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Les fusillés de Loos-en-Gohelle

Extrait du journal Le Télégramme du 24 mai 1937

Article "La population de Loos-en-Gohelle a rendu hommage aux six habitants fusillés par les Allemands au cours des journées d’octobre 1914" dans le journal Le Télégramme du 24 mai 1937. Archives départementales du Pas-de-Calais, PG 9/86.

Le Pas-de-Calais occupé

En parallèle à leur avancée sur le sol français et pour éviter toute tentative de résistance des populations civiles occupées, les troupes allemandes font largement usage de la terreur, par des exécutions sommaires ou des incendies de maisons comme de villages. La presse, la rumeur aussi propagée par les réfugiés s’en font largement l’écho. Dès le 23 septembre, un décret a nommé une commission chargée d’enquêter sur les crimes commis en violation du droit des gens dans les parties occupées puis reconquises du territoire français : la préfecture du Pas-de-Calais en relaie la mission par la recherche et la collecte de témoignages. Bien d’autres sources s’y ajoutent : rapports et procès-verbaux, interrogatoires des rapatriés, récits demandés par leur hiérarchie aux instituteurs, mais aussi mémoires et journaux publiés dès les années 1920, ou encore cartes postales et albums de photographies.

Des habitants exécutés sans procès

Parmi les nombreuses exactions relevées (vols, pillages, viols…), les plus dramatiques sont les exécutions de civils. Le 9 octobre, à Loos-en-Gohelle, quatre habitants accusés d’avoir caché un soldat français du 109e régiment d’infanterie, Gustave Dejeux (originaire de Gentilly), sont ainsi abattus par l’ennemi : Auguste Lenfant, Alexis Meurdesoif, Placide Doby (ancien maire d'Haisnes), et Télesphore Petit (président de la caisse rurale de Loos), sont emmenés à coups de crosse et fusillés sur la route d’Hulluch, sans autre forme de procès. Deux autres Loossois, Jean-Baptiste Marquette et Paul Delaby, sont tués pour s’être approchés de la fosse 15, où se sont installés les Allemands.

Grâce au témoignage d’un des acteurs de la scène, Jean-Étienne Crespel, l’histoire de ces fusillés a pu être ultérieurement reconstitué, permettant l’exhumation de certains corps.

1937, le premier témoignage paraît dans la presse

Le 23 mai 1937, a lieu l’inauguration d’une stèle, érigée rue Hoche en souvenir des sept hommes. Le lendemain, A. Fourrier, journaliste au Télégramme, recueille les souvenirs d’Étienne Crespel. Prisonnier, lui aussi, il a été contraint d’enterrer les corps et c’est grâce à ses souvenirs que ceux-ci ont pu être exhumés et identifiés après le 25 septembre 1915. Le 16 octobre, Jean-Étienne Crespel découvre dans la rue d’Hulluch cinq cadavres, la poitrine percée de balles qu’il doit enterrer les uns après les autres.

Extrait du journal Le Télégramme du 24 mai 1937

La population de Loos-en-Gohelle a rendu hommage aux six habitants fusillés par les Allemands au cours des journées d’octobre 1914.

C’était le 9 octobre 1914. Loos-en-Gohelle avait déjà été prise et reprise. Les Allemands venaient d’y entrer pour la seconde fois et devaient conserver la commune jusqu’au 25 septembre 1915. Ce matin là, passant rue d’Hulluch, un régiment fit la pause. Les habitants étaient prudemment calfeutrés chez eux. Un officier vint frapper à la porte de M. Doby et lui demanda de le conduire rue d’Hulluch.

- Vous n’avez qu’à me suivre, répondit le vieillard, c’est tout droit.

- Venez quand même, dit l’officier.

À ce moment, rassurés sans doute, quelques habitants sortirent. L’officier allemand ordonna à trois d’entre eux de se joindre à M. Doby. Et le régiment s’en fut, ayant à sa tête MM. Alexis Meurdesoif, 80 ans, Placide Doby, 76 ans, Télesphore Petit, 69 ans, et Auguste Lenfant, 50 ans.

À un kilomètre environ des dernières maisons de village, dans un champ en bordure de route, la troupe s’arrêta. Là, les quatre hommes furent fusillés. On ne sut pas tout de suite ce qu’étaient devenus les quatre vieillards. On crut longtemps qu’ils avaient été emmenés à l’arrière, car il était impossible de soupçonner l’épouvantable drame qui s’était déroulé quelques minutes seulement après leur départ. Cependant, un homme savait. C’était M. Étienne Crespel, qui avait été réquisitionné pour inhumer les malheureuses victimes.

Le Télégramme, 24 mai 1937. Archives départementales du Pas-de-Calais, PG 9/86.

L’année tragique de Loos-en-Gohelle sous l’occupation allemande

Récit de M. le Curé de cette paroisse. Rapport commandé par le Préfet.

Dès leur arrivée, les Allemands s’adressèrent à moi, le revolver au poing, me demandant où étaient le maire, les adjoints, les conseillers municipaux, tempêtant, jurant, me menaçant. Quand ils eurent fouillé ma maison pour s’assurer qu’il n’y avait pas de Français, ni d’armes cachées, ils me déclarèrent qu’en l’absence de toute autorité municipale, je serais l’unique autorité et l’otage responsable ; malgré mes objections et ma déclaration qu’aux yeux de la législation française, mes fonctions de curé de la paroisse étaient incompatibles avec les fonctions municipales, ils passèrent outre.

Les officiers étaient à peine partis qu’un pauvre vieillard, mourant de peur et de faim, vint sonner à ma porte, me demandant de lui ouvrir ; malgré la défense, je me crus obligé par la charité de le faire entrer. La porte était à peine ouverte, qu’une bande de forcenés m’empoigne et me force à la suivre ; on va me coller à la muraille et me fusiller comme les autres, je le comprends à leur jargon… Heureusement, un officier me croise avec un peloton, j’écarte vivement mes gardiens et l’aborde en lui demandant de m’entendre. Je lui explique l’affaire ; il fait retirer l’escorte, me fait rentrer chez moi, puis, plaçant deux sentinelles à ma porte, il s’en va en disant que je dois rendre grâces à Dieu : "Si vous ne m’aviez pas rencontré, vous alliez être fusillé à votre tour : telle est la loi allemande !!!"

Archives départementales du Pas-de-Calais, 11 R 857.

Texte publié en 1916, servant "de bulletin paroissial à l’année 1915" : Abbé Ph. Campagne, L’année tragique à Loos-en-Gohelle sous l’occupation allemande. Récit de M. le Curé Campagne, Aire-sur-la-Lys, imprimerie de A. Lequien, 1916, page 9. Archives départementales du Pas-de-Calais, BHA 611/10.