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Culture ou forêt ?

Les bouleversements des terres sur les zones de front ont engendré des dépenses très élevées pour le relèvement des habitations comme des voies de communication, la remise en culture de terres agricoles, etc. La priorité est alors donnée à une reconstruction pour favoriser au plus vite le retour des habitants et la relance de la vie économique de la région. Les forêts du Pas-de-Calais telles que celles de Clairmarais et de Tournehem ont été surexploitées pendant le conflit, surtout à partir de 1915 lorsque l’armée britannique voit son approvisionnement en bois en provenance des Pays-Bas se tarir et qu’elle doit se fournir à proximité du front. En effet, le bois est une matière première indispensable pour de très nombreux usages : chauffage, construction et entretien des tranchées, voies de chemin de fer, industrie, etc. Que faire des territoires déboisés et des champs de batailles lorsqu’ils sont de nouveau disponibles ? Le premier objectif visé par les autorités est de pouvoir les rendre à la culture le plus rapidement possible.

Cette remise en état des sols dévastés implique de lourdes et coûteuses opérations de déblaiement, désobusage et nivellement notamment. Opérations qui requièrent des ressources matérielles, financières et surtout humaines importantes. À partir de 1919, les terres dont les coûts de remise en état seraient plus élevés que leur valeur de productivité sont qualifiées de zones rouges. Faute de matériel de détection des métaux, les opérations de désobusage menées après-guerre n’ont pas permis de déminer intégralement les sols et, tout au long du XXème siècle jusqu’à aujourd’hui, des munitions de la Grande Guerre sont encore mises au jour.

Malgré le souhait de personnalités telles que Fernand Anselin, qui expose son point de vue dans un article du Lion d’Arras du 5 juillet 1917 (transcription ci-dessous), certains de ces territoires dévastés sont donc reboisées faute de moyens suffisants pour les rendre cultivables. Ainsi, le plateau de Vimy, classé zone rouge, a été en grande partie reboisé sous la direction du service des Eaux et Forêts du Pas-de-Calais. Une forêt dite "de guerre" s’est ainsi élevée sur l’ancien théâtre de la bataille de Vimy.

Culture ou forêt

Le "Lion d’Arras" publiait le 5 juin une lettre du Comité des forêts répondant à mon article du 15 janvier 1917.

Je suis heureux de constater que sur le principe nous sommes d’accord : "Partout où il sera possible – quels que soient l’effort et la dépense – de rétablir une culture terrienne, la forêt n’a pas sa raison d’être."

Mais le Comité des forêts ajoute : "il parait certain que la majeure partie des terrains dévastés ne peut être remise de suite en culture" et qu’il serait nécessaire d’occuper le sol, temporairement au moins, par la forêt.

Ici, je me sépare de lui ; je crois et espère le contraire, j’espère que le reboisement ne sera indispensable que sur des espaces très restreints.

Ne nous méprenons pas tout d’abord sur le caractère temporaire de la plantation forestière : son rôle étant de régénérer l’humus superficiel par la décomposition des feuilles, des brindilles et des racines, ce serait un travail de lenteur dont on ne trouverait le bénéfice que dans un ou plusieurs siècles ; ce serait en somme la déchéance définitive de nos contrées dévastées, leur ruine pour un nombre illimité de générations. Encore une fois je veux croire et j’espère que nous n’assisterons pas à pareil cataclysme.

Souvenons-nous que nos terres d’Artois étaient parmi les plus fertiles de France pour le blé ou la betterave ; songeons que nous vivons une période de carte de sucre et que demain sans doute nous aurons la carte de pain ; pensons que par suite du bouleversement mondial la pénurie de sucre et de pain survivra à la guerre ; et disons-nous que, quel que soit l’effort à accomplir, nous devons à notre région et à la France de rendre à l’Artois son activité culturale.

En contemplant le chaos du champ de bataille, ses vastes et profonds entonnoirs, ses tranchées et boyaux enchevêtrés, n’oublions pas que le coutre de la charrue a fait surgir les moissons sur les ruines des plus fameuses cités de l’antiquité.

Au lendemain de la paix victorieuse, l’État nous fournira, pour atteler nos charrues, ses chevaux de guerre devenus sans utilité pour lui. Et pour colliger les débris de toutes sortes (mitraille, matériaux, fils de fer, etc…) l’État aura à sa disposition la main-d’œuvre militaire et coloniale devenue sans objet dans les usines de guerre. Pour déblayer nos champs, Annamites, Kabyles et Malgaches rivaliseront d’ardeur et de bonne volonté avec les soldats de notre jeune classe… 1919 ? je l’espère !

Fernand ANSELIN

Le Lion d’Arras, jeudi 5 juillet 1917. Archives départementales du Pas-de-Calais, PF 92/2.