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Naissance de François Salembier

François Salembier fait partie de la tristement célèbre bande des "chauffeurs du Nord" qui terrorise le nord de la France à la fin du XVIIIe siècle en commettant une série de vols, de pillages et d'agressions. 

François-Marie Salembier naît le 15 décembre 1764 à Isbergues, où son père est savetier. Il reste dans sa ville natale, où il travaille probablement comme ouvrier agricole, jusqu’à l’âge de vingt ans, puis il s’installe à Aire-sur-la-Lys.

Le 4 octobre 1785, il épouse Marie-Anne-Françoise Carpentier, âgée de trente ans et qui possède une maison. D’abord employé chez M. de Senneville, où il reste un an, il exerce ensuite plusieurs petits métiers, se livrant même occasionnellement à la contrebande.

Signature manuscrite de Salembier.

Signature autographe de François Salembier extraite de l’acte de mariage du 4 octobre 1785, Registre paroissial de Notre-Dame d’Aire, Archives départementales du Pas-de-Calais, 3 E 14/16.

François Salembier ne semble pas prendre part aux troubles révolutionnaires. Pourtant, en 1793, il est soupçonné d’être un agent d’émigré et de soutenir le fanatisme. Arrêté et emprisonné pendant plusieurs mois, il est finalement acquitté par le tribunal révolutionnaire et s’engage comme volontaire dans les charrois militaires.

De la contrebande au crime organisé : les "chauffeurs du Nord"

De retour à Aire-sur-la-Lys, alors que la pénurie fait rage et que la vie est de plus en plus chère, il rencontre un certain Mouquet dit Cadet, fripier brocanteur à la réputation douteuse, qui lui propose d’entrer dans une "société secrète" qui pourrait améliorer ses conditions de vie.

Il semble que Salembier ne se soit pas douté qu’il se liait alors à la bande des "chauffeurs du Nord", groupe organisé de brigands et d’individus suspects sévissant dans toute la région du nord de la France. Ces "chauffeurs", appelés ainsi parce qu’ils brûlent les pieds de leurs victimes pour qu’ils consentent à leur donner argent et bijoux, regroupent une centaine d’individus tous fripiers ou colporteurs. Ces métiers leur permettent de circuler facilement sans attirer l’attention et de se créer un réseau d’indicateurs et de complices à travers la région. Commence alors une série de vols, d’agressions et de pillages.

Tableau à deux entrées manuscrit sur lequel on lit "Causes de la détention et par quels ordres, ainsi que les ordonnances de translations (fait quarante neuvième, [signé] Thiebault) : L'an quatrième de la République française une et indivisible, le onze Germinal, nous gendarmes de la Résidence de l'arbret, avons constitué prisonnier par ordre du C. Triboulet, juge de paix de la police judiciaire de la première division et canton d'Arras, les nommés François Salembier, Narcisse Duhamel et Joséphine Plucquet, tous trois prévenus de vol, dont les pièces sont déposé entre les mains du C. Triboulet avec défence au concierge de na laisser sortir jusqu'à ce qu'il en soit autrement ordonné. À Arras, le jour, mois et an que dessus. [signé] Dilly".

Extrait du registre de la maison d’arrêt des Dominicains d’Arras, Archives départementales du Pas-de-Calais, 4 L 625.

Dans les premiers temps, Salembier est réticent à l’idée de commettre de tels méfaits ; en novice, plus exercé à la contrebande qu’au crime organisé, il choisit de faire le guet pendant que ses complices agissent.

Sa première véritable opération a lieu à Aire-sur-la-Lys, où la bande entreprend de s’attaquer à un aristocrate, Olivier, qui vit seul. Le butin est maigre et Salembier, horrifié d’apprendre que la victime a été étranglée, s’enfuit. Mais la peur d’être arrêté le pousse à rejoindre ses compagnons pour fuir la ville et rejoindre Lille.

Dorénavant, il est lié à la bande et doit participer plus activement aux opérations pour espérer avoir sa part du butin. C’est ainsi qu’il fait son apprentissage lors de l’attaque de la ferme de Noël Delplanque à Lambersart, dans la nuit du 26 au 27 février 1796. Fidèle à son mode d’action, la brigade attache les habitants de la ferme : leurs pieds sont "entortillés de paille" puis enflammés. Cette fois, le bilan de l’opération est très important : 100 louis d’or, 200 livres en assignats, plusieurs bijoux en or et en diamant et quelques couverts en argent.

