En mars 1917, ce sont 7 500 personnes [ note 1] qui résident encore à Carvin (pour une population de 11 846 habitants lors du recensement de 1911), ville occupée par les autorités allemandes depuis le 8 octobre 1914 et où une Kommandantur a été constituée le 28 novembre suivant.
Le premier contact avec les troupes allemandes se produit dans l’après-midi du 5 septembre 1914. Des soldats et officiers logent chez l’habitant et en repartent le lendemain matin. Un Carvinois note à cette occasion : Pas de provocations de leur part. Ils boivent, certains s’enivrent et ne paient pas, c’est l’exception. Les chefs, hautains mais courtois. En un mot, ils ne firent pas peur
[ note 2].
Les débuts de l’occupation allemande à partir du 8 octobre sont bien plus éprouvants. Les premiers pillages ont lieu le soir même et les jours qui suivent : des bandes ivres entrent dans les maisons inhabitées, forcent les portes fermées, volent, pillent, souillent. […] Les magasins, surtout d’alimentation, les estaminets sont visités et pillés ; les autos sont volées dans les garages.
[ note 3] Le 28 novembre, une Kommandantur est constituée à Carvin et ses habitants sont dès lors soumis aux ordres des autorités allemandes pour toute la durée de la guerre.
L’occupation : une charge financière lourde pour la ville
En tant que ville occupée, Carvin éprouve rapidement de grandes difficultés financières et manque de numéraire. La commune est soumise à plusieurs reprises au paiement de lourdes contributions de guerre :
- 163 000 francs en octobre 1914,
- 842 800 francs en juin 1916,
- 475 000 francs en mai 1917,
- 712 500 francs en juillet 1917
- et 1 366 000 francs en décembre 1917.
S’y ajoutent les réquisitions et les dépenses engendrées par l’occupation en elle-même. En mai 1916, les dépenses mensuelles sont évaluées par le conseil municipal à 228 900 francs, dont 60 000 francs pour le salaire des ouvriers commandés par l’autorité allemande et 44 000 francs pour l’entretien des troupes d’occupation (nourriture, chauffage, éclairage, etc.) [ note 4].
Il doit en conséquence trouver les ressources nécessaires pour faire face à ces dépenses supplémentaires. Outre des emprunts auprès de la ville de Lille à partir de 1916 pour un montant de 250 122,80 francs, il procède à quatre émissions de bons communaux entre janvier 1915 et avril 1916, pour un montant total de 4 210 543,50 francs. Ces bons sont destinés à être échangés auprès des habitants contre valeur égale de monnaie française ou allemande
et leur montant sera remboursable après la guerre. À compter de mai 1916, l’autorité allemande n’autorise plus les petites communes à émettre des bons de monnaie. Seule est acceptée une émission collective pour l’ensemble de l’arrondissement de Douai et de la région de Carvin, à laquelle la ville de Carvin participe.
Une vie quotidienne régie par les autorités allemande
Contrôlée par les autorités militaires, la circulation des civils est restreinte. À partir du 22 octobre 1915, elle n’est autorisée que jusqu’à 6 heures du soir par la Kommandantur de Carvin et jusqu’à 8 heures par celle d’Épinoy. Les civils peuvent être contrôlés à tout moment.
Les troupes allemandes en cantonnement à Carvin réquisitionnent au début de l’occupation tout ce qui leur est nécessaire, notamment les récoltes et la nourriture. Ce qui ne manque pas d’inquiéter les habitants : Si on continue ainsi, que restera-t-il pour nous, habitants ?
La ville bénéficie à partir de 1915 d’un approvisionnement, notamment par le comité d'alimentation du Nord de la France et par le comité américain, qui permet de ravitailler la population malgré les privations de certaines denrées (viandes, lait, etc.).
Les Allemands installent en revanche l’électricité dans la ville au cours de l’automne 1915.
Vivre à proximité du front
Située à quelques dizaines de kilomètres seulement de la ligne de front, Carvin est régulièrement survolée par des avions. Un bombardement aérien sur la ville le jeudi 9 mars 1916 fait une quarantaine de morts, dont un seul civil. Les Allemands mettent en conséquence en place un système d’alarme pour signaler la venue d’avions, opérationnel à compter du 19 mars suivant. Dès lors qu’un avion passe le front, un coup de téléphone informe un poste d’observation situé à la fosse n° 4 de Carvin, déclenchant une sirène qui avertit autant les civils que les militaires.
