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Fermeture du centre Georges-Besnier jusqu'à nouvel ordre

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Exposition d’œuvres d’art mutilées à Paris

Du 25 novembre 1916 à décembre 1917, a eu lieu au Petit Palais à Paris, une Exposition d’œuvres d’art mutilées ou provenant des régions dévastées par l’ennemi, où sont présentés de nombreux objets "martyrs" en provenance du Pas-de-Calais.

Un patrimoine instrumentalisé 

L’Exposition d’œuvres d’art mutilées a été organisée à l’initiative de Charles Humbert, vice-président de la commission sénatoriale des armées mais aussi directeur du Journal. Pour ce projet, il bénéficie du soutien de Paul Ginisty, inspecteur général des Monuments historiques, qui l’aide dans le choix, la collecte et le rapatriement des objets. La scénographie et l’édition du catalogue sont, quant à elles, prises en charge par le critique d’art et conservateur du Petit Palais, Henry Lapauze.

L’exposition a évidemment pour but d’instrumentaliser le patrimoine, afin de diaboliser davantage l’ennemi coupable de toutes les atrocités. Les œuvres, accompagnées de discours accusateurs, sont parfois assimilées à des êtres humains et magnifiées en victimes réelles, dans le but de susciter l’émotion du public et donc d’influencer son opinion. Le deuxième paragraphe de l’avant-propos du catalogue ne peut pas être plus explicite : Pour la première fois, Paris a le témoignage direct, par de nobles choses de France blessées, de la fureur du vandalisme allemand.

L’article du Lion d’Arras

Dans un article intitulé "Arras au dehors – L’exposition des œuvres d’art mutilées", paru le 5 février 1917, l’auteur anonyme du Lion d’Arras fait une critique amère de l’exposition parisienne, tout en lui reconnaissant un effort méritoire .

Les principaux griefs du journaliste sont : le manque de représentation des monuments détruits ; l’absence de valeur artistique ou patrimoniale de certains des objets mis en valeur [ note 1] et des erreurs diverses dans leur description ; l’insuffisance du lien avec la réalité du front (« il y manque la guerre ») ; enfin, le regret de la mise en valeur du coq gaulois de Verdun, au détriment de l’ancien Lion d’Arras.

Les "œuvres d’art" du Pas-de-Calais exposées

Les objets exposés proviennent des dix départements de la ligne de front [ note 2], mais ce sont ceux en provenance d’Arras qui représentent la section la plus importante de l’exposition par le nombre de prêts [ note 3]. De plus, le Lion d’Arras – certainement l’une des pièces les plus spectaculaires – a eu le privilège d’être reproduit dans le catalogue. Ce dernier prend soin, pour chacune des villes, de détailler les actes de vandalisme commis par les Allemands et la résistance opposée par l’armée française.

Le choix est loin d’être innocent, car figurent en premier lieu des pièces classées au titre des monuments historiques et donc, en principe, protégées par la loi du 31 décembre 1913. En effet, rien qu’à Arras le beffroi, la cathédrale et le palais Saint-Vaast, d’où proviennent la plupart des objets, étaient déjà classés monuments historiques [ note 4].

Le catalogue de l’exposition donne les indications suivantes :

Beffroi et Hôtel de ville d’Arras 

Cathédrale d’Arras 

  • Statue tombale en marbre de Philippe de Caverel, 74ième abbé de Saint-Vaast, mort évêque d'Arras en 1636 [ note 6
  • Porte en bois (XVIIIe siècle) ;
  • Deux anges en bois peint en gris (XIXe siècle).

Église Saint-Nicolas 

  • L'Ange de l'Annonciation, bois peint, début du XIXe siècle ;
  • Porte d'un confessionnal, bois sculpté, époque Louis XV.

Église Saint-Géry 

  • Ange en bois peint et doré (XVIIIe siècle).

