellement à l’étude leur donnent entière satisfaction et qu’il en résulte pour tous un peu de bien-être.
Il est temps de mettre un terme à l’augmentation excessive du prix de la vie afin de permettre aux populations d’attendre avec confiance le résultat des prochaines opérations militaires.
Wastelier Du Parc.
Le Télégramme, mercredi 31 janvier 1917. Archives départementales du Pas-de-Calais, PG 9/27.