Quand les mineurs font du cinéma. À Liévin, où Louis Daquin tourne le « point du jour », seul le soleil n’était pas au rendez-vous
Liévin. Les maisons, malgré le voile de charbon qui recouvre toute la ville, gardent un petit air coquet et pimpant. Les arbres sont rabougris, mais les fleurs se sont réfugiées partout où elles ont pu. Elles sont nombreuses sur les châssis des fenêtres.
Là-bas, dans les fosses on travaille durement. Le carreau de la mine offre un aspect à la fois pénible et grandiose. Alliées et venues précises des trains des mineurs et des ingénieurs ; tout semble être parfaitement réglé, jusqu’à ces gestes des "trieuses", qui, à cheval sur les poutres d’une cage d’ascenseur, dévorent leur « briquet » avec application.
Mais qu’attend ce jeune garçon casque, au costume neuf de galibot, qui semble perdu dans ce site titanesque ?
Voici qu’une trieuse, au visage noirci par la poussière de charbon, s’approche de lui. Elle le regarde avec affection, l’embrasse. On l’entend dire en contemplant les joues pâles du garçonnet, sur lesquelles ses lèvres ont laissé une trace noirâtre :
- ça y est ! Tu as reçu le baptême du charbon.
Il hésite. On le sent très ému. – je voulais te dire bonjour avant de descendre, ma petite sœur.
Elle fronce un peu les sourcils :
- c’est tout ?
La voix du petit tremble un peu :
- … et que je t’aime.
Le visage de la jeune fille devient, tout à coup, grave et d’une beauté saisissante. Elle a compris les craintes de son frère. C’est son premier contact avec la mine, sa première descente. Son visage se creuse, va-t-elle le rassurer par de bonnes paroles ? Lui prouver qu’il n’y a aucun danger ? Mais, elle aussi, est oppressée. Elle sait que le métier est dur et qu’il suffit… Mais non, elle ne doit pas penser à toutes ces choses. Elle est là pour donner confiance. Elle ne trouve pas de mots, mais réussit un beau sourire. Elle entoure de son bras les épaules de son frère et l’entraîne vers le puits…
« Coupez ! ».
L’opérateur se redresse et les projecteurs s’éteignent, - projecteurs que nous n’avions pas remarqués. Le galibot et la trieuse reviennent, en bavardant, prendre place devant la caméra.
Toute cette scène, à laquelle, pour un peu, nous nous serions laissé prendre, n’était que du cinéma. Mais qu’on ne prenne pas ce « n’était » dans un sens péjoratif, Louis Daquin est en train de réaliser, à Liévin, un film qui, pour une fois, a comme seule ambition de décrire sur l’écran, la mine et les mineurs.
Il semble satisfait de la scène qu’il vient de tourner. Mais il faut la reprendre.
– Attendons le soleil ! déclare-t-il.
De gros nuages passent dans le ciel qui, eux aussi, semblent avoir été saupoudrés de charbon.
C’est peut-être le moment de bavarder avec le metteur en scène. Contrairement à la réputation que quelques journalistes lui ont faite, Louis Daquin est d’une courtoise amabilité. Il se prête de bonne grâce à nos questions.
– Vous savez que je suis du Nord ? Je suis né à Calais. Ma famille est de Béthune. Il y a longtemps que je voulais faire un film sur cette région et quel plus beau sujet que la mine ?
– Que voulez-vous démontrer dans « le point du jour » ?
– Oh ! En cinéma il y a loin de ce qu’on veut faire à ce que l’on fait. Pourtant, je voudrais faire un film à la gloire de la mine. Je voudrais essayer de démontrer que les rapports qui souvent sont tendus entre les ingénieurs et les mineurs pourraient être plus cordiaux, si chacun y mettait du sien. De même, j’insisterai sur toutes les difficultés de vie des « hommes du fond », en effleurant, par exemple, le problème du logement et d’autres problèmes sociaux.
– Le film sera donc, avant tout, un documentaire ? – ah mais non ! Il est né d’un reportage que j’ai effectué autrefois avec un camarade. Mais il est romancé.
– Quelle en est la trame essentielle ? « Un jeune ingénieur, récemment sorti de l’école des Mines, arrive à la fosse pour la première, au moment où un jeune galibot de treize ans, va effectuer sa première descente. Nous allons els suivre dans leurs occupations si différentes. Ils se rencontreront et des leçons se dégageront des contacts qu’ils auront entre eux.
– Les acteurs se sont-ils rapidement « mis dans la peau » de leurs personnages ?
– Je les avais choisis avec soin, mais je dois dire qu’ils se sont pliés à toutes les exigences.
– En place ! crie Louis Daquin.
Tout le monde s’empresse sauf Jean Desailly (le vrai) qui ne tourne pas aujourd’hui. Il devine déjà que nous allons l’interroger. Il vient au devant de nous. L’ancien sociétaire de la Comédie française, devenu le jeune premier, numéro un de la fameuse troupe de Jean-Louis Barrault, est d’une extrême simplicité.
– Oui. Je suis ravi dit-il, de mon nouveau rôle. C’est un personnage qui ressemble à celui de mon premier film que j’ai aussi tourné avec Daquin : « Le voyageur de la Toussaint ». C’est un jeune idéaliste, plein du désir de bien faire qui au sortir de l’école des Mines, arrive dans un milieur bien dissemblable de celui qu’il avait imaginé. Il se trouve aux prises avec de nombreuses difficultés de vie mais il essaiera d’adapter son idéal à la vie quotidienne. Ce qui m’amuse et, même me passionne, dans ce film, c’est ce que j’appelle du pays.
– Comment trouvez-vous le Nord ?
– Redoutable, dur, triste, pénible, mais intensément attachant. On y devine que les gens sont travailleurs, sincères et fidèles. C’est pourquoi je les aime. Nous nous éloignons…