Le 28 octobre 1916, La France du Nord publie un article alarmiste sur "la crise des transports". Selon elle, le mal empire chaque jour. Non seulement la vie économique, mais la vie matérielle de[s] populations, sont gravement compromises. […] Le premier, le principal coupable, c’est l’actuel régime des chemins de fer
.
La priorité absolue est effectivement donnée aux armées (transports de troupes et logistique) qui contrôlent les grands axes et les chemins de fer. S’y ajoutent les premières permissions accordées à l’été 1915, ce qui sature encore un peu plus des lignes déjà bien chargées.
Tout cela entraîne de graves problèmes en termes d’approvisionnement et de ravitaillement des populations civiles qui sont reléguées au second plan. Les prix flambent et certaines communes se retrouvent parfois privées de produits de première nécessité durant des périodes plus ou moins longues. La situation est encore plus critique dans les régions envahies.
À partir du 10 novembre 1916, la commission du réseau du Nord limite le tonnage journalier de transport de marchandises afin de réguler les embouteillages susceptibles d’interrompre le trafic du réseau. Mais la solution n’est guère satisfaisante et contribue à creuser davantage les inégalités.
Réunie le 4 décembre, la Société d’agriculture de l’arrondissement de Saint-Pol tente de trouver des palliatifs à cette situation.
Société d’agriculture de l’arrondissement de Saint-Pol
Réunion du 4 décembre 1916
Présidence de M. Amédée Petit
Monsieur le Président ouvre la séance à onze heures. À ses côtés ont pris place M. Roden, député, et le lieutenant Magnin, de la mission du Ministère de la Guerre près l’armée britannique. Après l’adoption du dernier procès-verbal, on reprend le grave sujet de la crise des transports.
La crise des transports
M. Roden donne une série d’explications très intéressantes concernant les causes de cette crise et les remèdes qu’on essaye et qu’on étudie pour la réduire dans la plus large mesure possible. Il ne faut pas penser pouvoir la conjurer totalement ; les nécessités militaires, qui augmenteront encore, ne le permettront pas.
Les attaques sur la Somme ont, dans une grande mesure, accaparé les moyens du réseau. Une grande partie du matériel des autres compagnies s’y trouve actuellement accumulé et il y a comme embouteillage des lignes. M. Claveille qu’on a récemment placé à la tête du service des transports l’a constaté et c’est ce qui lui a dicté son premier acte pour décongestionner le matériel roulant, les gares et les voies, en interdisant momentanément, tout trafic d’exportation comme d’importation dans la région du Nord, qui ne serait absolument nécessaire. […]
Grâce à la vigilance apportée, le trafic suffira aux exigences nationales, mais, la vie départementale restera très gênée dans ses transports. Depuis déjà longtemps, il est très difficile, sinon impossible de s’approvisionner en charbon ou autres matières indispensables à l’agriculture par chemin de fer. Le seul moyen qui reste est, pour ainsi dire, d’aller à la mine ou au moulin par voie de terre. C’est chose faisable, quoique dispendieuse, pour ceux qui ont des attelages et qui ne sont pas trop éloignés. Mais c’est irréalisable pour les autres. Monsieur le Préfet avait demandé cent camions automobiles pour les faire servir au ravitaillement en charbon et autre dans le département. M. Roden en avait sollicité deux pour Saint-Pol à l’armée française et à l’armée britannique. Il n’a pu les obtenir. […]
Des solutions ?
Face à tout cela, et comme il s’agit surtout, pour ce qui est de plus pressé, d’assurer notre ravitaillement par le trafic départemental ou régional et l’accès aux ports de notre littoral, M. Roden s’est tourné vers nos petits chemins de fer d’intérêt local. Il en a causé à M. Claveille qui viendra faire une étude sur place. Il a demandé l’avis de notre ingénieur en chef M. Masson et il a déposé un projet entre les mains de M. le Ministre des Travaux publics.
Il s’agirait de prolonger certains branchements de notre réseau départemental vers Saint-Pol, Bruay, Marles et Lillers notamment, et de le relier par Frévent et Doullens à celui assez développé de la Somme, avec prolongement sur Amiens et les réseaux de l’Oise et de la Seine-Inférieure, aboutissant ainsi aux ports de ce département.
On réaliserait ainsi, pour les services départementaux, la liaison des ports et des mines de notre région. Pour ce qui concerne ce qu’il y a à faire dans notre département, environ 64 kilomètres de voies, M. Masson estime que trois mois suffiraient à condition d’avoir la main-d’œuvre nécessaire à prendre :
- dans les prisonniers de guerre pour les travaux de terrassement ;
- dans le génie pour la pose des voies. Tout le hic est d’obtenir cette main-d’œuvre du génie. Cela paraît si difficile que l’on considère qu’il faut que le gouvernement l’exige.
Pour le reste, les parcs de ces petites compagnies sont bien garnis et on pourrait utiliser le matériel du réseau de l’Aisne qui a été évacué.
M. le président remercie au nom de l’assemblée M. Roden de ses intéressantes explications […].
Procès-verbal de séance de la société d’agriculture de l’arrondissement de Saint-Pol, 4 décembre 1916. Archives départementales du Pas-de-Calais, M 1583.
Durant les années de conflit, la mise en culture des terres demeure une équation insoluble. Face à la pénurie de travailleurs, on essaie de trouver des substituts aux cultivateurs mobilisés et de réformer afin d’augmenter la main-d’œuvre.
