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Mort de Victor Lengagne

Photographie en noir et blanc d'une rue pavée, bordée de maisons. Au bout de la rue se trouve une église.

Carte postale intitulée "Desvres. Rue de l'église" [1908]. Archives départementales du Pas-de-Calais, 5 Fi 268/18.

Victor Lengagne, maire et conseiller général du canton de Desvres, meurt à son domicile, sur la Grand Place, le 21 avril 1918, à 4 heures du matin. Ses obsèques, le jeudi 25 avril, regroupent une importante assistance, composée d’élus et de représentants de l’État, de membres des sociétés locales, habitants, réfugiés et amis. Le long du cortège, encadré par les enfants des écoles publiques et privées, apparaissent aussi des délégations des armées françaises, anglaises et portugaises.

Victor Scévola Albert Lengagne est né à Desvres le 22 janvier 1861 ; il est le fils cadet du tanneur et fabricant de chaussures François Lengagne (dont la production, sous la direction de son aîné, Adolphe, figure à l’exposition universelle de 1900) et de la fille d’un chirurgien, Clotilde Defosse. Le 15 octobre 1884, alors qu’il est surnuméraire de l’enregistrement à Boulogne-sur-Mer après avoir obtenu le baccalauréat ès-sciences, il se marie à Desvres avec Eugénie Élise Cavé, la fille d’un ancien receveur de l’enregistrement décédé en 1869.

Il est lui-même nommé receveur de l’enregistrement à Noirmoutier (Vendée), où naît le 10 juillet 1886 sa fille, Élise Constance Clotilde. Il abandonne toutefois cette carrière dès 1895, puis devient négociant en vins et spiritueux à Desvres. Neveu par alliance du maire et conseiller général Louis-Félix Vincent, il s’implique dès lors dans la vie de la commune, principalement par le biais de l’assistance et de l’éducation : délégué cantonal et administrateur de la caisse d’épargne dès 1898, en 1900 adjoint au maire et suppléant du juge de paix, mais aussi vice-président de la société scolaire de secours mutuels du canton de Desvres, ou encore membre de la commission cantonale d’assistance et de la commission d’appel d’assistance obligatoire, etc. ; il est en conséquence promu officier d’académie par arrêté ministériel du 6 février 1903, puis officier de l’Instruction publique le 20 janvier 1909. 

Le décès de son oncle le 21 août 1910 l’amène à lui succéder, sans aucune concurrence, tant comme maire de Desvres le 16 octobre, que comme conseiller général le 13 novembre (2 328 voix, sur 2 476 votants). Républicain de gauche (modéré) comme son prédécesseur, il est alors décrit par la préfecture comme un homme intelligent et actif, possédant de nombreuses sympathies dans le canton et une assez grande autorité, qui ne peut que s’accroître (Archives départementales du Pas-de-Calais, M 444).

Son mandat est consacré aux travaux scolaires, d’hygiène et de voirie, que sa connaissance des questions financières lui permet de régler au meilleur coût. Il se résout à mettre l’usine à gaz en régie directe, par suite d’un conflit avec la compagnie privée gestionnaire. Pendant la guerre, il consacre toute son énergie au ravitaillement de la commune et du canton, tout en prenant la présidence du bureau permanent de l’office départemental des pupilles de la Nation. Il meurt, dit-on, victime de son labeur incessant.

La Mort de M. Lengagne

Les Obsèques 

Ce matin, jeudi, une foule considérable tint à accompagner à sa dernière demeure M. Victor Lengagne, conseiller général, maire de Desvres et président de la section permanente de l’Office départemental des pupilles de la Nation.

Dès dix heures ses nombreux amis, les enfants des écoles et les délégations de sociétés se massent sur la grande place de Desvres, face au domicile du défunt ; peu après arrivent les notabilités.

Après la levée du corps, à onze heures, un important cortège se forme ; derrière le clergé, suivent les porteurs de superbes couronnes offertes notamment par le conseil général, le conseil de Desvres, les maires du canton, les écoles, les employés de la ville, les sociétés locales, les réfugiés, et les nombreux amis du défunt.

Le cercueil est porté par des habitants de Desvres et les coins du drap mortuaire sont tenus par MM. Leullier, préfet ; Buloz, sous-préfet ; Lemoine et Narcisse Boulanger, députés-conseillers généraux.

Le deuil était conduit par M. Adolphe Lengagne, frère du défunt, accompagné par M. Vandenbrouque, par Mme V. Lengagne-Cavé, accompagnée par Mmes Vandenbrouque et Beurne ; et par Mlle Élise Lengagne, accompagnée par Mme Masse.

Parmi les personnes présentes citons, au hasard de la plume, MM. Gerbore, vice-président du conseil de préfecture ; Adam, sous-préfet de Saint-Pol ; Doutremepuich, Chochoy, Leduc et Théret, conseillers généraux ; M. Ch. Péron, président de la chambre de commerce ; Delbende membre de la chambre de commerce ; J. Samson, ingénieur en chef des P. et C., capitaine Boutet, ingénieur des P. et C. ; Equoy, chef de la rédaction du "Télégramme" ; Jacolliot, directeur des usines de Marquise ; commandant Badré des E. et F. ; commandant Varlet ; Ledoux, chef de division à la préfecture ; docteur Havez ; la presque totalité des maires des cantons de Desvres et de Samer ; MM. Émile Fourmaintraux et Masse, adjoints au maire de Desvres, tout le conseil municipal de Desvres, etc.

Le long cortège, encadré par les enfants des écoles publiques et privées, comptait de nombreuses délégations des armées françaises, anglaises et portugaises, des vétérans, etc.