Palais Saint-Vaast 

  • Partie des boiseries du réfectoire des moines de Saint-Vaast (XVIIIe siècle) [ note 7] ;
  • Fragment de chapiteau, granit (fin du XIIe siècle) ;
  • Deux fragments de chapiteaux, pierre ;
  • Masque de femme, pierre ; trouvé dans les décombres du musée (XIIIe siècle) ;
  • Chimère, pierre (XVIe siècle) ;
  • Tête de Christ, en pierre, trouvée dans les décombres du musée (XIVe siècle) ;
  • Clef de voûte (au centre la tête du Christ). Grès ;
  • Statue d'un évêque. Pierre (vers 1500) ;
  • Pierre tombale de Pierre Sarrazin, 73ième abbé de Saint-Vaast, mort archevêque de Cambrai en 1598 ;
  • Bénitier en forme de conque. Pierre ;
  • Statue d'un personnage debout (la figure et les bras manquent). Pierre (XVIe siècle) ;
  • Claveau de fenêtre sculpté, retiré des décombres du musée (XVIe siècle) ;
  • Armoiries. Pierre tendre (XVIe siècle) ;
  • Bas-relief, provenant d'un tombeau et figurant un squelette couché (fin du XVIe siècle) ;
  • Buste d'un personnage de l'époque Louis XIV, brisé en plusieurs morceaux. Marbre ;
  • Buste de Napoléon Ier, marbre, par Chaudet (brisé dans l'incendie) ;
  • Buste du général Decroix. Bronze ;
  • Bandeau de cheminée, pierre de Tournai (fin du XVIe siècle) ;
  • Bandeau de cheminée. Bois sculpté (XVIe siècle) ;
  • Panneau sculpté et peint représentant La Cène. Bois (XVIIIe siècle) ;
  • Coffre de fer retiré des décombres du musée (XVe siècle) ;
  • Fragments de rampes en fer forgé provenant des escaliers du palais Saint-Vaast (XVIIIe siècle) ;
  • Rampe d'escalier. Fer forgé (XVIIIe siècle) ;
  • Six fragments de motifs en fer forgé (XVIIIe siècle) ;
  • Taque de cheminée aux armes de la famille d'Orléans, datée 1701 ;
  • Deux appliques, provenant d'un secrétaire Empire. Bronze ;
  • Trois fragments de meubles. Bronze ;
  • Mouvement d'horloge, retiré des décombres du musée ;
  • Quatre débris de porcelaine polychrome. Pâte tendre d'Arras (XVIIIe siècle) ;
  • Débris de porcelaine à décor bleu, dont l'un porte les armoiries de M. de Calonne, protecteur de l'industrie de la pâte tendre d'Arras (XVIIIe siècle).
  • Deux volumes, troués par un obus : Les rues d'Arras, par Achmet d'Héricourt et Alexandre Godin, Arras : typographie Brissy, 1856 ;
  • Portes en fer forgé (XVIIIe siècle).

Objets appartenant à M. Gentil d’Arras 

  • Christ en ivoire, mutilé par un éclat d'obus (XVIIe siècle) ;
  • Christ en bronze, sur une croix d'ébène (la poitrine est traversée par un éclat d'obus) (XVIIe siècle).

Objet appartenant à M. Thomas Griffiths d’Arras 

  • Tapisserie verdure (XVIIIe siècle) [ note 8].

Carency 

  • La cloche de l'église (1749) [ note 9].

Richebourg 

  • Vue de l'église, peinture à l'huile, par Paul Sarrut (bataille d'Artois, décembre 1914) ;
  • Vue de l'église, dessin à la plume, par Paul Sarrut (bataille d'Artois, décembre 1914).

Vermelles 

  • Église de Vermelles. Aquarelle, par Paul Sarrut ;
  • Intérieur de l'église. Lavis à la terre de Sienne brûlée, par Paul Sarrut ;
  • Ruines du village ; au fond, à droite, l'église. Aquarelle, par Paul Sarrut ;
  • Vieille ferme en ruines, près de Vermelles, où sont cantonnés des "Gourkas". Dessin à la plume et sépia, par Paul Sarrut.

