L’épave a été découverte en 1989 par des plongeurs sportifs, à Beutin, 5 km en amont du port d’Étaples-sur-mer. Une dizaine d’années plus tard, le Musée de la Marine d’Étaples-sur-Mer organise une plongée de reconnaissance archéologique. Un échantillon de bois est prélevé en vue d’une première datation au radiocarbone. L’épave est datée entre la fin du 15ième siècle et le milieu du 17ième siècle.
Aucune épave ancienne n’avait jusqu’alors été découverte dans le Nord de la France. L’épave de Beutin est apparue intéressante pour connaitre l’histoire de la construction navale à la fin du Moyen-âge.
Transcription complète de la vidéo
Deux objectifs : archéologie navale et archéologie du paysage fluvial
Entre 2005 et 2010, six campagnes de fouille ont été menées. Éric Rieth, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique a dirigé cette fouille. Deux objectifs ont été définis :
- l’archéologie navale devait étudier l’architecture de l’embarcation : sa forme, sa structure, ses dimensions ainsi que son mode de propulsion et de direction
- l’archéologie du territoire fluvial devait étudier le paysage de la Canche à l’époque de l’épave
La méthode de fouille subaquatique
Dégager l’épave et étudier la coque
L’épave disposée en travers du fleuve repose à une profondeur comprise entre 2.50 mètres et 3.50 mètres en fonction des marées. La première étape de la fouille consiste à dégager l’épave. Un aspirateur à sédiment permet de déplacer la vase et le sable qui la recouvrent. Chaque année, une zone différente de l’épave a été étudiée.
Chaque zone est observée, dessinée et mesurée précisément. Le fond est en plus dessiné sur du calque à l’échelle 1. Certains éléments prélevés sont observés à terre. Ils peuvent ainsi faire l’objet d’observations et de relevés plus précis. Quand les conditions de visibilité le permettent des photographies sont réalisées.
Des points topographiques sont positionnés sur l’épave. Ils sont enregistrés ou photographiés en même temps que la coque. Ces points sont ensuite géoréférencés, c'est-à-dire rattachés à des coordonnées géographiques (X, Y et Z) à l’aide d’un tachéomètre.
Ainsi tous les relevés peuvent être replacés spatialement et cela permet de restituer l’épave en trois dimensions.
Construire des hypothèses : réaliser des maquettes
L’embarcation n’est pas entièrement conservée. Une extrémité et un flanc sont entièrement détruits et l’autre flanc est érodé dans sa partie haute.
La construction de maquettes permet de tester les hypothèses de restitution. Il s’agit notamment de comprendre l’évolution des formes de l’embarcation vers les extrémités.
Connaitre l’environnement de l’épave
Le fleuve a été aménagé de tous temps. L’environnement dans lequel naviguait le bateau a été reconstitué grâce aux prospections pédestres, aux études en archives et aux études géologiques.
10 carottes de sédiments d’une profondeur atteignant 7 mètres ont été prélevées à proximité de l’épave. Leur étude (notamment les micro-organismes fossiles à coquille) permet de comprendre l’évolution de l’environnement dans l’espace et dans le temps.
Au 15ième siècle, le fleuve et l’estuaire étaient plus larges qu’actuellement. L’embarcation a dû couler dans un des chenaux qui formait le haut de l’estuaire. L’endiguement progressif du lit de la Canche a conduit à la constitution d’un seul chenal. C’est ainsi que l’épave se trouve aujourd’hui au milieu du cours actif de la Canche.
Les résultats : une embarcation fluviale adaptée à la navigation côtière
Une embarcation à fond plat de 14 mètres de long
L’embarcation est posée transversalement au lit de la Canche.
Les vestiges de l’épave s’étendent sur près de 12 mètres entre la rive droite et la rive gauche et sur 3 mètres de large. Dans la zone centrale de l’épave, un des flancs est désassemblé et repose à plat.
La partie centrale est représentative du principe général de construction du bateau. La structure se compose de trois ensembles.
Le fond plat, la sole, est composé de cinq planches, appelées virures, disposées bord à bord.
La charpente transversale est constituée de membrures espacées régulièrement. Elles sont assemblées au fond et au flanc à l’aide de chevilles en bois.
Les flancs comportent 4 virures. Celles du fond sont assemblées bord à bord (construction à franc-bord) et celles du haut sont assemblées en se recouvrant légèrement (construction à clin).
La coque est longue, étroite et basse et se termine vraisemblablement en pointe. Les dimensions restituées sont :
- longueur : 14 mètres
- largeur : 2.60 mètres
- hauteur extérieure : 1.40 mètres
1426 : année de construction de l’embarcation
L’embarcation est construite en chêne. Lors de chaque campagne des prélèvements de bois ont été réalisés en vue de datations dendrochronologiques, méthode qui repose sur l’étude comparée des largeurs des cernes de bois. Les bois ont été abattus entre la toute fin de l’année 1425 et le début de l’année 1426. Le bateau a certainement été construit au cours de l’année 1426 dans un petit chantier naval produisant à l’unité.
