La grève des mineurs qui éclate dans le Pas-de-Calais le 4 juin 1936 a de multiples causes qui ne se limitent pas à la seule victoire du Front populaire le 3 mai précédent.
Si un premier conflit naît au sein des scieries de Boulogne le 2 juin pour des questions de salaire, c’est le 4 que débute la grande vague de grèves dans le bassin houiller. Les premières mines touchées sont celles de Lens, Liévin, Wingles et Béthune.
Des causes lointaines
Depuis le début des années 1930, les conditions de travail sont devenues très dures par suite de la rationalisation du travail. Les mineurs, grâce au système Bedeaux, sont en effet chronométrés. Leur rémunération dépend de leur rapidité. Ce système a provoqué une baisse des salaires de 12 à 20 % selon les catégories. Des amendes sont infligées si le quota de charbon n’est pas atteint. Dans un tract diffusé le 16 mars 1936, le syndicat des mineurs du Pas-de-Calais affirme que l’augmentation du rendement n’est pas due à :
des avantages nouveaux et compensateurs [mais à] des moyens de coercition, par un redoublement de la discipline, par des punitions systématiques, par des congédiements […], par des menaces, par des déclassements. [Les mineurs] n’atteignent que les deux résultats suivants : affaiblissement, usure prématurée, dégénérescence […], mises à pied, déclassement, congédiement ; […] au fur et à mesure qu’ils acquièrent de l’ancienneté, de l’expérience et du mérite, ne pouvant plus remplir cette pénible tâche comme à 20 ans, on les déclasse, on réduit leur salaire, on les congédie, parce qu’ils sont usés au service du patron. [ note 1]
À cela s’ajoute le développement du chômage partiel (jusqu’à 90 jours par an dans certaines compagnies). Compte tenu de la crise économique, le niveau de vie des mineurs a baissé de 40 %. Pour compenser ces pertes, les mineurs travaillent plus dur, en prenant des risques. Les salaires au rendement usent la santé et multiplient les accidents mortels. En 1932, dans le Pas-de-Calais, ils s’élevaient à 48 ‰, en 1935 ils sont passés à 79 ‰.
Les compagnies ont cherché à diminuer leurs effectifs par le non-remplacement des mineurs âgés et par le renvoi des étrangers, dont les Polonais. Parallèlement à cette politique, le militantisme syndical est réprimé, les mineurs étrangers qui se syndiquent à la CGTU sont expulsés par les autorités. Seules les sections spéciales de la CGT pour les mineurs polonais sont tolérées. Lien essentiel entre la direction et les ouvriers, le rôle des syndicats décline ; l’action revendicatrice est paralysée par la crise économique.
Des causes proches
Les événements de la fin de 1935 et du début de 1936 changent la donne. La fusion entre les deux CGT permet aux ex-unitaires de tendance communiste d’accéder à des postes de responsabilité. Ils deviennent une force très active au sein de la nouvelle confédération. L’unité entraîne aussi un accroissement des adhésions de mineurs. Avant la réunification, la CGT comptait 21 000 adhérents dans le Pas-de-Calais, contre 3 400 à la CGTU. Au lendemain de la fusion, le syndicat en regroupe 28 000 sur un total de 94 000 mineurs (26 %). En avril, 40 % des mineurs sont syndiqués ; pendant les grèves de juin, ce chiffre passe à 90 %.
Le début de l’année 1936 est marqué par un renouveau du militantisme, les meetings se multiplient, les journaux comme La Tribune ou La Voix du mineur circulent davantage. Un programme de revendications est élaboré ; il aboutit aux accords signés à Paris, le 22 avril 1936, au ministère du Travail. Mais les compagnies rechignent à l’appliquer.
Et c’est dans ce contexte qu’intervient le dernier événement changeant le comportement des mineurs : la victoire du Front populaire, au printemps 1936, les incite, comme partout en France, à lutter.
Le déroulement de la grève de juin
Le 4 juin, à Wingles et à Liévin, les mineurs cessent le travail ; la grève s’étend ensuite à tout le bassin minier du Pas-de-Calais.
Dans le dépôt ferroviaire de la compagnie de Lens, à Wingles, 200 ouvriers refusent de travailler. L’origine du conflit remonte au 24 mars. Un ouvrier a été "passé à tabac" par la police spéciale de la compagnie et mis à pied deux jours. Le 26 mai, sa peine est réduite à un jour, mais les ouvriers en colère décident qu’aucun train ne partira le 4 juin tant que la sanction sera maintenue. Dans la nuit le directeur cède, mais… trop tard. À 8h du matin, 700 ouvriers occupent les ateliers et décident de présenter au directeur un "cahier de revendications", pour reprendre l’expression du capitaine de gendarmerie Gens.
