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Évocation de la mission Jonnart en session du Conseil départemental

Photographie noir et blanc montrant un groupe d'hommes civils et militaires.

Un repas à Athènes avec Reygnault, Sarrail, Braquet, Jonnart et Gueydon, et après pose pour la presse. Photographie édité dans Le Miroir n° 192, 29 juillet 1917.

Le 16 avril 1916, le nom de Charles-Célestin Jonnart figure pour la première fois dans le règlement de la question grecque. Ce fin stratège, natif de Fléchin, est considéré comme un spécialiste des questions coloniales et de politique étrangère : il a ainsi été gouverneur d’Algérie (d’octobre 1900 à mai 1901, puis de mai 1903 à mars 1911), puis ministre des Affaires étrangères dans le cabinet Briand (de janvier à mars 1913) et président du Conseil international du canal de Suez (1913).

À cette date, la question grecque commence sérieusement à préoccuper les états de l’Entente. Il devient de plus en plus manifeste qu’il faut tout faire pour sécuriser l’armée d’Orient, entravée jusqu’ici par la germanophilie de Constantin Ier. Pourtant, Jonnart n’accepte pas de suite de reprendre le dossier grec. Le 11 février 1917, il refuse ainsi le poste d’ambassadeur à Athènes que lui propose Briand. Pour justifier sa position, il explique qu’il ne croit pas en l’utilité d’une simple action diplomatique, d’autant que l’influence allemande reste prédominante en Grèce, en raison notamment des divergences alliées. Le 26 février, il réitère ces propos devant la commission des Affaires étrangères du Sénat, en déplorant l’absence de cohésion des puissances et ses néfastes conséquences. 

Le 17 mai 1917, cette commission adopte le rapport Jonnart sur la Grèce, qui pose les jalons de l’action à venir, à savoir provoquer l’abdication de Constantin et replacer Venizélos à la présidence du Conseil. Son analyse politique s’accompagne de considérations idéologiques et juridiques destinées à justifier l’intervention aux yeux du monde. Jonnart affirme ainsi qu’il faut rétablir en Grèce la "vérité constitutionnelle" bafouée par Constantin et qu’en agissant de la sorte, les puissances alliées ne feraient que se conformer à leur mission définie par l’accord de 1832.

Le 28 mai, lors d’une conférence interalliée, la France et le Royaume-Uni s’accordent enfin sur ce dossier et décident d’exiger l’abdication de Constantin. Jonnart est alors désigné comme haut-commissaire des puissances protectrices de la Grèce

Arrivé à Athènes le 6 juin, il parvient à obtenir l’abdication de Constantin le 11 et Venizélos accède de nouveau à la présidence du Conseil grec le 27.

Le 14 juin, Alexandre Ribot évoque le succès de Jonnart en ces termes :
[M. Jonnart] a conduit toute cette affaire avec un esprit de décision remarquable, un juste sentiment des responsabilités et aussi avec la prudence et la douceur nécessaire pour éviter des complications inutiles et l’effusion du sang

Charles Jonnart cesse officiellement ses fonctions le 1er août 1917, unanimement salué par tous. Bénéficiant d’un grand prestige, il reçoit de nombreuses lettres de félicitations, dont de Gabriel Alapetite, ancien préfet du Pas-de-Calais, alors résident général en Tunisie.

Rentré en France, Charles Jonnart est réélu président du Conseil général le 24 septembre 1917, lors de la deuxième session ordinaire de l’institution. Il avait été brièvement remplacé par le doyen du conseil général, M. Delelis, à ce poste qu’il occupe depuis 1903.
Le lendemain, Georges Adam, maire de Condette et conseiller général du canton de Samer, lui adresse ces mots de remerciements.

Adresse de félicitations à M. Jonnart, sénateur, Président du Conseil général, Haut-Commissaire des Puissances protectrices de la Grèce 

Messieurs,

Je suis certain que toute l’Assemblée départementale s’associera avec enthousiasme à ma pensée. […]

Ne devons-nous pas dire à notre cher Président combien nous sommes fiers du rôle si grand qu’il a joué pendant la terrible guerre que nous subissons.

Il fallait un diplomate d’une haute intelligence, d’une grande distinction, souple et très énergique pour remplir une mission des plus importantes et fort pénible auprès du Gouvernement grec, et c’est immédiatement M. Jonnart qui a été désigné pour l’accomplissement de cette tâche si délicate.

Nous n’en avons pas été surpris, nous qui connaissons la grande valeur, la distinction et la finesse de langage de notre Président.

Il n’y avait pas un législateur en France mieux qualifié pour ce grand rôle, et vous savez ce qu’a obtenu notre éminent Président et Sénateur : il a tout simplement amené à notre cause la perfide Grèce et nous a fait pour ainsi dire un ami du roi dont on avait à redouter l’hostilité.

