Archives - Pas-de-Calais le Département
Les informations contenues dans cette page ne sont valables avec certitude que jusqu'à cette date et heure.

La bibliothèque communale d’Ypres à Paris-Plage

Gravure monochrome montrant un ensemble architectural composé d'une église, d'un bâtiment surmonté de voûtes et de maisons.

Boutry, Julien (1842-1896), Vieux souvenirs d'Ypres. Planche 3 : Les halles et l'hôtel de ville. 1885, 23,5 x 32,5 cm. Archives départementales du Pas-de-Calais, 4 J 479/39.

Pendant la Première Guerre mondiale, quelques milliers de réfugiés belges sont accueillis au Touquet-Paris-Plage à partir d’octobre 1914, parmi lesquels de nombreux exilés de la "ville martyre" d’Ypres. Des liens étroits se nouent aussi entre les deux municipalités : Le Touquet, sous la direction du maire Fernand Recoussine, met la villa Domrémy à disposition des services de l’administration yproise. Le conseil échevinal et son bourgmestre René Colaert s’y installent en avril 1915, et y restent jusqu’en 1919.

Ce ne sont toutefois pas seulement les hommes, mais également une part du patrimoine communal qui est ainsi préservé des destructions, grâce à l’accueil de la bibliothèque communale d’Ypres. L’inventaire, qui en avait été réalisé en 1867, comptait déjà 4 326 ouvrages, auxquels s’étaient ajoutés des enrichissements ultérieurs, tels que la collection d’Alphonse Vandenpeereboom, ministre de l’Intérieur et maire d’Ypres, donnée en 1884.
Organisée en 1915 par le bibliothécaire Julien Antony, l’évacuation de la bibliothèque communale permet de sauver près de 75 % de ses collections. Elle échappe ainsi en grande partie au sort subi par la bibliothèque universitaire de Louvain [ note 1], dont la quasi-totalité, soit 230 000 livres, 800 incunables et 950 manuscrits, est partie en fumée, déclenchant l’indignation internationale.
Les archives communales d’Ypres n’ont pas non plus eu cette chance, et ont été intégralement détruites le 22 novembre 1914, lors de l’incendie du beffroi et des halles, par suite des bombardements allemands. 

En septembre 1919, ce seront ainsi 382 caisses d’ouvrages qui quitteront Le Touquet pour retrouver leur place à Ypres.

La bibliothèque communale d'Ypres à Paris-Plage

La Bibliothèque d’Ypres, sans valoir celle de l’Université de Louvain, constituait une richesse littéraire d’une valeur incontestable. Les Yprois ne savaient trop ce qu’elle était devenue depuis la destruction de leur cité. Nous savions seulement que M. Julien Antony, bibliothécaire de la ville d’Ypres qui avait voulu sauver le plus possible des livres, manuscrits et documents dont il avait la responsabilité, était demeuré le plus longtemps possible dans la ville détruite et qu’il était parvenu à sauver la plus grande partie de la bibliothèque communale de sa chère ville.

Les ouvrages sauvés de la destruction, retirés des décombres – beaucoup détériorés par des éclats de shrapnels et couverts de poussière – furent d’abord dirigés sur Poperinghe, puis sur Waton. Et il y a quelque temps M. Julien Antony, d’accord en cela avec le député bourgmestre d’Ypres expédiait la bibliothèque à Paris-Plage.

Jeudi matin nous sommes allés rendre visite à M. Antony. Nous l’avons trouvé occupé à classer les "ouvrages en exil" dans une grande salle de l’ancienne église provisoire de Paris-Plage, mise à la disposition de la municipalité yproise qui a déjà installé, dans une partie de l’édifice, une école pour la colonie belge de Paris-Plage.

Le distingué bibliothécaire nous déclare que les trois quarts environ des ouvrages ont pu être sauvés. Lors de l’arrivée des Allemands et avant l’occupation de la ville d’Ypres par la horde teutonne, les manuscrits et les ouvrages les plus précieux avaient été placés dans deux caisses qui furent remisées dans les caves de la Halle aux Draps. Après le recul des Allemands – l’occupation d’Ypres dura une huitaine de jours – après le recul, disons-nous, ce fut le bombardement et la destruction complète de la ville. Lors de l’incendie de la Halle aux Draps, une des caisses fut consumée ; l’autre est demeurée sous les décombres d’où elle sera retirée quand les circonstances le permettront…

Les volumes, documents, revues, etc., qui ont été sauvés ont été entassés dans des caisses et c’est à leur dépouillement, à leur classement que procède actuellement M. Antony. Le travail qu’il a entrepris sera long ; mais les habitants d’Ypres-la-Martyre nous seront reconnaissant de leur avoir appris que tout n’était pas détruit de leur ville : la bibliothèque qui leur reste sera pour eux l’âme de la cité réduite en cendres ; comme eux cette bibliothèque à laquelle ils tenaient tant a connu l’exil ; les Yprois ne l’aimeront que mieux, alors que les ouvrages sauvés rentreront triomphalement dans la cité qui ressuscitera de ses ruines quand l’envahisseur ne souillera plus de sa présence la patrie unie du coq Wallon et du lion des Flandres, cette union permettra à la "Grande Belgique" restaurée de connaître sa prospérité d’avant l’inqualifiable agression d’août 1914. Nous disons "grande" Belgique ! c’est à dessein car nous avons encore présente à la mémoire cette phrase prononcée par M. Charles de Broqueville, premier ministre, au cours d’un débat parlementaire qui eut lieu peu de temps avant la guerre déchaînée par l’Allemagne : "Un pays n’est jamais petit quand il est baigné par la mer".

Et la Belgique a su montrer par sa résistance héroïque, par sa courageuse attitude devant l’envahisseur, par la bravoure de ses soldats, par la résignation dans la souffrance, par l’immensité de ses malheurs qu’elle était digne d’être appelée "grande" Belgique.

E. B.

Le Télégramme, mardi 2 octobre 1917. Archives départementales du Pas-de-Calais, PG 9/28.

Notes

[ note 1] "La bibliothèque unique de Louvain partie en fumée" ; François, Anne, "La ville de Louvain ravagée par un grand feu