D’autres attaques ont lieu jusqu’en mars.

Une vie marginale

Texte manuscrit.

Acte de décès 1/3 de Pierre-Marie-Félix Olivier, victime des "chauffeurs du Nord". Registre des décès de la commune d’Aire-sur-la-Lys, Archives départementales du Pas-de-Calais, 3 E 14/55.

Informé par son épouse que des soupçons pèsent sur lui, Salembier comprend que tout retour à Aire est compromis et que sa vie ne pourra se faire qu’en marge de la société.

Après avoir commis de nouveaux méfaits à Douai puis à Isbergues, une partie de la bande cherche à rejoindre Amiens. En route, ils se font arrêter. Ils sont transférés à Arras et emprisonnés à la prison des Dominicains. Le 12 mai 1796, Salembier et deux de ses complices s’évadent. Ils quittent le département pour Rouen.

Mais Salembier ne supporte plus cette vie avec ses compagnons de brigandage. Il repart pour Aire-sur-la-Lys rejoindre sa femme avec le désir de quitter la France pour une nouvelle vie. Mais les "chauffeurs du Nord" ne se quittent pas si facilement. Ses velléités de retour à une existence honnête sont rapidement mises à mal. Bientôt, les attaques reprennent, de plus en plus violentes.

Arrêté une seconde fois à Valenciennes, il s’évade à nouveau et les agressions reprennent. Son signalement, envoyé dans toute la région, porte :

  • trente ans environ ;
  • taille de 5 pieds 2 pouces (1.68 m),
  • cheveux bruns,
  • barbe noire,
  • visage ovale.

Ne se sentant plus à l’abri, Salembier et trois de ses associés, partent pour la Belgique. Ils tentent un vol à la cathédrale de Malines, étranglent le conducteur de la voiture qui les emmène à Bruxelles et se font finalement arrêter à Dunkerque. 

Salembier, un meurtrier ?

En décembre 1796, Salembier est transféré à Bruges où il est jugé, condamné à mort et guillotiné avec vingt et un de ses complices, le 6 novembre 1798. François Salembier a été l’un des "chauffeurs du Nord" durant seulement treize mois.

D’après les dépositions faites lors du procès, il semble qu’il ait toujours voulu protéger les victimes. Durant les attaques, il ne commet lui-même aucun homicide, alors que la plupart des ses comparses sont plus violents et plus cruels. À plusieurs reprises, il s’oppose à des viols.

Ce n’est donc pas parce qu’il est un meurtrier qu’il est condamné à mort, mais parce que la loi du 15 mai 1797 punit de mort le brigandage. Voulant racheter ses fautes et réparer ses forfaits, il aurait même aidé la police à démanteler la bande.

En 1845, François Vidocq s’inspire de cet épisode pour son roman Chauffeurs du Nord.

Procès-verbal contenu dans l’acte de décès de Pierre-Marie-Félix Olivier, victime des "chauffeurs du Nord". Registre des décès de la commune d’Aire-sur-la-Lys de l'an IV

Aujourd'hui, cinquième jour de ventôse de l'an quatrième de la République une et indivisible, sur les trois heures de l'après-midi, par de vant nous Alexis Papegaÿ, officier public du canton d'Aire, département du Pas-de-Calais, élu le onze brumaire dernier, pour recevoir les actes destinés à [...] des naissances, mariages et décès des citoÿens, est comparu en la maison commune d'Aire François-Louis-Arnault Wamin, juge de paix du canton d'Aire domicilié rue Davocas section C, lequel ma déclaré, assisté de Célestin Clacquet, officier municipal de cette commune âgé de quarante quatre ans, domicilié rue du Doÿen section C, et de Xavier Cattier, officier municipal de la ditte commune, âgé de quarante deux ans, domicilié rue des Cuisiniers section C, lequel m'a déclaré à moi Alexis Papegaÿ qu'un citoyen avoit été trouvé assassiné. 

