Le Département du Pas-de-Calais entreprend la mise en valeur et la protection du Grand Site National des Deux Caps. Ce projet nécessite des aménagements, comme celui de transformer en parking semi enterré la parcelle du Mont d’Hubert en arrière du cap Blanc-Nez sur la commune d’Escalles. Sur la base des prescriptions de l’État, une équipe d’archéologues de la Direction de l'Archéologie, sous la responsabilité scientifique d’un archéologue de l’Inrap, est intervenue à l’automne 2010 et au printemps 2011 pour fouiller des vestiges datés de 4 000 ans avant J.-C.
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Un site original par sa localisation géographique
La fouille a permis de mettre en évidence un camp de hauteur délimité par un fossé barrant le sommet. Vers 4 000 ans avant notre ère, les sociétés néolithiques à travers l’Europe érigent des systèmes d’enclos fermés par des fossés, des levées de terre et des palissades. Dans le Nord Pas-de-Calais, deux implantations de fond de vallée sont connues à Carvin et Lauwin-Planque. Le Mont d’Hubert est localisé à l’extrémité des collines de l’Artois et occupe une position originale "d’altitude". Il domine un vaste secteur dont le Cap Blanc Nez et le détroit du Pas-de-Calais, et offre dans un rayon de 30 km une vue dégagée sur les côtes anglaises et la plaine maritime (Dunkerque, monts de Flandre).
Les archéologues ont dégagé 100 m du fossé déterminant les contours de l’enceinte. Le tracé en arc de cercle devait s’appuyer sur le relief naturel du Mont d’Hubert. Le fossé distingue un espace interne d’un espace externe. Deux interruptions, interprétées comme des lieux de passages, ont été aménagées. À l’intérieur de l’enclos, des fosses creusées dans le sol, ont probablement servi de silos pour conserver les denrées alimentaires, puis ont été rebouchées pour partie avec des détritus. La vocation de telles installations reste un sujet de débat : occupation principalement défensive, place centrale d’un vaste territoire constitué de villages, enclos à bestiaux ou lieu de rassemblements cultuels ou funéraires, etc. L’étude du matériel découvert permettra d’en apprendre davantage.
Des ressources naturelles multiples exploitées pour des activités variées
Les ressources naturelles sont nombreuses sur le site du Mont d’Hubert (argile, silex, grès). Les communautés néolithiques ont su en tirer profit pour leurs activités quotidiennes.
Le silex, disponible en abondance, permet de réaliser sur place des outils nécessaires aux activités de boucherie, à la découpe des végétaux ou à la chasse. Cette pointe de flèche, emmanchée sur une hampe en bois, servait d'arme de chasse.
Le grès était employé pour réaliser des outils permettant d’écraser les grains de céréales pour la fabrication d’une farine. La farine obtenue grâce à cette meule permettait de préparer des galettes ou des bouillies de céréales.
L’argile servait à la production de la vaisselle, qui était montée à la main, séchée et cuite. Cette vaisselle était nécessaire au stockage des liquides ou des denrées alimentaires et à la cuisson des repas. Au Mont d’Hubert, les archéologues ont découvert une quantité importante de vases céramiques qui, par leurs formes, permettront de dater le site.
Les ossements animaux sont également transformés pour confectionner des outils. Les archéologues ont retrouvé un pic réalisé en bois de cerf, qui a pu être utilisé comme levier pour déchausser les blocs de craie lors du creusement du fossé.
Se rendre à la pêche aux coquillages… au Néolithique !
La variété des vestiges retrouvés par les archéologues révèle que les habitants du Néolithique du Mont d’Hubert exploitent intensivement les richesses de leur terroir pour diversifier leur alimentation.
Outre les ossements de bœuf, porc, mouton ou chèvre provenant du cheptel élevé par ces paysans, une surprise attendait les archéologues : plusieurs centaines de litres de moules, patelles, coques et huîtres ont été rejetées dans le comblement du fossé. Ces coquillages ont été pêchés à proximité, remontés au Mont d’Hubert, préparés comme en attestent les charbons de bois associés à ces restes, et consommés sur place.
Au-delà de toutes ces raisons évidentes qui justifient le choix d’implantation sur le Mont d’Hubert, la magie du lieu et sa situation dominante ont également dû compter. La proximité du sud de l’Angleterre invite à rêver à des échanges des deux côtés du détroit. L’analyse du mobilier, notamment l’origine géologique de deux haches polies, mettra peut-être en évidence la réalité de ces premiers échanges.
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Les travaux de terrassement ont mis à jour un fossé de l’époque néolithique : - 4000 avant JC.
