Un grand chef : le général Pétain
Une note officielle fait allusion au rôle du général Pétain dans la défense de Verdun. Elle dit, en effet, que le Président de la République a été reçu, au grand quartier général de l’armée de Verdun, par le général Joffre et le général Pétain.
Cette note rend public un fait que les initiés connaissaient déjà, à savoir que le général Pétain a la haute main sur les troupes qui sont chargées de défendre Verdun.
Le nom du général Pétain a été révélé pour la première fois lorsque le général fut cité à l’ordre du jour avec tout son corps d’armée pour sa brillante conduite, aux mois de mai et juin 1914[5], lors des affaires d’Artois.
Nous avons, dans le Petit Journal, raconté les exploits de son corps d’armée qui avait percé les lignes allemandes.
En Champagne, son rôle ne fut pas moins remarquable ; il était, depuis lors, considéré comme l’un de nos meilleurs chefs.
Le général Pétain, Henri-Philippe, est né le 24 avril 1856 à Cauchy-à-la-Tour (Pas-de-Calais). Sorti de Saint-Cyr, il fut nommé sous-lieutenant en 1878, lieutenant en 1883, capitaine en 1890, chef de bataillon en 1900. Breveté d’état-major en 1890, il fut nommé chevalier de la Légion d’honneur en 1901.
Le général Pétain était depuis de nombreuses années colonel, et à la veille de prendre sa retraite lorsque la guerre éclata. Il se fit remarquer dès la retraite de Charleroi et devint très rapidement général de brigade, général de division, commandant de corps d’armée et enfin commandant d’armée.
La note publiée hier est pour lui une consécration ; il en sera peut-être surpris, - mais il sera le seul – car il a l’horreur de tout ce qui est publicité ; c’est ainsi qu’on n’a pas pu obtenir qu’il consente à se laisser photographier, et les portraits qu’on a de lui n’ont été obtenus que par la surprise de l’instantané.
On lui prête ce mot dit à un photographe : "Pas la peine, ma g… ressemble à celle du comte Zeppelin".
Les automobilistes qui l’ont conduit à travers les différentes zones du front ont maintes fois essayé de le prendre sur le vif, mais chaque fois qu’il s’en est aperçu, il a fait détruire les clichés.
Il est très populaire parmi les soldats, et dans une revue jouée au front où la discipline n’empêche pas la liberté d’appréciation, un refrain disait :
V’là Pétain,
Gare au potin !
Un de ses officiers, qui l’avait bien connu quand il était colonel à Arras, nous disait :
- Pétain possède au plus haut degré cette qualité que nous appelons en style militaire : le cran. Quoique officier d’infanterie, il savait en imposer aux cavaliers dont on connaît, je ne dirai pas le mépris, mais la commisération pour les pauvres porte-sac.
Un jour il laissa même échapper ces paroles qui sont devenues presque prophétiques :
- Lieutenant, vous regretterez un jour de ne pas être un fantassin, car dans la prochaine guerre c’est l’infanterie qui sera à la peine comme toujours, mais aussi à l’honneur.
Le colonel du 33e d’infanterie ne pensait qu’à la guerre à une époque où beaucoup d’officiers de carrière pensaient souvent à leurs affaires ou à leurs plaisirs. En veut-on une preuve ?
Il pesait chaque jour sa nourriture et il ne faut pas voir dans ce souci de petite maîtresse la moindre coquetterie. Certes non. Il s’en expliquait du reste fréquemment avec ses amis et leur disait :
- Voyez les chevaux d’armes, on les tient en condition, on leur mesure leur nourriture, on les entraîne, pourquoi n’en fait-on pas autant pour les officiers ? La résistance physique d’un chef a au moins autant d’importance que ses connaissances militaires.
Toujours sous l’empire de ses idées d’entraînement, le général avait l’habitude de sauter à la corde tous les matins avant de faire sa toilette. Cette manie lui avait même valu à Arras un congé qui lui fut donné par un propriétaire affolé par les plaintes des voisins du militaire.
Ceux-ci, en effet, trouvaient que ce sport était peut-être excellent mais fort désagréable pour ceux qui habitaient à l’étage au-dessous. Ce fut alors que le colonel loua une maison avec jardin.
Le résultat de cet entraînement est d’ailleurs prodigieux et tous ceux qui ont vu le général de 59 ans, s’accordent à reconnaître qu’il est agile et leste comme s’il sortait de Saint-Cyr.
Au milieu de ses troupes
Récemment, en Champagne, on le vit parcourir cinq kilomètres au pas de gymnastique dans la terre détrempée à la tête d’une compagnie de découverte.
Combien de fois ne s’est-il pas amusé à aller surprendre un officier observateur sur son perchoir ou à provoquer un sergent au saut d’un fossé ?
Ces procédés en imposent aux troupiers d’autant qu’il sait aussi partager leurs fatigues et leurs souffrances, le sourire aux lèvres et la blague à la bouche. Il n’est jamais plus heureux que quand il est forcé de rester sans manteau sous la pluie devant les troupes.
C’est sur son initiative que l’autorité militaire a obtenu pour certaines unités que je ne peux désigner davantage le privilège d’être exemptés de tranchées pendant quelques mois.
Mais ce privilège donne à ces corps d’élite celui d’être réservé uniquement pour les colonnes d’assaut. On devine quel esprit d’héroïsme règne parmi ces soldats qui déclarent en souriant qu’ils sont tous voués à une mort glorieuse.
L’un deux, permissionnaire récemment à Paris, se faisait remarquer par la facilité avec laquelle il dépensait son argent sans compter.
- Bah ! répliquait-il à un ami qui lui en faisait l’observation, faut pas s’en faire pour nous autres : on est des soldats de Pétain !
C’est ce chef encore qui répondait récemment à un officier de l’armée d’Afrique qui le suppliait de le prendre dans son état-major :
- Comme officiers d’état-major ce qu’il me faut maintenant, ce sont des coureurs cyclistes et des champions de courses à pied.
Avis aux lauréats du stade et du racing.
Si j’en crois toujours les récits de son familier, le général a dû passer l’effroyable semaine qui vient de s’écouler autour de Verdun sur le siège d’une automitrailleuse dont il a fait sa chambre à coucher et son cabinet de travail. Il a changé en deux mois quatorze fois de chauffeur, et l’un deux a déclaré :
- Oh ! non, merci ! très peu pour moi : balader le général !... Je veux bien me faire tuer par un Boche, mais j’ai pas envie de me casser la figure dans une bagnole.
Et le grand chef ajoutait mélancoliquement en racontant cette anecdote :
- Le pauvre diable est mort d’ailleurs dans la tranchée tandis que je suis encore là. ».
Souhaitons, mon général, que vous soyez toujours comme vous l’avez été jusqu’ici.