Tous les Français peuvent donc lui être reconnaissants du signalé service qu’il a rendu au Pays et à la cause des Alliés ; aussi le Conseil général se fait-il un bien agréable devoir de lui apporter le modeste témoignage de sa vive sympathie et de toute son admiration, en le priant d’agréer ses félicitations respectueuses et les plus chaleureuses.

Honneur et gloire à notre cher Président !

Signé : G. Adam.

Vifs et unanimes applaudissements - 

M. le Président

Messieurs,

Avec une bienveillance à laquelle il m’a depuis longtemps accoutumé, M. Georges Adam a bien voulu apprécier les résultats de ma récente mission en Orient et m’en féliciter.

[…] Une opération restait à accomplir en Orient pour garantir la sécurité des troupes alliées qui combattent sur le front macédonien. Il fallait arracher la Grèce à l’emprise allemande, balayer à Athènes les organisations germaniques, et, en anéantissant l’influence de la Cour de Berlin, ramener fraternellement le peuple hellénique à ses amitiés traditionnelles, et à une juste appréciation de ses intérêts et de ses devoirs.

On avait trop attendu. Je crus devoir relever dans un rapport au Sénat les erreurs commises par l’Entente en Grèce, et formuler des conclusions énergiques et précises.

À la conférence de Londres du mois de mai, où j’avais été appelé, j’eus la satisfaction de constater que les gouvernements britanniques et français étaient résolus à adopter une politique active.

Les puissances protectrices de la Grèce comprirent que pour imposer leur volonté et leur politique, elles devaient choisir un mandataire unique, placé au-dessus des Ministres de l’Entente à Athènes, afin d’assurer la coordination des efforts et l’unité d’action.

J’eus l’honneur d’être choisi et, si délicate et difficile que m’apparût cette mission, j’acceptai les fonctions de Haut-Commissaire des puissances protectrices, parce que je considère que, dans les circonstances que nous traversons, personne n’a le droit de se dérober à une tâche patriotique, si lourde et risquée qu’elle puisse être. (Applaudissements).

Ce n’est pas le moment de vous faire le récit des obstacles auxquels je me suis heurté. Je n’entrerai pas dans le détail des journées émouvantes et dramatiques que j’ai vécues. Je veux seulement faire ressortir que dans cette circonstance, encore, c’est la France qui a restauré l’unité nationale en Grèce, rétabli dans ce pays la vérité constitutionnelle, et préparé pour le peuple hellénique de nouvelles et glorieuses destinées, (Vifs applaudissements).

Notre armée d’Orient n’a plus rien à craindre du Gouvernement d’Athènes. C’est un Gouvernement ami et allié dont elle peut tout espérer. À sa tête, nous retrouvons le grand patriote grec, Venizélos. Rappelez-vous ce trait de l’extraordinaire carrière du grand homme d’État.

C’était au lendemain de Charleroi. Nous vivions les heures les plus douloureuses de notre histoire. Chez les neutres on se demandait si en quelques semaines la France n’allait pas être abattue. L’organisation allemande paraissait formidable, invincible. C’est alors qu’un homme se leva et dit : "Vive la France ! Il n’est pas possible que le flambeau de l’humanité s’éteigne, que la Nation gardienne du droit éternel soit rayée de la carte du monde ! La France vivra et vaincra ! Il faut que la Grèce et les peuples balkaniques se rangent à ses côtés". 

Et comme on lui observait qu’il était prudent, avant de se décider, d’attendre la suite des événements, cet homme s’écria : "Je ne suis pas de ceux qui volent au secours de la victoire !"
Cet homme, c’était Venizélos.

Le beau-frère du Kaiser, le roi Constantin, le chassa alors du pouvoir.
Oui, on peut tout espérer de la Grèce rendue à elle-même, dirigée par un pareil homme. (Applaudissements répétés).

Désormais il nous est loisible de disposer des routes et des chemins de fer en territoire grec, et de réduire ainsi les risques et la durée des transports maritimes. Nous allons utiliser là-bas les usines de munitions, et les ressources locales en cuir, en étoffes, en tissus, afin de diminuer notablement nos importations. Et bientôt une armée grecque de 300 000 hommes exercés par des officiers français viendra s’aligner aux côtés des troupes alliées, sur notre front de Salonique.

Notre prestige abaissé, humilié dans tout le Levant et rebondi, et rayonne de nouveau. (Applaudissements).

Je suis heureux d’avoir coopéré à ces résultats, d’avoir pu remplir ma mission à la satisfaction des puissances de l’Entente qui m’avaient fait confiance, et surtout de l’avoir rempli rapidement, puisque j’ai pu ainsi me remettre à la disposition de notre cher département, et reprendre avec vous, mes chers collaborateurs, la redoutable besogne qui est échue, dans cette période tragique, aux élus du Pas-de-Calais. (Vifs applaudissements).         

Procès-verbaux des délibérations du Conseil général du Pas-de-Calais, séance du 25 septembre 1917. Archives départementales du Pas-de-Calais, 1 N 135.