L'armée du Portugal au front
Le jour où le Portugal s’est déclaré en guerre avec l’Allemagne a été un déchaînement de lourdes plaisanteries à l’adresse de la petite armée qui osait défier le colosse germanique. Aujourd’hui, c’est-à-dire environ cinq mois après que les troupes portugaises ont fait leur apparition au front, les communiqués allemands ne parlent plus d’elles. Cela tient simplement à ce que ces dernières se défendent crânement et qu’à l’occasion elles vont de l’avant et enlèvent des prisonniers.
La vue de ces troupes, qui occupent actuellement … secteurs, sur un développement de … kilomètres, suggère une foule de réflexions. De ce qui n’existait point, en quelque sorte, sous le régime monarchique celui-ci n’ayant jamais voulu renoncer au système des remplaçants – la République, en instituant le service obligatoire et universel, a su faire un outil de guerre, évidemment perfectible, mais qui, dès maintenant, joue un rôle appréciable.
En accomplissant cette réforme et en prenant parti contre la puissante Allemagne, le nouveau gouvernement s’est vu dans la nécessité de résoudre, avant tout, le problème des cadres. À l’exemple de l’Angleterre, [il] y est parvenu en créant des cours spéciaux, de durée restreinte, aux écoles militaires de Lisbonne et d’Oporto. Faut-il mentionner que le recrutement des officiers s’opère suivant les principes les plus démocratiques et que, vu l’esprit ouvert des Portugais de toutes classes, il donne des résultats jugés excellents ? Au point de vue du service de santé, la situation était, dès le début exceptionnellement favorable. Grâce aux quatre écoles de médecine qu’il possède à Lisbonne, Oporto, Funchal et Goa, le Portugal a pu non seulement doter largement ses corps et ses divers services sanitaires, mais encore il s’est trouvé en état d’affecter une centaine de ses chirurgiens à des formations anglaises, et de subvenir aux besoins en personnel de la Cruzada das mulheres portugesas ou Croix-Rouge, une institution très florissante grâce aux ressources de toute nature qu’elle tire du Brésil et qui a pour présidente Mme Machado, femme du chef de l’État.
Le soldat portugais, connu au front sous le nom de serrano (homme de la montagne, par opposition à l’homme de la plaine, ou maritimo, qui alimente principalement la flotte), produit la meilleure impression. Le teint brun, l’œil éveillé, l’allure du parfait montagnard, vigoureux, sobre et endurant, il est animé d’un vif esprit d’entreprise et ne rêve que d’aller en expédition hors de la tranchée, celle-ci lui inspirant une répulsion dont il ne se cache point. La plupart des hommes qui se trouvent au front ont déjà fait campagne en Afrique ; aussi, la vue des terrassements et des boyaux avec toutes leurs chicanes les a-t-elle surpris de la façon la plus désagréable. Mais il faut être juste et reconnaître qu’ils se sont vite habitués à cette guerre d’un nouveau genre, d’autant plus vite que leurs ingénieurs, instruits par l’expérience des autres armées alliées, leur ont construit des abris où l’on rencontre les perfectionnements les plus récents.
Sans être fataliste, le soldat portugais condense toute sa philosophie dans cet aphorisme, "on ne meurt qu’une fois", et règle ses actes en conséquence. Quoique d’un caractère plutôt sérieux, il ne dédaigne pas une plaisanterie, fût-elle assaisonnée d’un sel un peu gros. Témoin l’aventure suivante. Leurs tranchées sont dominées, momentanément, à 80 mètres de distance environ, par celles des Allemands. Ceux-ci voient donc leurs moindres mouvements. Or, ces jours derniers, un soldat communicatif de son naturel, déclare qu’il va se rendre à la feuillée. « Moi aussi ! Moi aussi ! » crient plusieurs de ses camarades. Au nombre d’une demi-douzaine, ils s’acheminent vers l’endroit en question, et cet exode ne manque pas d’attirer l’attention des gens d’en face, qui, pressentant un coup de main, déclenchent un barrage formidable. Au sortir du retiro, les soldats veulent reprendre leurs fusils disposés auparavant contre les revers de la tranchée, mais ils n’en trouvent plus que les débris hachés par les obus ennemis.
- Oh ! s’écrie l’un des soldats, naó élisto o que no’s queriamos fazer para os Boches (Oh ! ce n’est pas cela que nous voulions faire pour les Boches).
Sans s’en douter, probablement, il rééditait une parole familière à notre bon roi Henri IV, lorsqu’il s’apprêtait à charger l’ennemi.
Après une courte période d’hésitations et de tâtonnements, l’armée portugaise fait, depuis le mois de juillet, des prisonniers aux Allemands. Elle n’a pas encore dit son dernier mot, car, bien qu’elle atteigne un effectif connu jusqu’à ce jour (la loyale légion lusitanienne de 1807 ne comptait que 73 000 hommes), elle ne comprend guère que la valeur de deux classes. Or, le Portugal a sept millions d’habitants (vingt-sept en faisant état de ses colonies). Au Brésil, deux millions d’hommes ne demandent qu’à marcher. Par conséquent, les ressources en hommes ne font pas défaut.
Cette fois encore, les calculs allemands se trouvent déjoués.