Un bateau adapté à la navigation côtière
Les bateaux à fond plat sont caractéristiques de la navigation fluviale et les navires à quille de la navigation maritime. Le fond plat de l’épave de Beutin le rattache à la tradition fluviale. Cependant, le fond est relevé sur ses bords. Cela peut être interprété comme une adaptation permettant une navigation côtière. L’embarcation a pu naviguer le long de la côte lorsque les conditions météorologiques étaient clémentes.
Cette fouille programmée a été menée sous la responsabilité d’Éric Rieth, Directeur de recherche CNRS, Université de Paris 1, Musée national de la Marine
Transcription complète de la vidéo
Ici sur les rives de la Canche à Beutin, une équipe de recherche dirigée par le CNRS sort de la vase ce qui apparaît au premier abord comme de vagues morceaux de bois. Quelques vestiges épars qui permettront de reconstituer les plans d'un navire de transport de marchandises daté de la fin du Moyen Âge.
Pour la sixième campagne de fouille, le Département du Pas-de-Calais est venu renforcer l'équipe de Éric Rieth, directeur de recherche au CNRS, en mettant un archéologue-plongeur à disposition, chaque membre de l'équipe apportant son expertise dans l'étude de l'architecture du bateau et son intégration dans son environnement fluvial.
Éric Rieth :
Aujourd'hui, après plusieurs années de fouilles, on peut dire que cette épave se rattache à la grande famille architecturale de la fin du Moyen Âge des cogues que l'on retrouve de la Mer du Nord jusqu'à la Côte Atlantique ; dans cette grande famille des cogues, il y a une série de branches régionales dont l'épave de la Canche ferait visiblement partie.
Sa structure lui permettait également de faire du cabotage sur des petites distances. Toutes ces informations sont le résultat de projections faites à partir des pièces du bateau retrouvées au fond de la Canche, et qui ont permis aux modélistes de proposer un gabarit.
Jean-Louis Gaucher, modéliste :
Dans ce modèle qui est vrai à 90 %, ce qui correspond au modèle de forme, c'est ce gabarit arrière. Le fond, s'il est plat dans le milieu du bateau, ne l'est plus vraiment dans les extrémités. Nous avons retrouvé une des varangues, l'un des éléments de charpentage transversal, qui lui n'est plus du tout plat, mais se termine en vrille sur une étrave, retrouvée quant à elle en 2008.
Quant à la finition, le bateau était équipé d'un pont ou vaigrage aux planches très jointives, relevées sur les côtés, ainsi la marchandise ne reposait pas directement sur les membrures. Pour la datation de l'épave, les archéologues ont appliqué une technique aussi précise qu'étonnante.
Sophie François, archéologue du Département :
Je viens de découper une petite tranche de quelques centimètres de large, dans le but de faire une analyse dendrochronologique ; le terme "dendro" correspond aux cernes du bois, et la chronologie permettra quant à elle de dater l'épave à partir de l'étude des cernes. Il nous faut plusieurs prélèvements, avec un minimum de 60 cernes pour permettre une datation. En mesurant toutes les épaisseurs de cernes successivement, nous aurons une courbe, et en la comparant à des données qui sont connues, nous obtiendrons une datation très précise du bois. Au début des campagnes sur cette épave, les premiers prélèvements ont donné des indications datant du début du 15ième siècle, entre 1420 et 1460. Au fur et à mesure des prélèvements, nous avons pu affiner les informations : comme sur certains chênes, nous avons eu l'aubier, les derniers cernes de croissance de l'arbre, nous avons pu obtenir une date très précise, nous savons que certains bois ont été abattus en 1425.
Le second volet de la fouille consiste à préciser l'espace fluvial de la Canche de 1425.
Virginie Sernat, Conservateur du patrimoine de la DRAC :
Le paysage que l'on a réussi à restituer est un paysage complètement différent de celui que l'on a sous les yeux. Aujourd'hui la Canche est très étroite, la rivière était à l'époque très ouverte. Nous sommes encore pour les périodes du 15ième siècle dans un estuaire, avec une remontée de la marée et de la salinité très hautes, jusqu'à Montreuil-sur-Mer, ce qui signifie que ce bateau est marchand, capable de faire du petit cabotage sur la côte, de remonter l'estuaire et d'aller au moins jusqu'à Montreuil. Dans cet estuaire très ouvert, les riverains, les hommes des sociétés pour les périodes médiévales, ont systématiquement essayé de gagner des terres fertiles sur la Canche et d'accroître le terrain agricole. La prairie qui se trouve derrière nous et qui d'ailleurs porte le nom "Les Champs Neufs" montre bien que les riverains ont essayé d'avancer sur la Canche, réduisant de ce fait au fur et à mesure la largeur de la rivière, ce qui fait qu'à un certain moment elle s'est complètement sédimentée et elle a été colmatée, ne permettant plus une navigation.
Et on doit le bon état de conservation du bois à la sédimentation qui a recouvert l'épave, évitant ainsi sa décomposition. Deux autres épaves ont été identifiées dans le lit de la Canche et devront faire l'objet d'une fouille prospective courant 2012, afin d'en envisager leur intérêt scientifique.
Réalisation : Direction de la Communication (Vadim Gressier)