Arras au dehors

L’Exposition des Œuvres d’Art mutilées

Choisir sur tous les points du front les œuvres d’art mutilées, les sauver d’une destruction complète en les envoyant à l’arrière, les rassembler en une exposition aussi instructive pour l’esprit qu’émouvante pour le cœur, c’était  un beau programme et bien conçu ; les réfugiés iraient contempler les restes de leurs richesses collectives ; les voyageurs des pays neutres s’y édifieraient à la vue des hauts faits de la Kultur ; nos permissionnaires puiseraient dans ce spectacle une énergie nouvelle.

Disons-le tout de suite : nous sommes en présence d’un effort méritoire, dont il faut louer le Journal qui l’a entrepris, mais, à notre avis, cet effort n’a pas complètement abouti, il ne pouvait pas aboutir.

C’est qu’elles ne sont pas innombrables, les œuvres d’art mutilées ; je parle des œuvres d’art transportables. Hélas ! multiples sont celles qui eussent profondément touché les âmes, mais, il faut les voir sur place : ce sont nos édifices communaux, nos églises ; c’est la cathédrale de Reims, c’est notre cathédrale ; c’est surtout notre Petite Place tout entière, avec son beffroi brisé, son hôtel de ville broyé, ses paquets de maisons anéanties par l’incendie ou écroulées du haut en bas sous le choc des gros projectiles et les quelques pignons qui demeurent, branlants, parmi les ruines amoncelées ; mais ce spectacle, on ne pouvait le donner à Paris.

Alors, de la cathédrale de Reims on a détaché le "Sourire" ; non pas même, mais une reproduction ; de notre hôtel de ville, une ou deux pierres qui ressemblent à d’autres pierres ; ça et là, des œuvres mutilées qui ne sont pas des œuvres d’art ; et surtout des œuvres d’art qui ne sont pas mutilées, ou ne l’ont pas été par la guerre : pierres, chapiteaux, tombeaux, statues, fers forgés, boiseries, qui, de temps immémorial, sommeillaient dans notre Musée, dorment maintenant parmi les œuvres mutilées ; c’est un honneur, peut-être mérité d’ailleurs ; ils ont été à la guerre ; et la gloire n’exige pas la blessure…

Si encore ces œuvres d’art étaient vraiment des œuvres d’art… ! La partie belge de l’exposition, trop réduite au gré des visiteurs, contient bon nombre d’objets intacts sans doute, mais caractéristiques du pays et de l’art flamands ; d’Arras nous aurions aimé trouver comme une traduction de notre désastre : des tableaux de tous nos monuments détruits, au lieu des pâles clichés de la Section photographique de l’Armée ; chaque monument aurait été donné sous ses divers aspects aux diverses périodes du bombardement ; et ces reproductions eussent comme encadré nos œuvres mutilées.    

Peut-être bien, l’impression des Parisiens est-elle différente, mais pour qui vient du front, ce musée ressemble trop à un autre musée ; il y manque le feu, la poudre et le canon ; il y manque le désordre et la poussière blanche ; il y manque la tache de sang et le souffle de la mort ; il y manque la guerre.

Nous espérions que le voyageur y apprendrait à connaître Arras et son incomparable misère ; au contraire ; ce spectacle d’objets quelconques rangés, classés et numérotés, presque tous intacts, ne dit rien au cœur ; il donne de notre désastre une idée amoindrie et mesquine ; il diminue Arras.

Le lion, pourtant, est à sa place ; dressé de toute sa hauteur, sur une estrade, il attire les regards ; ici, c’est bien Arras qu’on retrouve : l’Arras qui souffre et qui lutte ! Mais les organisateurs ont commis une erreur étrange ; pour donner sans doute plus de relief à la pièce ils l’ont intitulée : Le Lion d’Arras, dit le Lion de Flandre .

Notre Lion n’avait pas besoin de ce nouveau titre.

Une autre erreur en passant : Une tête de vierge en marbre est désignée ainsi : Tête de la Vierge qui surmontait la basilique d’Albert ; la confusion est choquante ; il n’est personne qui ne sache que la vierge d’Albert était en cuivre et qu’elle demeure suspendue horizontalement au sommet de la basilique ; la vierge de marbre était à l’intérieur de l’édifice.

