La vie à Calais
Depuis bientôt deux mois, Calais vit sous la menace des armées allemandes. On ne s’en douterait pas. Tout ici respire la tranquillité et chacun s’y sent en sécurité.
L’activité industrielle persiste, ralentie certes, assez marquée encore pour alimenter de quelques salaires les ouvriers tullistes que la mobilisation n’a pas pris.
Dès le début des hostilités, les Allemands, assez nombreux, sont partis, peu pour l’Allemagne, presque tous dans les camps de concentration. Et lorsque l’ennemi dirigea son effort d’invasion vers le littoral, l’autorité militaire pria même les naturalisés d’origine allemande de s’éloigner temporairement de la zone des opérations. Ils comprirent que cette mesure était prise dans leur intérêt propre en les libérant de toute suspicion et quittèrent Calais.
Force morale
Le sort de leur ville préoccupe les Calaisiens à un moindre degré que la marche générale des opérations. À la vérité, ils savent que leur coin de territoire est difficilement accessible et qu’il est solidement organisé.
Aussi la ville n’a-t-elle pas connu un instant de défaillance durant le long siège à distance dont elle est l’objet. Et elle y eut quelque mérite.
Les heures pénibles qu’elle a vécues, les tristes spectacles qu’elle a vus, les effrayants récits qu’elle a entendus, auraient justifié et excusé bien des alarmes. Songez qu’à travers ses rues ont passé, en masse, d’abord les évacués de Lille, de Roubaix, de Tourcoing, d’Armentières, du bassin houiller, tous mobilisables, qui, suivant les conseils de l’autorité militaire, quittèrent leurs foyers pour se soustraire à l’emprise de l’ennemi et demeurer au service de la patrie.
Puis ce fut le tour des réfugiés femmes, enfants et vieillards fuyant l’envahisseur. Tous vinrent échouer à Calais en lamentables cohortes. Pendant de longues journées les trains se succédèrent et déversèrent dans la ville une foule marquée d’épouvante et dénuée de tout.
Plus nombreuses encore furent les caravanes de malheureux venus, à pénibles étapes par la route, du pays minier et des centres industriels de la région du Nord vers la mer où leur apparaissait le salut.
Enfin les Belges des Flandres envahies, après la prise d’Anvers, apportèrent le spectacle de leur détresse et de leur désolation.
Deux cent mille exilés
Je vous laisse à penser quelles terrifiantes nouvelles tous ces nouveaux arrivants semèrent successivement autour d’eux. Les Calaisiens cependant y demeurèrent insensibles. Rien ne réussit à troubler leur courage et leur confiance en l’inviolabilité de la cité. Les en louer serait leur faire injure.
Parlerai-je des embarras, d’apparence presque insurmontable, résultant de ces afflux subits d’une énorme population affamée et harassée. À certains jours, plus de deux cent mille exilés vinrent demander à cette ville de 70 000 habitants un gîte ou du pain.
Il fallut tout improviser et vite. L’active ingéniosité de la municipalité sut faire face aux besoins les plus urgents. L’initiative privée ne fut pas en reste. Tous furent secourus. Tous purent manger, presque tous trouvèrent un abri en attendant d’être évacués vers le centre et le midi de la France.
Ce furent des jours douloureux pour Calais et ce fut le mérite du très sympathique maire de la ville, M. Morieux, d’avoir surmonté toutes les difficultés par son esprit de méthode, son dévouement et son intelligente activité.
Le maire, comme tout le monde, est mobilisé. Il est 2e canonnier-servant. L’autorité militaire, bien inspirée, a laissé l’artilleur à ses fonctions municipales et elle a trouvé en lui un auxiliaire très précieux. L’accord est entier, cordial, entre le général-gouverneur et le soldat-maire. Entre eux nul formalisme hiérarchique. Le seul souci du bien commun dirige leur incessante collaboration.
Tout est prévu et réalisé pour assurer à la ville sa vie normale. De fait, si n’étaient les convois militaires, autos des armées alliées et ambulances, voire même les colonnes d’artillerie qui roulent par les rues du matin au soir et du soir au matin, à peine se croirait-on à la guerre.