En effet des revendications plus importantes sont formulées, reprenant celles déjà développées dans les grèves du mois de mars : augmentation de salaire, reprise des avancements, mais aussi "allocation de congés payés" [ note 2].
Le même jour, 4 juin 1936, éclate la grève des moulineurs (responsables des bennes de charbon) du puits n° 1 de Liévin : ils réclament une augmentation. Le président réformiste du syndicat leur demande de reprendre le travail, ils refusent et occupent les lieux. Ici aussi, il s’agit d’un poste stratégique : l’extraction ne peut se poursuivre si le moulinage ne fonctionne pas. Le lendemain, tout le puits est en grève et 250 mineurs se rendent à la mairie de Liévin pour rencontrer le maire communiste, Henri Thiébaut. Un comité est formé pour négocier une nouvelle échelle des salaires. Il est prévu d’étendre la grève en cas de refus de la direction.
Les mouvements sont imprévisibles et les autorités ne voient pas toujours comment les grèves vont évoluer. Le commissaire spécial de Lens note dans son rapport du 4 juin 1936 que cette grève gagnera d’autres concessions minières et très probablement d’autres industries, y compris celle des transports publics autrement dit les chemins du fer du Nord
[ note 3] [qui n’ont finalement pas été touchés].
Le préfet note le 5 juin qu’ ils occupent les usines, mais ne se sont livrés jusqu’à présent à aucun acte de malveillance
. La grève s’étend parce qu’elle paralyse les industries annexes qui ont besoin de houille : centrales électriques, verreries et chemins de fer. En cinq jours, tous les puits de Lens cessent l’extraction, 18 000 mineurs sont en grève.
L’attitude des partis de gauche
La fédération socialiste du Pas-de-Calais lance, dès le 7 juin à 10 heures du matin, soit 5 heures avant l’ouverture des négociations à Matignon, un appel à la modération.
Le 8, lors d’une réunion des mineurs au Palais de la danse à Harnes, Désiré Coisne, secrétaire de l’Union des syndicats du Pas-de-Calais, attribue la grève à la misère des ouvriers, mais déplore que ce mouvement se soit déclenché si tôt, alors qu’il risque de gêner le gouvernement du Front populaire
et reconnaît qu’il a été lancé à Wingles, localité où le Front populaire est en minorité, sans que le Syndicat ne soit prévenu
.
Le même jour, une rencontre a lieu à Paris. Elle réunit Paul Ramadier, ministre des Travaux publics, les représentants des compagnies et les délégués mineurs. Un projet de compromis est signé. La négociation finale a lieu le lendemain à Douai. Au bout de 18 heures, un accord global est conclu ; la quasi-totalité des demandes ouvrières est acceptée :
une augmentation de 12 % pour toutes les catégories de mineurs, une échelle de salaires unique pour tous les travailleurs du jour, une augmentation du salaire minimum pour les ouvriers du fond qui porte le minimum journalier de 32, 90 francs à 34 francs, la disparition de la déqualification et du chronométrage ; en outre, le retour à la paie par équipe est assuré, tous les chefs de famille recevront une allocation de charbon, mineurs de fond et du jour paieront désormais le même loyer pour les logements de la compagnie, les compagnies s’engageront à respecter la durée légale de la journée de travail, accepteront de ne pas prendre de sanctions pour faits de grève et d’examiner avec bienveillance la réembauche d’ouvriers précédemment licenciés [ note 4].
La reprise du travail n’est effective que le 16 juin pour la totalité des houillères du Pas-de-Calais.
Notes
[ note 1] Archives départementales du Pas-de-Calais, 1 Z 210.
[ note 2] Archives départementales du Pas-de-Calais, M 2380 : rapport du commissaire de police de Lens, 4 juin 1936.
[ note 3] Archives départementales du Pas-de-Calais, 1 Z 210, 5 juin 1936.
[ note 4] R. Hainsworth, "Les grèves de mai-juin 1936 chez les mineurs du Nord – Pas-de-Calais", J. Bouvier (dir.), La France en mouvement, 1934-1938, Paris, 1986, p. 108.