La loi Dalbiez du 17 juin 1915 tente ainsi de répartir équitablement les quelques 400 000 travailleurs détachés aux usines, aux mines et aux récoltes. En septembre, des permissions agricoles de quinze jours sont créées, placées sous l’égide des commissions départementales de main-d’œuvre fin décembre 1915. Mais toutes ces mesures demeurent insuffisantes.
C’est pourquoi, le 12 janvier 1917, une circulaire met à disposition les hommes des classes 1888 et 1889 comme main-d’œuvre agricole pouvant bénéficier d’un détachement.
Main-d’œuvre pour les cultures
M. Augustin Delgéry, se plaçant au point de vue des nécessités de la production agricole auxquelles la culture, excessivement dépourvue de main-d’œuvre, finit par ne plus suffire, avait, dans une lettre au président, exposé des vues qui tendraient à demander que tous les travailleurs de l’agriculture R.A.T. et les auxiliaires de toutes les classes de la territoriale soient mis en sursis ou mobilisés sur place.
M. Roden expose qu’on n’ignore nulle part la situation de l’agriculture, mais heureusement il ne faut pas penser à ces exemptions. Les premiers conseils de révision n’avaient pas, comme beaucoup, prévu la guerre si longue et, de ce fait, beaucoup de Français ont échappé au service militaire. Le vote de la loi des exemptés et des réformés lui paraît inévitable [ note 1]. Avec certains de ses collègues, notamment M. Fernand David, il s’efforcera de la faire amender, afin qu’à partir de la territoriale elle devienne une réquisition civile, qui permette d’assujettir au travail ceux qui s’y soustraient, comme cela vient de se faire en Allemagne [ note 2]. C’est tout ce qu’il espère de possible et, dans les circonstances actuelles, il faut se résoudre à beaucoup d’accommodements. Il y a d’ailleurs un projet de mise en sursis des R.A.T. agricoles aux périodes de semailles et de récoltes.
M. Roden donne ensuite les raisons de plus en plus impérieuses de la continuation et voie [sic] de la meilleure utilisation des mobilisés à la mine et à l’usine, raisons de la plus haute importance aussi. […]
Procès-verbal de séance de la société d’agriculture de l’arrondissement de Saint-Pol, 4 décembre 1916. Archives départementales du Pas-de-Calais, M 1583.
En 1914, les soldats britanniques sont accueillis à bras ouverts par les populations heureuses de pouvoir compter sur le soutien de ces alliés. Toutefois, et bien que la cohabitation se soit globalement révélée chaleureuse, des tensions apparaissent au fil des mois qui mettent parfois à mal l’entente cordiale entre les deux pays.
Une des raisons principales de ces crispations découle des avantages juridiques accordés aux tommies. Le 12 août 1914, ils obtiennent le même droit de réquisition octroyé à l’armée française par une loi de 1877. Ces réquisitions concernent principalement le logement et l’alimentation des troupes et autorisent toutes sortes de facilités au requérant. De là naissent des litiges sur des indemnisations jugées insuffisantes ou sur des dégradations causées par le passage des troupes.
Deux commissions s’attachent à régler ces différends : la Claims Commission, basée à Boulogne, et la mission militaire française, détachée auprès du GQG britannique pour servir d’intermédiaire auprès de la population.
Cohabitation et réquisitions britanniques
M. J. Poillion fait part de quelques embarras qu’il aurait subis au sujet de l’occupation des locaux par les Anglais.
M. Harduin exprime notamment le vœu que les cantonnements soient faits suivant les états qui existent dans chaque commune, qu’un officier accompagné d’un interprète reste à la mairie après le départ des troupes pour régler toutes les réclamations de moins de 125 frs et que celles non acceptées fassent l’objet d’un procès-verbal. M. Magnin leur répond que des ordres viennent d’être formellement donnés en ce sens aux interprètes, afin que tout s’établisse, se concerte et, au besoin se règle, avec les maires. C’est bien, on le conçoit, la meilleure méthode.
Pour les dégâts dépassant 125 frs, que les interprètes ne peuvent régler directement, il y a dit-il, déposés partout des imprimés à établir et à envoyer dans le plus bref délai à la Claims Commission à Boulogne. […]
M. Harduin questionne sur les réquisitions de l’armée anglaise. Il faut d’abord bien distinguer, lui répond-on, entre achats directs et réquisitions. Pour ce qui est de celles-ci, elles ne peuvent se faire qu’avec l’assentiment et par l’intermédiaire de l’Intendance française. Il est désirable, poursuit M. Harduin, que les prix de ces réquisitions suivent ceux du commerce.
Il est dit également sur cette matière que si les acomptes offerts paraissent insuffisants, il vaut mieux ne pas les accepter et consigner ses réserves. […]
L’ordre du jour étant épuisé, M. Octave Petit lève la séance. Il est midi et demi.
Le secrétaire de séance,
H. Demazure.
Procès-verbal de séance de la société d’agriculture de l’arrondissement de Saint-Pol, 4 décembre 1916. Archives départementales du Pas-de-Calais, M 1583.
Notes
[ note 1] La loi relative à la visite des exemptés et réformés par les commissions spéciales de réforme, dite loi Mourrier, est votée le 20 février 1917.
[ note 2] Loi du 2 décembre 1916 relative au service auxiliaire patriotique des 17 à 60 ans (Väterlanddischer Hilfsdienst), et qui applique à partir de janvier 1917 le travail obligatoire aux hommes.