Il s'étoit transporté chez le citoyen et y avoit rédigé le procès-verbal dont la teneur suit : l’an quatre de la République françoise une et indivisible, le quatre ventôse, six heures trois quarts de l’après-midi, sur le rapport fait à la municipalité du canton d’Aire par le citoyen Bonaventure Thorel marchand brasseur en cette commune que la maison habité par le citoyen Pierre Marie Félix Olivier située rue du
Morianne numéro vingt-trois section B s’est trouvé fermée pendant ce jour sans qu’on ai vu entrer ny sortir personne que contre l’ordinaire ses volets ont restés fermés ce qui donna des inquiétudes à ses parents à cause de son grand âge et qui demeure seul, sur celui fait par le citoyen Coutelet sergent de police de cette commune chargé de notifier les rolles de l’emprunt forcé notament audit Olivier, ÿ
requi en la huitième classe qu’il seit transporté à cette effet à différentes reprises à la porte ou il a sonné et frappé, lesquels rapports nous ayant été communiqué par la dite municipalité nous François Louis Arnoult Wanin juge de paix et officier de police canton d’Aire accompagné des citoyens Célestin Cleugnet, Alexis Papeguÿ et Xavier Callin, membre de l’administtration municipale de cette commune nous sommes transporté à la porte de la maison dudit Olivier et ayant frappé, sonnés à plusieurs reprises sans que personnes n’ayent parues et de suite nous sommes entrés chez la citoyenne Jacqueline Delporte veuve Canlers qui occupe la maison tenante de celle dudit Olivier nous lui avons demandé si elle avoit connoissance de l’absence dudit Olivier, laquelle nous a dite que de toute la journée elle n’avoit vue entrer ny sortir de chez lui ledit Olivier ni personne, que contre l’ordinnaire les volets donnant sur la rue étoient fermés, surquoi nous juge de paix susdit avons requis le citoyen Henrÿ Lanvin, serourrier, de sintroduire par la courre de laditte maison de ditte veuve Canlers dans celle dudit Olivier, ce qu’il a effectués avec le citoyen Coutelet et Adrien Ducrocq sergent de police de cette commune, ou étant ils ont forcés et fracturés une fenêtre par laquelle ils ont entrés dans la cuisine et nous ont avertis que ledit Olivier se trouvoient étendu sur le pavé et de suite nous ont ouvert la porte donnante sur la rue qui se trouvoit fermée sans la serrure sans que les verroux fussent mis ou nous sommes entrés accompagnés des membres de l’administration municipale susdit nous étant introduit dans la cuisine qui se trouve sur le derrière de la ditte maison nous avons trouvé un cadavre masculin gissant par terre la face en dessous que nous avons reconnus être ledit Olivier vetu d’une capotte blanche cendré, une veste verte, un gillet blanc, une culotte blanche en laine ou se trouve des boucles d’argent aux jarretière avec des pantoufles, ayant retourné ledit cadavre nous avons trouvé sa face ensanglantées le net applati aÿant linge enfoncé dans la bouche et soux lui un rubant de fil gris de trois quart d’aulne de longueur que nous avons que scellés et paraphé, près de lui étoit une table sur laquelle se trouvoit du pain, du beurre et du fruit, au même instant est survenu sur notre invitation le citoÿen Louis Ignace Licson chirurgien en cette commune lequel d’après visite et examin faite du dit cadavre nous a dit et raporté lui avoir trouvé plusieurs contusions considérables situés tant au front qu’aux temple, une plaie longue de deux traverts de doigt [...] de la prunelle du cotté droit, laquelle plaie lui a paru aussi faite par un corps contandant de plus différents excoriations au col avec limpression d’une corde avec laquelle cette partie nous a paru violament serré, de plus un bonnet de toille ou chiffon dans la bouche et qu’on a peut tirer qu’avec violence ce qui joint aux levres enflamées et dune equimose située au dessus et en dessous de la dite ligature avec gonflement de toute la face nous fit juger que le dit Olivier a été etranglé et assommé. [...]

Archives départementales du Pas-de-Calais, 3 E 14/55.

Bibliographie

  • J.-M. DISSAUX, G. PAMART, M. PAMART, Salembier et les "chauffeurs du Nord", Association locale pour l'histoire de l'Artois, 1989. Archives départementales du Pas-de-Calais, BHC 3463/1
  • G. SANGNIER, Le brigandage dans le Pas-de-Calais de 1789 à 1815, Blangermont, 1962, 300 p. Archives départementales du Pas-de-Calais, BHB 2451