L’équipe d’archéologues du Département sous la responsabilité scientifique de l’INRAP a investi les lieux pour une fouille de sauvetage, et ouvert le fossé d’une longueur de 100 m. Une première lecture du terrain et des strates successives confirme une occupation des lieux pendant une période restant à définir, et déjà les archéologues s’interrogent sur la fonction de cet espace.
Pourquoi nos lointains ancêtres ont occupé un lieu aussi inhospitalier, à priori sans eau potable à proximité et exposé à tous vents pendant les 12 mois de l’année ?
Les réponses se trouvent dans l’analyse des déchets retrouvés dans le fossé.
Or le mystère s’épaissit lorsque les archéologues découvrent qu’aux rejets classiques composés de silex, de coquillages, d’os d’animaux d’élevage, s’ajoutent des restes humains en petites quantités.
Pourquoi ces ossements ont-ils étaient mêlés à des rejets de consommations quotidiennes ?
Elisabeth Panloups, Centre départemental d'Archéologie du Pas-de-Calais :
Nous nous situons à l'intérieur du fossé, et il est intéressant de remarquer une couche importante de niveau de coquilles, associée à des éléments de faune, du silex taillé, et également de l'os humain. On voit ici une calotte crânienne avec les dents qui sont en connexion, elle est associée avec de la céramique, et cela ressemble à une mise en scène.
Le site du Mont d’Hubert est comparable à d’autres sites en Europe qui ont vu le jour pendant cette même période. Ils ont en commun l’utilisation du milieu naturel pour délimiter un espace intérieur par une élévation ou un fossé. En revanche le Mont d’Hubert à la particularité unique d’être situé sur un point d’altitude qui permettait à ses occupants de voir et d’être vus sur un rayon de 30 km.
Ivan Praud de l’INRAP se risque aux jeux des hypothèses avec beaucoup de prudence :
Ces enclos sont en fait de grands enclos à bestiaux du fait de la découverte de nombres restes de boucherie dans le fossé. Cette hypothèse n'a plus beaucoup de crédit aujourd'hui.
Selon par contre une hypothèse partagée par une bonne partie des chercheurs, ces sites sont implantés sur certains espaces où on veut marquer son emprise, ces territoires sont partagés
par une population disséminée sur un rayon de 30 km et à des moments particuliers de leur calendrier, on peut imager que l'ensemble de ces populations se retrouvent.
De grandes quantités de mobiliers ont été retrouvées sur site. 1.5 tonne de silex taillé, 500 kg de matériel en grès pour moudre le blé, 150 kg de produits de boucherie (os et bois). S’agit-il de rejets importants sur une courte période de l’ordre de 10 ans, ou au contraire, de petits rejets sur une période de 300 à 400 ans ?
Chacun dans sa spécialité, les archéologues vont tâcher de résoudre cette question et de préciser le mode de vie des occupants.
Jérémy Chombart, Archéozoologue, Centre départemental d'Archéologie du Pas-de-Calais :
La richesse du matériel nous permettra également de calculer la quantité de viande consommée à l'intérieur de l'enceinte. Donc on va peser chaque os et en comparaison avec les espèces actuelles, on va estimer un poids de viande consommée. On a surtout des espèces domestiques mais on trouve aussi dans l'enceinte, des fosses avec des dépôts de bois de cerfs.
C'est peut être lié à des pratiques cultuelles, et pas forcément des pratiques alimentaires.
De retour dans les locaux du centre départemental d’archéologie du Pas-de-Calais, Elisabeth, céramologue, remonte des vases à partir des tessons retrouvés.
Au-delà du simple aspect esthétique, son travail va permettre de préciser le temps d’occupation du Mont d’Hubert.
Ce qui est intéressant pour ce type de vase, c'est qu'il était complètement cassé quand on l'a retrouvé et on s'aperçoit qu'il est complet, qu'il remonte sur 3 mètres de distance et sur quatre couches. Ce qui veut dire que les phases de comblement du fossé ont été relativement rapides à l'endroit où l'on a retrouvé le vase. Ça veut dire aussi que si le vase a été jeté, il l'a été sur plusieurs mètres de distance. C'est donc un rejet et pas un dépôt intentionnel.
Grâce aux observations morphologiques et technologiques, on peut rattacher le vase à sa période, à une zone géographique et du coup à l'intégrer aux corpus d'autres sites connus.
L’analyse des coquillages, des charbons de bois, des silex, des graines viendront compléter ces observations.
Tandis que l’origine géologique de deux haches polies mettra peut-être en évidence les premiers échanges avec l’Angleterre si proche du haut de ce promontoire.
Réalisation : Direction de la Communication (Vadim Gressier)