Ce petit panneau semble discret et humble à côté des tableaux plus imposants d’Eugène Isabey, exposés eux aussi dans l’escalier du château d'Hardelot. Pourtant, lorsqu’on l’observe pour lui-même, il dévoile toute la maîtrise et la poésie picturale de son créateur, Gustave Edouard Le Sénéchal de Kerdréoret.
Le Sénéchal, un enfant de la mer et de l’art
Né en 1840 à Hennebont près de Lorient, Gustave est un enfant de la mer. Elève au lycée Henri IV à Paris, il y suit les cours du peintre Jules Noël. Malgré son amour de la peinture, il préfère rapidement rejoindre l’océan. Il devient officier dans la Marine puis, après une blessure de guerre, capitaine au long cours. Au cours de ses voyages, il rédige des notes, dessine des esquisses et peint les couleurs changeantes de la mer et du ciel.
Sa santé se dégradant, il cesse de naviguer et se consacre exclusivement à la peinture. Il est très bien intégré au monde artistique de son temps ; et son travail est vite reconnu. En effet, il débute au Salon dès 1869. Il expose en 1875 ses marines lors de la Loterie artistique bretonne, aux côtés, notamment, de Ludovic-Napoléon Lepic, destiné à devenir l’un des artistes les plus connus du groupe des Peintres de la Côte d’Opale. En 1880, c’est aux côtés d’un autre peintre reconnu de ce groupe, Henri Le Sidaner, que l’on retrouve l’œuvre de Le Sénéchal lors de l’Exposition annuelle du musée de Rouen. Son travail et sa carrière de peintre prend une autre ampleur après avoir reçu les cours d’Antoine Vollon et surtout de Pierre Cot. De peintre de marines classiques, il se transforme alors en peintre de la vie quotidienne des ports, des rades, des grèves et des pêcheurs, notamment de la baie de Somme. Les récompenses, à la fin de XIXe siècle, se succèdent pour Le Sénéchal jusqu’à la consécration : il devient en 1890 Peintre Officiel de la Marine. Outre cette reconnaissance, il continue de peindre la vie quotidienne des ports de la baie de Somme jusqu’à sa mort en 1920.
Une peinture d’embruns et d’azur
Peinte en 1911, l’huile sur bois conservée et exposée au château d’Hardelot représente bien le style de ce peintre. En effet, on y retrouve une palette haute en couleur, une composition maîtrisée et un coup de pinceau ferme, qui, tous ensemble, captivent l’œil.
En revanche, cette œuvre a ceci de particulier qu’elle dépeint la Côte d’Opale et Boulogne-sur-Mer, un secteur très peu représenté chez Le Sénéchal. En effet, si on dénombre quelques toiles de lui exécutées en Normandie, en Bretagne ou au Pays-Bas, la baie de Somme reste, quasiment, l’unique sujet de son travail.
Le premier plan est occupé par la mer déchaînée et un voilier, toutes voiles dehors, qui lutte contre les éléments. Au second plan, on trouve la jetée et le phare du port de Boulogne-sur-Mer, submergés par les embruns, un autre voilier et un bateau à voiles et à vapeur, sans doute un transmanche, qui s’approche de l’entrée du port. Au troisième plan, le ciel occupe les trois quarts de la composition et nous happe tout entier. A la fois menaçant avec ses nuages chargés de pluie, il est aussi bleu azur, apportant une touche de calme dans ce paysage venteux.
C’est en 2014, après sa restauration, que la beauté de ce panneau de petite taille (32,5 x 49,5 cm) a réellement été rendue visible. En effet, la couche de vernis s’était oxydée avec le temps, ce qui perturbait profondément l’appréciation de la composition de l’artiste. Une fois allégée, elle a permis de retrouver tout l’éventail chromatique utilisé et toute la beauté du paysage marin dépeint par Le Sénéchal.