Erreur moins grave : sur une photographie, la maison incendiée de M. Pillon (rue des Grands-Viéziers) qui présente un aspect extrêmement curieux de décor de théâtre, est située sur "La Petite Place"  ; l’inscription a certainement dérouté les visiteurs qui connaissaient le style de notre Place.

J’ai regretté de ne pas trouver là notre vieux Lion, l’aïeul, celui qui, pendant des siècles, se dressa sur notre beffroi ; certes, il est bien misérable, bien déchiré, mais justement n’avait-il pas sa place marquée parmi les œuvres mutilées ? C’eût été une réparation ; il y avait droit ; car, victime des obus allemands, il l’est aussi de notre indifférence.

Il reposait dans notre musée quand, le 5 juillet 1915, les Barbares allumèrent l’incendie ; tout flamba ; mais quelques citoyens plus courageux sauvèrent ce qu’ils purent de nos richesses communales ; il fut du nombre et, dans la nuit rouge, il vint échouer derrière un tas de pierrailles dans la cour de l’Évêché. On l’y oublia. Des soldats passèrent et repassèrent par là, le tournèrent, s’amusèrent avec lui, le foulèrent aux pieds par ignorance. Un jour de janvier 1916, l’ayant appris, j’allai le chercher et, avec le concours de Louis Vignez, le dévoué gardien du Musée, et de quelques soldats, nous le transportâmes en sûreté dans un sous-sol.

Il y est encore ; ce n’est plus qu’une loque de bronze ; mais cette loque fut longtemps le Lion d’Arras ; elle présida à nos fêtes, à nos luttes, à nos victoires ; elle méritait mieux que l’oubli parmi les ruines et l’abandon aux pieds de la brute humaine.

Quand, pour illustrer leur affiche, les organisateurs de l’Exposition cherchèrent une œuvre d’art mutilée qui fût en même temps un symbole, ils trouvèrent "le Coq de Verdun" ; de ce jour, la fortune du Coq de Verdun était faite ; dirai-je qu’il ne pouvait s’attendre à cette gloire, aussi tardive qu’imprévue ? Certes, il s’agit d’un honnête coq bien campé sur ses deux pattes, mais avant la guerre, il occupait dans la vieille cité meusienne la modeste place d’enseigne sur la porte d’une hôtellerie. Peut-être eût-on trouvé, sans chercher bien loin, un autre symbole, dans un personnage de plus haute et de plus vieille noblesse ; mais qu’importe ! Il fallait d’abord que sur ce spectacle d’œuvres mutilées par la guerre, se dressât une espérance qui fût même une certitude ; et Verdun demeure pour la France, le synonyme de Victoire.

Gabriel Aymé

Le Lion d’Arras, lundi 5 février 1917. Archives départementales du Pas-de-Calais, PF 92/2.

Notes

[ note 1] Les œuvres présentés ont volontairement une valeur plutôt symbolique.

[ note 2] À savoir, les départements du Nord, Pas-de-Calais, Somme, Aisne, Oise, Marne, Meuse, Meurthe-et-Moselle, Alsace française et les Vosges.

[ note 3] À titre de comparaison le catalogue de l’exposition contient la description de 45 objets ou ensembles d’objets en provenance d’Arras, contre « seulement » 30 provenant de Reims et 40 provenant de Verdun.

[ note 4] Le beffroi depuis 1840, la cathédrale depuis 1906 et le palais Saint-Vaast depuis 1907.

[ note 5] Elles étaient placées dans une arcade de l'hôtel de ville vis-à-vis le corps de garde.

[ note 6] Inscription sur marbre accompagnant la statue, l'une des rares pièces qui aient pu être retirées intactes de la cathédrale.

[ note 7] L'immense réfectoire des moines était garni de 50 mètres de boiseries semblables ; elles furent brûlées en mars 1916. Les deux pièces exposées, qui étaient protégées par un pilier, sont les seuls vestiges de cet ensemble.

[ note 8] Retirée d'une maison pendant le bombardement.

[ note 9] Elle porte l'inscription : Parrain : Louis Ernest Gabriel, Prince de Montmorency. Marraine : Marie Thérèse de Montmorency, Comtesse de Nancre. J'appartiens à l'église de Carency, l'an 1749