Les habitants voient également passer dans leur ville, en provenance du front proche, des convois de prisonniers, de blessés et de morts. Un cimetière militaire allemand y est créé dès l’automne 1914. 6 113 soldats allemands y reposent. Une ambulance est installée à l’hospice de Carvin pour apporter les premiers soins aux blessés.
La vie à Carvin
La compagnie des mines de Carvin est totalement arrêtée, tous les puits sont mondés ; les machines d’extraction et tout le matériel ayant été démontés et expédiés en Allemagne.
À la compagnie des mines d’Ostricourt, tous les puits sont en activité ; la direction est assurée par un ingénieur allemand qui a remplacé M. Buchet et qui commande tous les ingénieurs et employés restés à leur poste. Le charbon extrait est vendu à la population locale et envoyé dans différents endroits.
Les Allemands ont installé une ambulance à l’hospice ; nos vieillards ont été évacués et logés par ici, par là, dans les maisons de la ville.
La circulation est autorisée dans la ville de 8 heures du matin à 8 heures du soir, chaque habitant doit avoir une carte d’identité avec photographie.
Au début de l’invasion, les cultivateurs rassemblés à la Kommandantur ont dû donner l’état rigoureusement exact de leur ensemencement et de leur récolte qui a été mise à la disposition des autorités allemandes.
Les hommes valides et mobilisables sont toujours employés par la municipalité soit au service des Allemands, soit aux travaux des champs. Les salaires sont toujours payés par la ville. Jusqu’à présent, aucun homme mobilisable n’a été envoyé en Allemagne.
La population civile est éclairée au gaz. Les officiers et les soldats se servent de l’électricité, qu’ils ont installée dès le début de l’invasion.
Le chauffage se fait au charbon qui est vendu à raison de 3 fr. 50 les 100 kilos. Ce charbon vient des compagnies d’Aniche et d’Ostricourt.
Toutes les communes de la région ont émis des bons communaux, d’accord avec la ville de Douai.
La police est assurée [pour] les civils par le commissaire de police assisté des agents Cuvelier, Olivier, Grenu et Lepoivre, et les soldats sont surveillés par la gendarmerie allemande.
Des aéroplanes survolent parfois notre ville et certaines ont bombardé avec succès les baraquements où sont logés les soldats allemands, qui à ce sujet ont pris des précautions pour éviter les bombes ; lorsqu’un avion est signalé, un coup de sirène retentit et aussitôt civils et militaires se réfugient dans des caves profondes et solides où ils sont à l’abri de tout danger.
Seule la boucherie Hennart est complètement détruite. Les maisons Diévart-Martin, Merlier-Sebert, Britaut, Nughes, Estienne-Masson, ont reçu des bombes, pas un civil n’a été blessé.
Les rues Neuve, Émile Zola et de la Gare ont été légèrement mitraillées par des bombes d’aéroplane.
Le service de santé est assuré par M. Gustave Daubresse, docteur et par M. Courtecuisse, pharmacien, aidés par des majors allemands. Concernant l’état de santé général, le docteur Daubresse a émis l’avis suivant proportionnellement la mortalité est moins élevée qu’en temps de paix.
Il y avait en décembre 1915, 25 000 hommes de troupes de différentes armes, le nombre est réduit de moitié.
Les personnes suivantes sont décédées : MM. J.-B. Diévart, Olivier, Lefief, Crepelle, Flament-Obled, Armand, MM. Georges Riquoir, Édouard Masson, Baivier frères, Chevalier père, Olivier père, Delpouve, Napoléon Demonchy, Boone, Armand.
Loison
Le Télégramme, mardi 6 mars 1917. Archives départementales du Pas-de-Calais, PG 9/27.
Notes
[ note 1] D’après les recensements de population du comité d'alimentation du Nord de la France, 1915-1918. Archives départementales du Pas-de-Calais, 10 R 3/324.
[ note 2] Chartreux-Plouvier (Ch.), Les Allemands sur le front de l'Artois. Souvenirs et documents de l'occupation par un habitant (Carvin 1914-1918), 1933, p. 9. Archives départementales du Pas-de-Calais, BHB 1016.
[ note 3] Idem, p. 15.
[ note 4] Délibération du conseil municipal de Carvin du 22 mai 1916. Archives départementales du Pas-de-Calais, E dépôt 215/D/10.