À l’église de Desvres, qui pouvait à peine contenir tous les assistants, un service funèbre fut célébré par M. l’abbé Honnuyer, curé-doyen, assisté de MM. les abbés Dulary et Lormier, et entouré d’une partie du clergé du canton.

À l’issue du service, le cortège se reforma et se dirigea vers le cimetière où eut lieu l’inhumation. Devant le caveau, MM. Fourmaintraux, 1er adjoint, en termes élevés, rappela la vie toute de travail et de probité du défunt. Puis MM. Leullier, préfet, Narcisse Boulanger, député et M. Félicien Delattre, maire de Selles, prononcèrent des discours que le manque de place ne nous permet pas de publier. Nous faisons exception pour la partie du discours de M. le Préfet qui rappelle la vie administrative du défunt.

Nous étions réunis pour une séance de la commission départementale et, connaissant sa ponctualité, son exactitude, son assiduité à nos réunions, nous attendions l’arrivée de M. Lengagne pour commencer nos travaux quand un de nos employés me fit savoir qu’une personne désirait m’entretenir pour une communication urgente et grave. C’est la mort de M. Lengagne qu’on venait m’annoncer. Cette nouvelle m’impressionna si douloureusement que les conseillers généraux présents me demandèrent, quand je rentrai dans la salle de nos délibérations, la cause de l’émotion que je ne parvenais pas à dissimuler. Quand je leur dis, leur émotion fut égale à la mienne. M. Lengagne était, en effet, l’un des membres les plus estimés de l’assemblée départementale. Il avait l’affectueuse amitié de tous ceux qui avaient pu apprécier sa parfaite courtoisie, son dévouement à la chose publique, sa droiture, sa loyauté, ses exceptionnelles qualités de cœur et d’esprit. La sympathie qu’inspirait, dès la première entrevue, sa franche cordialité, la bienveillance de son accueil, était telle que personne ne songeait à s’y soustraire, et qu’elle s’imposait spontanément. Mais ce n’était pas seulement ses qualités extérieures qui lui avaient valu la grande place qu’il occupait, et le rôle important qu’il tint au conseil général du Pas-de-Calais, il les dut aussi à sa compétence avertie, à sa connaissance approfondie des affaires départementales, à son labeur opiniâtre, à la distinction de son caractère et à sa haute valeur morale.

Ses concitoyens avaient vite discerné ces dons précieux, aussi quand il quitta la carrière de fonctionnaire dans laquelle il était entré, après de brillantes études à la suite d’un remarquable concours, et où le plus bel avenir administratif lui était réservé, s’empressèrent-ils de lui confier la défense de leurs intérêts. Dès 1900, leur confiance l’appela à siéger au conseil municipal, où il remplit les fonctions d’adjoint d’abord, puis celles de maire en 1910, à la mort de son oncle, M. Vincent.

En novembre de cette même année, il fut élu conseiller général par le canton de Desvres. La confiance que lui avait montrée les habitants du canton et de la ville de Desvres fut partagée rapidement par ses collègues du conseil général. Ceux-ci la lui marquèrent en le nommant membre de la commission départementale du conseil départemental de l’enseignement primaire, et des divers comités de ravitaillement créés depuis le début des hostilités. Mais son activité était trop grande et trop vif son besoin de se dévouer, pour qu’il se résignât à ne les exercer qu’au cours des sessions du conseil général. Il eut le souci constant de se rendre utile et toutes les municipalités, indistinctement, de son canton n’eurent qu’à se louer de son labeur fécond, de ses initiatives heureuses. Administrateur avisé et prévoyant, il poursuivit la réalisation d’un programme complet d’améliorations scolaires, de travaux d’hygiène et de voirie, sachant obtenir le maximum des résultats, en ne faisant supporter par les contribuables intéressés qu’un minimum de charges. Sa connaissance approfondie des questions financières lui permit de réaliser ce difficile problème : faire beaucoup en ne demandant que peu aux facultés contributives de la collectivité.

Mais ce fut surtout depuis la guerre qu’il donna la pleine mesure de son esprit de dévouement et de sacrifice.

La question du ravitaillement ayant pris une importance considérable, il s’attacha à résoudre les difficultés qu’elle présentait, en consacrant à leur étude son temps, son intelligence, et en prodiguant sans compter ses forces physiques sans souci de compromettre sa santé, à tel point qu’on peut dire qu’il meurt victime de son admirable et incessant effort. Il dut même pour sauvegarder les intérêts de ses mandants de Desvres se résigner à l’exploitation en régie de l’usine à gaz et mener à bien cette difficile entreprise en multipliant ses démarches et en se montrant le plus avisé des administrateurs.

Délégué cantonal, il suivait attentivement les progrès des enfants qu’il entourait de sa sollicitude agissante, voulant que ceux chez qui il découvrait de brillantes facultés fussent mis à même de poursuivre leurs études aussi bien que les plus favorisés de la fortune. Il était encore secrétaire du comice agricole. Enfin, tout récemment, il avait été appelé à faire partie de l’Office départemental des pupilles de la Nation et c’est là qu’il me fut donné de le connaître et d’apprécier son rare mérite. Désigné pour présider le bureau permanent de cet office, c’est en se rendant à sa première réunion qu’il contracta l’indisposition qui vient de le ravir à notre affectueuse estime.

M. Victor Lengagne fut dans l’acceptation la plus large du terme, un bon Français, un ardent patriote, aimant passionnément les travailleurs à quelque chose sociale qu’ils appartinssent. Ce fut un cœur généreux et pour tout dire un parfait homme de bien.

Le Télégramme, vendredi 26 avril 1918. Archives départementales du Pas-de-Calais, PG 9/29.